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Beau

Variantes Singulier Pluriel
Masculin beau beaux
Féminin belle belles

Définitions de « beau »

Trésor de la Langue Française informatisé

BEAU, BEL, BELLE, adj. et subst.

I.− [Exprime une appréciation positive et favorable]
A.− Qui cause une vive impression capable de susciter l'admiration en raison de ses qualités supérieures dépassant la norme ou la moyenne.
1. [Qualités de forme : l'impression s'exerce sur les sens de la vue ou de l'ouïe; l'appréciation est à dominance esthétique] Anton. laid.
a) [En parlant d'un animé]
[En parlant d'une pers. considérée dans son corps ou dans une partie de son corps] La plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu'elle a :
1. L'une sur son front blanc va de sa chevelure Former les blonds anneaux. L'autre de son menton Caresse lentement le mol et doux coton. « Approche, bel enfant, approche, lui dit-elle, Toi si jeune et si beau, près de moi jeune et belle. » Chénier, Bucoliques,Aveux, propos et plaintes, 1794, p. 155.
2. Ainsi, le front baigné des parfums du matin, Son beau sein rayonnant de chaleurs maternelles, Ève, les yeux fixés sur Abel et Caïn, Sentait l'infini bleu noyé dans ses prunelles. Dierx, Poèmes et poésies,La Vision d'Ève, 1864, p. 7.
3. Une femme belle, ou simplement jolie, a les exigences, les vanités, les susceptibilités, tous les besoins de jouissance et de flatterie, d'un prince, d'un comédien et d'un auteur. Taine, Notes sur Paris,Vie et opinions de M. F.-T. Graindorge, 1867, p. 3.
4. Un beau garçon, assurément : beau de corps à cause de sa force visible, et beau de visage à cause de ses traits nets et de ses yeux téméraires... Hémon, Maria Chapdelaine,1916, p. 47.
SYNT. a) Un beau front, un beau profil, un beau visage; une belle chevelure; de belles mains; un beau garçon, une belle fille, une belle jeune fille; une jeune et belle créature. b) Beau comme un astre, comme un dieu, comme le jour; beau, belle comme un ange; belle comme la lumière. c) (En parlant d'une femme d'un certain âge) Avoir de beaux restes :
5. Ce farceur de Mes-Bottes, vers la fin de l'été, avait eu le truc d'épouser pour de vrai une dame, très décatie déjà, mais qui possédait de beaux restes; ... Zola, L'Assommoir,1877, p. 762.
P. personnification (cf. infra 2 b) :
6. La France avait gardé de 1789 une puissante autorité morale sur le monde. La race était bonne et gaie, franche et vaillante, amoureuse de justice, éprise d'idéal, on lui reprochait sa mobilité, une humeur parfois querelleuse, un manque de méthode et d'obstination dans ses desseins. Mais sa haute générosité d'âme la faisait trop belle aux yeux des peuples pour qu'ils pussent se défendre, à travers tout, de l'aimer. Clemenceau, La Réparation,1899, p. 65.
[En parlant d'une collectivité, d'un groupe] Une belle race (de pers., d'animaux).
Loc. périphrastique. Le beau sexe. Les femmes. Synon. le sexe féminin :
7. Ainsi sous la domination de l'homme, le beau sexe était tout pareil à un troupeau bien conduit, et si bien morigéné, que ce troupeau en était arrivé à faire lui-même sa police, et à chasser spontanément de sa masse toutes les têtes indociles, toutes les brebis galeuses. Larbaud, Fermina Marquez,1911, p. 67.
SYNT. Adorateur, amateur du beau sexe; apprécier, effrayer le beau sexe; plaire au beau sexe.
Loc adv. À belles dents; rire, sourire à belles dents (cf. aussi infra B 1).La jeune fille sourit à belles dents. Et ce beau, ce frais sourire s'épanouit jusqu'au rire (G. Duhamel, Chronique des Pasquier,La Nuit de la Saint-Jean, 1935, p. 175).
[En parlant d'une pers. considérée dans son apparence générale, dans l'image qu'elle donne par son maintien, son allure vestimentaire, etc.] Il prisait par-dessus tout la bonne éducation et les belles manières (S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 176):
8. ... il tremblait sans cesse que sa bouche habituée aux jurons ne prît tout d'un coup le mors aux dents et ne s'échappât en propos de taverne. Qu'on se figure le bel effet! du reste, tout cela se mêlait chez lui à de grandes prétentions d'élégance, de toilette et de belle mine. Hugo, Notre-Dame de Paris,1832, p. 281.
9. ... Jules se sentit plus à l'aise, plus libre de ses mouvements, plus spirituel et plus gracieux; en se séparant des deux actrices, il leur fit même un salut qu'il jugea d'une distinction charmante. C'est qu'à son insu il avait le bel aplomb de l'homme qui paie et qui est convaincu qu'on l'estime; ... Flaubert, La 1reÉducation sentimentale,1845, p. 109.
SYNT. (Avoir) un beau port, une belle prestance, de belles façons; un beau rire, un beau geste; une belle allure, une belle attitude; apprendre les belles manières; un homme de bel aspect; un homme, les gens du bel air*.
Le beau monde. Les gens élégants et riches. P. méton. Les beaux quartiers. Les quartiers où habite le beau monde :
10. Un cortège d'automobiles attendait de repartir; la foule lui faisait une haie d'honneur. Depuis qu'on dansait à Robinson, les rôdeurs de barrières et les braves gens de Montrouge venaient à cette porte admirer le beau monde. Radiguet, Le Bal du comte d'Orgel,1923, p. 35.
11. Les clubs de Londres sont nés sous l'impulsion de Brummel. Ce roi de la mode et son émule le comte d'Orsay perpétuaient une vieille tradition, celle de l'influence française sur le beau monde de Londres. Morand, Londres,1933, p. 198.
Loc. verbales. Se faire beau, se faire belle. Se parer; se farder. Achète des robes à falbalas comme la femme d'un amiral, fais-toi belle, et donne-moi le bras... (Sue, Atar Gull,1831, p. 3).Voilà votre redingote perdue... Pourquoi diable vous faire si beau? Alliez-vous à la noce? (Mérimée, Colomba,1840, p. 139):
12. Elle avait eu tort de ne pas se faire belle pour venir chez lui : elle avait gardé ses vêtements de la journée; elle ne s'était même pas mis de poudre aux joues : maladroite! Arland, L'Ordre,1929, p. 86.
[En parlant d'un animal] Un beau cheval, un beau chien, un beau cygne; une belle jument.
b) [En parlant d'un inanimé]
[En parlant d'un produit de la nature] Un bel arbre, un beau pays. La nature était belle, Et riait comme nos amours (T. Gautier, Albertus,1833, p. 149):
13. Et pourtant sous cette destruction fleurit la nature. La terre est verte et belle; un pauvre petit ruisseau, dont on voit une belle flaque verte, nous avertit que sans la fumée de la poudre nous verrions peut-être un beau ciel, car il y a une terre et un ciel encore. Michelet, Journal,1840, p. 332.
SYNT. Un beau fruit, une belle fleur, une belle forêt; de belles roses blanches; un beau ciel, un beau lac, un beau paysage, une belle vallée; de beaux rivages, de beaux ruisseaux.
[Sous le rapport de l'ouïe] Les beaux sons de cette cloche me donnaient une vive émotion (Stendhal, Vie de Henry Brulard,t. 1,1836, p. 197);le beau bruit léger des mouches sur les pêches du compotier (Giono, Le Grand troupeau,1931, p. 229).
[En parlant d'une œuvre du « génie humain »]
[Œuvre d'art plastique ou musical] Un beau tableau, une belle symphonie :
14. Et quel peut être le pouvoir d'un beau morceau de musique bien exécuté, si ce n'est celui de produire des émotions dans notre sentiment intérieur! Lamarck, Philos. zool.,t. 2, 1809, p. 285.
15. Ainsi ces beaux marbres expriment l'accord de la pensée et de la nature, et la plus belle vertu; le moindre fragment en témoigne encore. On dit communément que le nu est toujours chaste, pourvu qu'il soit beau; mais il vaut mieux dire que le nu est beau pourvu qu'il soit chaste. Alain, Système des beaux-arts,1920, p. 233.
SYNT. Un beau dessin, un beau portrait; de belles fresques; de la belle musique; un beau morceau de musique.
[Œuvre, produit d'activités artisanales ou industrielles] Un beau bijou, une belle maison :
16. ... et il le conduisit lentement afin de lui laisser voir une belle et somptueuse salle à manger garnie de tableaux achetés en Allemagne, ... Balzac, César Birotteau,1837, p. 279.
SYNT. Un beau chapeau, une belle toilette de bal, du beau linge; un beau navire, une belle ville, de beaux édifices.
[Sous le rapport de l'ouïe] Il y a du feu dans l'âtre et des flammes de plus d'un mètre et ça fait un beau bruit doux au cœur (Giono, Regain,1930, p. 230):
17. Elles rendent [les briques] sous l'outil un beau bruit limpide d'enclume battue, qui tinte du haut des échafaudages. Pesquidoux, Chez nous,1923, p. 194.
2. [En parlant d'une chose considérée du point de vue de son adaptation à une fin; l'impression s'exerce sur la sensibilité hum. ou sur les facultés de jugement intellectuel, moral, spirituel]
a) [L'appréciation porte sur la satisfaction du bien-être phys. (calme, sérénité, etc.) ou sur les qualités d'agrément, de facilité d'une expérience hum.] Anton. mauvais, vilain.
[En parlant du temps, des conditions atmosphériques, des saisons... considérés du point de vue de leur influence sur la vie et l'activité des hommes] Un bel été :
18. Comme ce pâle essaim de malheureuses ombres, Du Styx au triple tour couvrant les rives sombres, Au penser doux-amer de son ancien martyre S'agite tristement et doucement soupire! Ainsi par un beau soir, au milieu de la plaine, La tige que le vent bat d'une tiède haleine. Moréas, Ériphyle,1894, p. 212.
19. − Tu ne sais pas ce qu'on devrait faire? Aller se promener tous les deux : c'est un si beau matin. S. de Beauvoir, Les Mandarins,1954, p. 278.
SYNT. a) Un beau mois de novembre, un beau printemps; par une belle nuit d'été. b) Il fait beau temps (cf. il fait beau infra IV C 1), il fait un beau temps d'automne.
Un très beau temps clair et vivifiant; le retour du beau temps; avoir un beau temps exceptionnel (cf. avoir beau temps infra IV C 1); jouir, profiter du beau temps; la belle saison, les beaux jours. Il est vrai que je montai moins souvent au refuge. Avec l'arrivée des beaux jours ma présence devint, en bas, plus nécessaire (Bosco, Le Mas Théotime,1945, p. 71):
20. C'est en hiver, sous un ciel triste et sombre, que la Rome calviniste prend sa véritable physionomie, et ce n'est pas la connaître que de l'avoir rapidement visitée dans la belle saison, comme font les touristes. Coppée, La Bonne souffrance,1898, p. 79.
21. Mai amenait une alternance de pluies chaudes et de beaux jours ensoleillés qui triomphait peu à peu du gel accumulé du long hiver. Hémon, Maria Chapdelaine,1916, p. 44.
Spéc. Une belle mer. Une mer calme. Quand la mer est belle. Quand la mer est calme :
22. ... ils n'osaient approcher de nos bâtimens, quoiqu'ils fussent en panne, et que la mer fût très-belle. Voyage de La Pérouse,t. 3, 1797, p. 252.
Loc. fig. Parler de la pluie et du beau temps. Parler de tout et de rien. Il parla de la pluie et du beau temps avec sa voix traînante et monotone (E. Triolet, Le Premier accroc coûte deux cents francs,1945, p. 136).Faire la pluie et le beau temps. Disposer de tout et de tous :
23. Les morts vont alors devenir des personnages avec lesquels il faut compter. Ils peuvent nuire. Ils peuvent rendre service. Ils disposent, jusqu'à un certain point, de ce que nous appelons les forces de la nature. Au propre et au figuré, ils font la pluie et le beau temps. Bergson, Les Deux sources de la mor. et de la relig.,1932, p. 142.
24. Il revint sur ses pas, avec un vague espoir, scrutant les ombres. Il dérangea un couple d'hommes qui s'entretinrent de la pluie et du beau temps, une cigarette s'alluma dans l'ombre. Aragon, Les Beaux quartiers,1936, p. 446.
P. anal. [En parlant d'un âge de la vie comparé à une saison, de la santé correspondant à cet âge (l'idée « qui suscite l'admiration » fait place ici à celle « qui fait envie » ou « qui est l'objet d'un regret »)] Le beau temps de ma jeunesse. Le bel âge. L'âge de l'homme jeune.
25. Toutes les heures, on entrait voir si elle vivait encore. Elle ne parlait plus, tant elle suffoquait; mais, de son œil resté bon, vivant et clair, elle regardait fixement les personnes; et il y avait bien des choses dans cet œil-là, des regrets du bel âge, des tristesses à voir les siens si pressés de se débarrasser d'elle, ... Zola, L'Assommoir,1877, p. 652.
Les belles années de qqn. Les jeunes années de quelqu'un.
26. Aujourd'hui que je regrette encore mes chimères sans les poursuivre, je veux remonter le penchant de mes belles années : ces Mémoires seront un temple de la mort élevé à la clarté de mes souvenirs. Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe,t. 1, 1848, p. 15.
Jouir d'une belle santé. Jouir d'une bonne santé, d'une santé sans troubles :
[L'accent est mis sur les qualités d'agrément ou de facilité d'une expérience hum.] Un beau voyage, un beau rêve, être de belle humeur, avoir une belle vieillesse :
27. On marchait par deux files espacées, laissant le milieu de la route libre. Les officiers s'y avançaient à l'aise, seuls; et Maurice avait remarqué leur air soucieux, qui contrastait avec la belle humeur, la satisfaction gaillarde des soldats, heureux comme des enfants de marcher enfin. Zola, La Débâcle,1892, p. 77.
28. Sur la route de Jérusalem, Jean-Jacques n'alla pas plus loin que Soleure. Et la belle aventure finit. Guéhenno, Jean-Jacques,En marge des « Confessions », 1948, p. 59.
Locutions
Il est beau de, c'est beau de + inf. Il est agréable de. Il est beau d'être tranquille sans autre raison que soi-même tranquille (Alain, Propos,1935, p. 1279):
29. − Chabrand! dit le capitaine, c'est beau d'être jeune, mon gars, tu connais pas ton bonheur. Dors, abruti! Giono, Le Grand troupeau,1931, p. 168.
Il fait beau + inf. Il est agréable de, il est plaisant de. Il fait beau voir :
30. Mon ami avait les sens moins éveillés que moi, mais cependant il songeait aux femmes. Il faisait beau voir nos puérils enthousiasmes pour elles, nos dissertations sur la beauté et les citations que je tâchais de fourrer dans tout cela. Michelet, Mémorial,1822, p. 192.
31. tirésias. − Il fait beau croire aux prodiges lorsque les prodiges nous arrangent et lorsque les prodiges nous dérangent, il fait beau ne plus y croire... Cocteau, La Machine infernale,1934, III, p. 105.
Il fait beau voir. Il est consolant de voir :
32. Ah! Il faisait beau voir l'indignation de Claudel, quand, à propos de ses drames, certains critiques employèrent des mots comme « croyance naïve » ou « foi d'un autre âge ». Massis, Jugements,1924, p. 273.
En partic. La Belle époque. La belle vie.
P. transpos. Une belle vue. (Le fait d'avoir) une vue extrêmement dégagée (sur un paysage, ...). Des terrasses du jardin, on a une belle vue sur la vallée et le bocage (Guéhenno, Journal d'un homme de 40 ans,1934, p. 87):
33. Elle m'avait proposé d'aller prendre le thé dans un hôtel de La Turbie qu'elle connaissait, d'où l'on avait une très belle vue panoramique sur la côte monégasque et la mer. Romains, Les Hommes de bonne volonté,La Douceur de la vie, 1939, p. 218.
Proverbe. A beau mentir* qui vient de loin.
Loc. fig.
Le beau côté des choses, le beau côté de la médaille :
34. Monseigneur Landriani est un homme d'un esprit vif, étendu, profond; il est sincère, il aime la vertu : je suis convaincu que si un empereur Décius revenait au monde, il subirait le martyre comme le Polyeucte de l'opéra, qu'on nous donnait la semaine passée. Voilà le beau côté de la médaille, voici le revers : dès qu'il est en présence du souverain, ou seulement du premier ministre, il est ébloui de tant de grandeur, il se trouble, il rougit; ... Stendhal, La Chartreuse de Parme,1839, p. 130.
Avoir le beau rôle* :
35. Quant au vicomte, il avait le beau rôle, d'abord dans le souper, où il s'introduisait de force, ensuite dans le pari, puisqu'il emmenait la demoiselle, et finalement sur le terrain, où il se comportait en gentilhomme. Flaubert, L'Éducation sentimentale,t. 2, 1869, p. 42.
36. Si c'est une histoire où mon père a eu le beau rôle, c'est exprès qu'il ne me l'a pas racontée, et il est donc inutile que je la sache. Montherlant, Le Maître de Santiago,1947, I, 1, p. 601.
Être dans une belle passe*, dans une belle veine*. Si je portais le nom de ton ami, je serais dans une belle passe (Balzac, Les Illusions perdues,1843, p. 324):
37. Puis Sorellina est dans sa plus belle veine et sa passe la plus fortunée; tout, depuis quelques mois, lui réussit à souhait, et son existence s'arrange en papier de musique. Amiel, Journal intime,1866, p. 338.
b) [L'appréciation porte sur les qualités morales ou sociales]
[Le jugement s'inspire d'une éthique de noblesse personnelle] Synon. noble, généreux. Anton. indigne, vil :
38. Les philosophes grecs et romains sont une des lectures les plus utiles et les plus attachantes qu'on puisse faire. C'est dans leurs écrits qu'on trouve les principes des grandes et belles actions qui ont illustré ces deux peuples et qui répandent un si grand intérêt sur leur histoire dont il faut s'occuper ensuite. Laclos, De l'Éducation des femmes,1803, p. 476.
39. La clémence est une belle vertu royale qui rompt les courants de la colère. Hugo, Notre-Dame de Paris,1832, p. 496.
SYNT. Une belle action, une belle cause; être animé de beaux sentiments; un beau caractère; c'est une belle âme, une belle et noble âme.
Loc. Il est beau de + inf. Il est beau d'être le chêne et de savoir plier comme le roseau (Sandeau, Mllede La Seiglière,1848, p. 170):
40. L'exemple, voyez-vous, c'est le meilleur des enseignements. Dites à un conscrit qu'il est noble et beau de marcher au feu, il vous écoutera sans vous comprendre. Marchez-y devant lui, crânement, et il devient plus crâne que vous... P. Bourget, Le Disciple,1889, p. 114.
41. Mais ne vaudrait-il pas mieux l'abandonner à son sort [la République] et la laisser mourir des vices de sa constitution? Sans doute, ce que vous proposez, cher Agaric, est noble et généreux. Il serait beau de sauver ce grand et malheureux pays, de le rétablir dans sa splendeur première. A. France, L'Île des pingouins,1908, p. 203.
En partic. Une belle mort, un beau trépas. Une mort noble. Une belle mort ennoblit une vie entière. Il se mit dans l'esprit un matin que ce serait pour lui une belle mort, et bienséante, et grandiose, d'aller mourir sur le Mont Blanc (Sainte-Beuve, Pensées et maximes,1869, p. 63):
42. Ah! Si jamais vous vengez la patrie, Dieu, mes enfants, vous donne un beau trépas! Béranger, Chansons,t. 3, Le Vieux sergent, 1829, p. 111.
43. ... il attira Simon Lachaume dans le couloir et se fit raconter les derniers instants. − Une belle mort, une très belle mort, fit Lartois. Puissions-nous tous avoir autant de dignité devant la fin. Druon, Les Grandes familles,t. 1, 1948, p. 52.
[Le jugement s'inspire d'une éthique à la fois personnelle et sociale] Il n'est pas beau de mentir. Synon. correct, conforme aux bienséances, élégant :
44. ... les mots sont jugés bons ou mauvais selon qu'il plaît et sans que l'on soit tenu à fournir un motif valable et discutable. Si l'on n'admet pas, comme jadis, l'autorité absolue de l'usage, du bel usage, on n'a pour guide que son propre goût; ... Gourmont, Esthétique de la lang. fr.,1899, p. 132.
Trouver beau de + inf. :
45. Il jouit dans ce moment, dit-on, d'une grande faveur; je lui en souhaite la durée : elle a commencé peu de jours avant mon arrivée à Paris, au moment où la cause du roi était désespérée; il aura trouvé beau d'accepter un ministère quand tout paraissait perdu. Las Cases, Le Mémorial de Sainte-Hélène,t. 2, 1823, p. 177.
46. Il trouvait beau de se gouverner, sur la mer et dans des pays inconnus, par les règles de l'astronomie, science alors peu répandue et peu avancée. Joubert, Pensées,t. 1, 1824, p. 390.
47. Vous, Monsieur Schleiter, vous et vos semblables, vous rêvez d'une société dans laquelle l'État se chargera de faire le salut de tout le monde. Eh bien! je me demande où sera le mérite. Je trouve beaucoup plus beau de se débrouiller tout seul. G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Vue de la Terre promise, 1934, p. 128.
En partic., JEUX. Être beau joueur, se montrer beau joueur. Savoir perdre avec élégance :
48. La cour était à Fontainebleau. La démission partie, Rougon attendit avec un sang-froid de beau joueur. L'éponge allait être passée sur les derniers scandales, le drame de Coulonges, la visite domiciliaire chez les sœurs de la Sainte-Famille. S'il tombait, au contraire, il voulait tomber de toute sa hauteur, en homme fort. Zola, Son Excellence E. Rougon,1876, p. 327.
Au fig. :
49. − Allons, papa, gloussait Lucien, la bouche en croupion de poule, soyez beau joueur. Avouez que vous avez marché. G. Duhamel, Chronique des Pasquier,La Passion de Joseph Pasquier, 1945, p. 78.
50. Staline se montra beau joueur. D'une voix douce, il me fit son compliment : « Vous avez tenu bon. À la bonne heure! J'aime avoir affaire à quelqu'un qui sache ce qu'il veut, même s'il n'entre pas dans mes vues ». De Gaulle, Mémoires de guerre,1959, p. 78.
[Le jugement s'inspire d'une éthique de la grandeur sociale] Synon. glorieux.Les beaux temps de la chevalerie :
51. ... M. de Suffren était, depuis Louis XIV, le seul qui rappelât les grands marins de notre belle époque navale. Las Cases, Le Mémorial de Sainte-Hélène,t. 2, 1823, p. 283.
52. ... les institutions et les croyances que nous trouvons aux belles époques de la Grèce et de Rome, ne sont que le développement de croyances et d'institutions antérieures; ... Fustel de Coulanges, La Cité antique,1864, p. 4.
[L'accent est mis sur les qualités affectives] Ma belle amie, ma belle enfant :
53. − Bonjour, bonjour, ma chère enfant, répéta-t-il d'un ton paternel où perçait néanmoins une légère émotion. − Monsieur, fit Cerise en reculant d'un pas, encore. Seriez-vous la personne... que j'attends? ... − Oui, c'est moi, ma belle enfant! Ponson du Terrail, Rocambole,t. 1, L'Héritage mystérieux, 1859, p. 213.
Fam. et condescendant :
54. − Bonjour, belles dames, bonjour, dit-il en les saluant d'un geste protecteur; vous êtes belles à croquer toutes deux, et si j'étais encore... Ponson du Terrail, Rocambole,t. 1, L'Héritage mystérieux, 1859p. 485.
c) [L'appréciation porte sur la perfection techn. d'une chose ou sur les qualités intellectuelles ou/et esthétiques d'une œuvre]
[L'appréciation porte sur la perfection techn.]
[En parlant de la matière considérée du point de vue de son appropriation à la fin recherchée] Anton. médiocre.Du beau cuir, du beau granit, du beau papier épais; c'est du beau bois; du beau grain de semence; une belle mécanique :
55. Le vieux Campireali a répété mille fois qu'il donnera sa plus belle terre à qui vous aura tué. Stendhal, L'Abbesse de Castro,1839, p. 179.
P. anal., JEUX. Avoir de belles cartes, un beau jeu. Avoir un jeu, des cartes favorables. Donner un beau jeu. P. métaph. :
56. Vois-tu, petite, le grand art en politique consiste à avoir deux bons yeux, quand les autres sont aveugles. Tu as toutes les belles cartes dans ton jeu. Zola, La Fortune des Rougon,1871, p. 93.
Loc. fig.
Avoir beau jeu de, à, pour + inf. N'éprouver aucune difficulté à :
57. ... M. Racine avait bien de l'esprit, et du plus méchant. Ce peintre de l'homme aurait eu beau jeu pourtant à soutenir qu'il nous est impossible de faire mieux connaître l'homme sans servir la religion catholique. Mauriac, La Vie de Jean Racine,1928, p. 71.
58. Mais la mort est atroce à qui n'a pas rempli sa vie. À celui-ci la religion n'a que trop beau jeu pour lui dire : « Ne t'en fais pas. C'est de l'autre côté que ça commence, et tu seras récompensé ». Gide, Les Nouvelles Nourritures,1935, p. 295.
59. Il semblait, en effet, que sous l'empire de la désillusion, certains qui, jusqu'alors, s'étaient liés à l'action du diplomate américain voulussent maintenant régler les comptes. J'eus donc beau jeu de noter, dans ma déclaration, « la confusion qui régnait en Afrique du Nord française ». De Gaulle, Mémoires de guerre,1956, p. 73.
Avoir beau jeu pour + subst. :
60. Le somme finit cependant par l'envahir, de manière à la séparer du monde réel dont les rumeurs ne lui parvenaient plus. Vallombreuse, s'il eût été là, aurait eu beau jeu pour ses entreprises téméraires et galantes; car la fatigue avait vaincu la pudeur. T. Gautier, Le Capitaine Fracasse,1863, p. 391.
Donner beau jeu (à qqn), se donner beau jeu. Donner (à quelqu'un) des moyens, des chances de réussite :
61. ... mais si vous voulez à toute force faire à ces gredins l'honneur de leur répondre, attendez du moins ma demi-feuille de Naples, qui vous donnera beau jeu. Courier, Lettres de France et d'Italie,1810, p. 821.
62. De Maistre se donne beau jeu à prendre ainsi le dogme janséniste dans sa déviation et sa défaillance. Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 3, 1848, p. 165.
Donner beau jeu (à qqc.). Cela donne beau jeu aux interprétations tendancieuses ou même malveillantes (Du Bos, Journal,1928, p. 210).
Donner, faire la partie belle (à qqn), se faire la partie belle. Même sens : Donner (à quelqu'un) des moyens, des chances de réussite. Voltaire commence par simplifier sa pensée; il se fait la partie trop belle (Gide, Journal,1922, p. 739):
63. Du reste, il confessait volontiers qu'il y avait du bon dans ces idées, dont l'effrayante simplicité l'attirait. Seulement, ce serait donner la partie trop belle à Rasseneur, si l'on en contait de pareilles aux camarades. Zola, Germinal,1885, p. 1343.
64. ... ses adversaires lui faisaient la partie belle. Entêtés de leurs préjugés gallicans, ils n'admettaient pas que, sur les questions de fait, l'Église fût infaillible. Bremond, Hist. littér. du sentiment relig. en France, t. 4, 1920, p. 426.
Faire beau jeu (à qqn). Lui rendre les choses plus faciles :
65. Les grands scheiks s'étaient étudiés à nous faire beau jeu, ils avaient aplani les grandes difficultés; ils permettaient le vin et nous faisaient grâce de toute formalité corporelle; ... Las Cases, Le Mémorial de Sainte-Hélène,t. 1, 1823, p. 505.
[En parlant de la perfection des procédés utilisés ou du résultat obtenu] Une belle invention, faire du beau travail; c'est du beau travail, de la belle besogne (cf. aussi infra II A) :
66. ... j'invoquerai le grand et beau travail qu'a fait, sur les mots de la langue française, le citoyen Butet. Destutt de Tracy, Éléments d'idéologie,Grammaire, 1803, p. 129.
Loc. Être d'une belle venue. Être bien développé :
67. ... l'arbre était d'une belle venue, plus vigoureux que jamais, et, en cinq ans, il avait presque doublé. Stendhal, La Chartreuse de Parme,1839, p. 161.
JEUX. Un beau coup*, une belle balle*.
P. ext. [En parlant de la relative facilité d'une action réputée pénible] Une belle opération (financière, chirurgicale, ...).
Une belle mort. Une mort facile (cf. aussi supra 2 b).
Loc. Mourir de sa belle mort. Mourir de mort naturelle :
68. Avant la prochaine guerre, aura-t-on le temps de travailler encore un peu et de mourir de sa belle mort? Green, Journal,1943, p. 46.
69. Maintenant la guerre est finie Et le vieux général est mort Est mort dans son lit Mort de sa belle mort Mais moi je suis vivant et c'est le principal ... Prévert, Paroles,Histoire du cheval, 1946, p. 25.
[L'appréciation porte sur les qualités intellectuelles ou/et esthétiques d'une œuvre envisagée du point de vue de son contenu] Anton. médiocre.Un beau poème, un beau sonnet, une belle poésie; c'est une belle œuvre, un bel ouvrage.
En partic. [En parlant d'une œuvre qui a pour moyen d'expression le lang.] Un beau discours, une belle pièce (de théâtre), un beau film :
70. C'était à l'avènement du parlant, donc en 1930-31, peu de temps après le beau film de René Clair, Sous les toits de Paris, ... Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 308.
P. méton. [En parlant de la maîtrise de l'expression] Un beau style, un beau talent. [En parlant de l'écrivain] Un bel écrivain, un beau génie.
B.− [L'appréciation porte sur l'importance d'une chose] Qui suscite l'étonnement (amusé ou critique) en raison de ses proportions dépassant la norme ou la moyenne.
1. [Importance de l'énergie ou de l'activité déployée] Une belle claque, un bel appétit; un beau désordre, un beau tapage, un beau tumulte; faire un beau vacarme; une belle bagarre, une belle dispute; une belle colère. Un beau coup de pioche; un beau coup de poing; un beau coup de sabre, d'épée. Se démener comme un beau diable. Avoir, affecter un beau sang-froid. Celui-ci, vieux joueur, avait un beau sang-froid, qui le rendait redoutable (Zola, La Bête humaine,1890, p. 188):
71. L'enfant riait. Elle le baisa, elle rattacha son maillot, tout en menaçant du poing Catherine. − S'il était tombé, je t'aurais allongé une belle paire de soufflets. Zola, La Faute de l'Abbé Mouret,1875, p. 1425.
72. − Ce sont des raisons ridicules! fit Odette avec emportement. Des raisons inventées. Les hommes sont très habiles pour trouver de belles excuses à leur ignominie. Chardonne, L'Épithalame,1921, p. 252.
73. fanny. − Alors, je lui donne une gifle, parce que c'était le plus sûr moyen qu'il me demande à ma mère. Et ce matin, il m'a demandée. Voilà. marius. − Eh bien, ma fille, tu es une belle menteuse. Pagnol, Marius,1931, I, 9, p. 76.
Loc. adv. À belles dents*.Croquer, déchirer, dévorer, manger, mordre à belles dents :
74. Les pauvres enfants étaient affamés, y compris Gavroche. Tout en arrachant leur pain à belles dents, ils encombraient la boutique du boulanger qui, maintenant qu'il était payé, les regardait avec humeur. Hugo, Les Misérables,t. 2, 1862, p. 152.
Au fig. Déchirer (qqn) à belles dents. Médire (de quelqu'un) avec un plaisir cruel :
75. Si je me rends, que dira-t-on de moi? N'est-ce pas une femme bien abjecte que celle qui obéit à point nommé, à l'heure convenue, à une pareille proposition? Ne va-t-on pas la déchirer à belles dents, la montrer au doigt, et faire de son nom le refrain d'une chanson à boire? Musset, Les Caprices de Marianne,1834, II, 1, p. 150.
76. Ensemble nous déchirions à belles dents la famille de Zaza et ses amis : cela me soulageait un peu. S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 278.
2. [Importance quantitative] Une belle foule, un beau public; une belle somme, un beau magot, une belle dot, une belle fortune, de beaux bénéfices, de belles rentes; une belle vente, de belles spéculations; une belle prise, une belle récolte; prendre un beau poisson. Il aurait fallu attendre le coucher du soleil... c'est le moment des beaux coups de filet (Mauriac, Asmodée,1938, IV, 1, p. 141).Au sein de ce paysage, un lac de belle étendue, mais non immense, ... (Sainte-Beuve, Volupté,t. 1, 1834, p. 157):
77. Tu me feras damner; tu es incorrigible. J'avais les plus belles espérances; cette fille-là sera très-riche un jour; tu me ruineras, et tu iras au diable; ... Musset, Il ne faut jurer de rien,1840, I, 1, p. 108.
78. L'autre confectionnait des sacs de tranchées dans une ou deux usines qui tournaient encore, et volait des tissus, les revendait, se faisait de beaux profits. Van der Meersch, Invasion 14,1935, p. 324.
C'est beau, c'est assez beau. Le père Séchard a laissé deux cent mille francs de biens au soleil, comme on dit, et c'est assez beau déjà pour un homme qui a commencé par être ouvrier (Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes,1847, p. 312).
3. [Importance sociale, avec gén. implication de 2] Une belle position, une belle situation :
79. Il va partir pour Paris, il aura là-bas une belle situation dans le haut commerce. Zola, La Faute de l'Abbé Mouret,1875, p. 1247.
80. Il avait décidé qu'il ferait un jour un beau mariage, et dans sa tête il était arrêté qu'il épouserait une des héritières de la chocolaterie. Aragon, Les Beaux quartiers,1936, p. 41.
4. [Importance psychol.] C'est d'un bel optimisme; une belle surprise, une belle envie :
81. Le duc de Vermandois vient d'être revêtu de la charge d'amiral; Mmede La Vallière a reçu cette marque d'une faveur insigne avec la plus belle indifférence. Jouy, L'Hermite de la Chaussée d'Antin,t. 2, 1812, p. 6.
82. Le caractère espagnol fait une belle opposition avec l'esprit français; dur, brusque, peu élégant, plein d'un orgueil sauvage, jamais occupé des autres : ... Stendhal, De l'Amour,1822, p. 161.
II.− [Beau exprime une appréciation défavorable]
A.− P. iron.
Mon beau monsieur! Ma belle dame! Mon bel ami! :
83. − Des histoires, des histoires, bel ami, fait l'avocat! Vous m'aviez pourtant bien promis de me payer selon mes conditions. Faral, La Vie quotidienne au temps de st Louis,1942, p. 95.
C'est du beau travail! de la belle besogne (supra I A 2 c) :
84. Il la sentait sur lui, enlacée à lui, chaude et terrifiée, sa sœur! Alors, tout bas, de peur que quelqu'un l'écoutât, si bas qu'elle-même l'entendit à peine : « Malheur! J'avons fait de la belle besogne! » Elle eut, en une seconde, les yeux pleins de larmes... Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, Le Port, 1889, p. 1336.
P. ell.
En dire, en entendre de belles (choses fâcheuses, scandaleuses, ...) :
85. don césar. − Ô Lucindes d'amour! Ô douces Isabelles! Eh bien! Sur votre compte on en entend de belles! Quoi! L'on vous traite ainsi, beautés à l'œil mutin, À qui je dis le soir mes sonnets du matin! Hugo, Ruy Blas,1838, I, 2, p. 343.
86. Adieu; je m'habille pour aller dîner chez la Kisseleff. Ah! l'on en a dit de belles! (...) J'ai été prudent, quoique hurlant avec les loups, mais ne parlant que des choses officielles et connues. Balzac, Lettres à l'Étrangère,t. 2, 1850, p. 231.
87. ... le réquisitoire de M. Manau, ainsi que l'ordre de mise en jugement, nous en apprennent de belles sur le procès qui était en voie de préparation. Clemenceau, Vers la réparation,1899, p. 545.
En faire de belles (sottises) :
88. Ah! Te voilà! ... Eh bien, tu en as fait de belles! gabrielle, ahurie. − Moi! Où ça? Quand ça? Comment ça, de belles? petypon. − Mais, là-bas, chez mon oncle! Feydeau, La Dame de chez Maxim's,1914, III, 4, p. 58.
B.− P. antiphrase
1. [Avec une idée d'inefficacité] Une belle dose de naïveté; de belles phrases creuses, ronflantes :
89. − Oui, mais tout cela n'empêche pas mon comte de Monte-Cristo d'exister! − Pardieu! Tout le monde existe, le beau miracle! A. Dumas Père, Le Comte de Monte-Cristo,t. 1, 1846, p. 582.
90. − Mais, monsieur, j'ai un peu de fièvre. Il toucha sa main. − Pas en ce moment en tous cas. Et puis la belle excuse! Ne savez-vous pas que nous laissons au grand air, que nous suralimentons, des tuberculeux qui ont jusqu'à 39? Proust, Le Côté de Guermantes 1,1920, p. 302.
91. − Votre beau-père était un ermite, c'est entendu, je l'ai mieux connu que vous... Mais le beau mérite! Maurois, Climats,1928, p. 232.
La belle affaire! La belle avance! :
92. − Deux cents francs! La belle affaire! C'est mon dû que je veux, c'est dix mille francs. Zola, La Fortune des Rougon,1871, p. 143.
93. C'était vraiment donner trop d'importance à un diplôme. Il était bachelier. La belle avance! C'est à présent que la difficulté commençait. Gide, Les Faux-monnayeurs,1925, p. 1208.
Expr. Cela (me, nous, vous) fait une belle jambe* :
94. MmeRezeau n'osa pas dire : « Ça me fait une belle jambe! », mais, par suite d'une silencieuse association d'idées, elle se caressa longuement le tibia. H. Bazin, Vipère au poing,1948, p. 94.
95. ... le cardinal André, en te promettant sa voix, t'a affirmé dernièrement encore que tu avais derrière toi toute l'Église. − Voilà qui me fait une belle jambe! − Mon ami! ... − Nous venons de voir avec Anthime ce que valait la haute protection du clergé. Gide, Les Caves du Vatican,1914, p. 710.
Un beau parleur. Une personne qui ne dit que des futilités.
96. Toujours il avait eu la réputation d'un mauvais sujet et d'un noceur, poussé par ce besoin de faire le beau parleur autour des tables d'auberge, d'étonner la galerie par ses façons conquérantes. Moselly, Terres lorraines,1907, p. 133.
De belles paroles. Des paroles inutiles :
2. [Avec une idée de désagrément et en outre une idée d'importance (supra I B)]
Traiter qqn de la belle manière*, de la belle façon*.
Être dans de beaux draps. Être dans une situation fâcheuse. Nous voilà encore dans de beaux draps par sa faute (Zola, La Joie de vivre,1884, p. 947):
97. « Mais comme j'ai bien fait de garder mes réserves en cas de coup dur; nous serions dans de beaux draps si j'avais suivi François! », ... Druon, Les Grandes familles,t. 2, 1948, p. 90.
Une belle maladie, une belle bronchite; avoir une belle grippe; une belle injustice, une belle inquiétude, une belle peur; un beau scandale. Les blessures du plus profond amour suffisent à faire une assez belle haine (Malraux, La Condition humaine,1933, p. 328).Ah! C'est vous, l'oncle! Eh bien, vous m'avez fait une belle peur (Montherlant, Les Célibataires,1934, p. 750):
98. − Je ne vous ai pas chipé la lettre, mon vieux, vous l'aviez laissée traîner sur le bureau du maître avec la copie de la veille − une belle gaffe! Je me demandais même tout à l'heure si vous ne l'aviez pas fait exprès. Bernanos, Un Mauvais rêve,1948, p. 884.
Être dans un bel état :
99. − « Ah! Madame est dans un bel état! Elle a renvoyé ce matin son groom qui l'insultait. Elle croit qu'on va piller partout! Elle crève de peur! D'autant plus que Monsieur est parti! » Flaubert, L'Éducation sentimentale,t. 2, 1869, p. 104.
Un beau salaud :
100. « Oui, c'était un beau salaud. Et alors? À quoi ça avance, un salaud de moins sur terre? Descendre des collabos en 43, bien d'accord. Mais maintenant, ça ne sert à rien, c'est quasi sans risque, ... » S. de Beauvoir, Les Mandarins,1954, p. 150.
Loc. Il ferait beau voir. Il serait incroyable de voir, il serait bien étrange de voir. Je suis libre! Évidemment je suis libre. Il ferait beau voir qu'on m'empêche d'être libre (Arland, L'Ordre,1929, p. 409):
101. − Nous parlerons bien, peut-être, nous autres, femmes. − Vous autres! Rentrez vos langues dans le fourreau. − Tiens! Tiens! Il ferait beau vous voir nous en empêcher! Gozlan, Le Notaire de Chantilly,1836, p. 255.
III.− [Beau exprime une idée d'imprévisibilité ou d'inattendu]
A.− [L'idée dominante est celle de hasard, d'imprévisibilité]
Un beau jour. Un certain jour. Un beau matin, un beau soir :
102. Par je ne sais quelle aventure, Un avare, un beau jour, voulant se bien traiter, Au marché courut acheter Des pommes pour sa nourriture. Florian, Fables,L'Avare et son fils, 1792, p. 146.
103. ... un beau matin, l'on peut, si l'on a cessé de plaire, être expédié, comme un simple colis, au loin, à destination d'un autre cloître. Huysmans, L'Oblat,t. 1, 1903, p. 12.
Au beau milieu de. En plein milieu de.
1. [Concerne l'espace] Au beau milieu d'un terrain, de la forêt, d'une pelouse; au beau milieu du chemin, de la chaussée, de la route; au beau milieu du visage, du nez :
104. ... un enfant, une femme accroupie, par hasard, au beau milieu des routes vides, et où ne passent que des enterrements. Fromentin, Voyage en Égypte,1869, p. 140.
2. [Concerne le temps] Au beau milieu de la journée, de la nuit :
105. Et cela! Vous ne savez pas ce que c'est, vous, dame de la ville! C'est comme un avertissement de l'automne au beau milieu du printemps. Ce sont les petits chrysanthèmes d'or qui vivent là, dans l'encoignure. G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Suzanne et les jeunes hommes, 1941, pp. 189-190.
Absolument :
106. L'expression des gens parfois que l'on croise sur les trottoirs C'est comme un cinéma permanent quand on entre au beau milieu. Aragon, Le Roman inachevé,1956, p. 91.
Au fig. Au beau milieu de la conversation, d'un entretien, d'une phrase :
107. Je sentis la sueur perler à mon visage et à mes mains. J'avais jeté le mot au pire moment, au beau milieu d'une phrase... Gracq, Un Beau ténébreux,1945, p. 121.
En belle vue. En évidence. Parmi les nappes, les serviettes, en belle vue, pend un morceau d'andrinople rouge (R. Martin du Gard, Les Thibault,L'Été 1914, 1936, p. 713).
En belle place :
108. Le panier que nous lui envoyons au jour de l'an est en belle place sur le marbre de son secrétaire. E. et J. de Goncourt, Journal,1958, p. 436.
B.− [L'idée dominante est celle de chose espérée (exprimée par avoir beau) et de déception (exprimée par la proposition subséquente)]
Avoir beau + inf. (avec valeur concessive). L'oncle Édouard a eu beau faire, beau s'évertuer, s'époumoner... ils démordaient pas de leur avis (Céline, Mort à crédit,1936, p. 346).J'ai eu beau donner de la voix, personne, hélas, n'est venu me détacher (Camus, La Dévotion à la croix, adapté de Calderon de La Barca, 1953, p. 574).J'ai eu beau chercher, je n'ai pas trouvé de solution (F. Sagan, Bonjour tristesse,1954, p. 107):
109. J'avais eu beau chercher du haut de la crête les feux de la gare du plantier, pas moyen, la nuit me poussait dans le dos... Bernanos, Monsieur Ouine,1943, p. 1382.
110. ... « Je suis sûr que Simon m'a menti. Il a eu beau jurer, il ne vaut pas mieux que les autres. (...) » Green, Moïra,1950, p. 83.
111. Vous avez eu beau vous entourer de précautions, nous voilà classés comme anticommunistes; ... S. de Beauvoir, Les Mandarins,1954, p. 385.
Avoir beau dire et beau faire :
112. Mais ils ont beau faire et beau dire, ils n'en diront jamais pis sur mon compte qu'on n'en a dit à Cambridge dans un discours public prononcé ex cathedra, en 1844, contre notre maître en art et en critique, Goethe. Sainte-Beuve, Les Cahiers,1869, p. 148.
113. Elle était pas très mal roulée... seulement elle avait un tic et puis elle louchait... je me suis présenté comme ça du journal... elle a cru d'abord comme les autres qu'elle venait de gagner le gros lot... elle a insisté pour que je reste... elle a été me chercher des roses! ... J'avais beau dire et beau faire... elle comprenait rien... Céline, Mort à crédit,1936, p. 509.
114. Et l'on voyait pendre au revers ses cravates qui est-ce qui N'aurait derrière soi cru voir soudain passer Maïakovski On a beau faire on a beau dire il est là joue aux cartes fume Et ses vers chantent quelque part dans la poche de ses costumes Aragon, Le Roman inachevé,1956, p. 184.
IV.− [Beau, belle élément de synt. figé]
A.− [Avec valeur adj.]
1. [Avec valeur d'épithète]
a) [Exprime certaines relations de parenté] Beau-frère*, beau-père*, belle-mère*, belle-sœur*, belle famille*, beaux-parents*.
b) [Exprime une idée de noblesse ou de désintéressement]
Les beaux-arts*, les belles-lettres*.
Expr. Faire qqc. pour les beaux yeux de qqn. Faire quelque chose de manière désintéressée :
115. madame dufouré. − Et ma dot, monsieur? J'ai eu une dot! dufouré. − Eh! parbleu! je m'en souviens bien. Croyez-vous que je vous eusse épousée pour vos beaux yeux? ... Barrière, Capendu, Les Faux bonshommes,1856, II, 6, p. 64.
c) [Exprime une idée d'importance qualitative ou quantitative] Cf. aussi supra I B 2.
Il y a beau jour (que), il y a beau temps (que), il y a belle lurette (que). Il y a longtemps :
116. Il y a beau jour que j'ai renoncé à rougir de ma vanité, et même à m'en corriger. De tous mes défauts, c'est celui qui m'amuse le plus. Renard, Journal,1902, p. 767.
117. Le Dieu de la Genèse, il y avait beau temps, nous avait interdit « de manger de l'arbre de la connaissance », ... Guéhenno, Jean-Jacques,En marge des « Confessions », 1948, p. 303.
Depuis belle lurette, depuis beau temps. Depuis longtemps. J'avais renoncé d'ailleurs, depuis belle lurette à toute espèce d'amour-propre (Céline, Voyage au bout de la nuit,1932, p. 527).
[En parlant d'une pers.] Un bel âge. Un âge avancé.
IMPR. Belle page. La page impaire d'un livre, celle qui se trouve à la droite du lecteur.
Vx ou région. (Canada). Beau dommage. Certainement :
118. − Pas à la chasse encore? − Beau dommage. Il est toujours pas allé ramasser des framboises. Il va coucher aux noirs, vous le savez ben : son affût est au bord de la baie. G. Guévremont, Le Survenant,1945, p. 73.
119. Vot'père a dit cinq chambres. T'auras p'têtre la tienne, Yvonne. Il faut pas se bâtir des châteaux en Espagne, beau dommage, tant qu'on aura pas vu la maison, mais ça me dit qu'on va être mieux qu'icitte. G. Roy, Bonheur d'occasion,1945, p. 339.
d) Expr. diverses
Être en belle humeur. Être bien disposé ou être dans de bonnes dispositions :
120. Il paraît que les Maupassant sont toujours en belle humeur, et que les facéties découlent mieux que jamais de leurs lèvres. Flaubert, Correspondance,1843, p. 139.
121. M. L'Ambert lui enseigna que promettre et tenir ne sont point synonymes : il daigna lui expliquer (car il était en belle humeur) les mérites et les dangers de la figure appelée hyperbole. About, Le Nez d'un notaire,1862, p. 173.
Dormir à la belle étoile*. Dormir en plein air :
122. Donadieu avait passé la nuit à Lille avec beaucoup d'autres, dormi sur le trottoir, à la belle étoile. Van der Meersch, Invasion 14,1935, p. 11.
Tout nouveau*, tout beau :
123. Quand nous nous sommes retrouvés il y a cinq mois tu ne m'as pas déçu, au contraire : tout nouveau, tout, beau. Mais ensuite je t'ai connu, et il a fallu déchanter. Montherlant, Fils de personne,1943, III, 1, p. 314.
2. [Avec valeur d'attribut]
a) [Exprime une idée de désagrément ou de contrariété]
La bailler belle. En faire accroire. Tu me la bailles belle, tu me prends pour un imbécile (Drieu La Rochelle, Rêveuse bourgeoisie,1939, p. 130):
124. Peur est un mot qui sonne désagréablement aux oreilles françaises. M. L'Ambert frappa du pied, marcha droit au docteur et lui dit avec un petit rire trop nerveux pour être naturel : − Parbleu! docteur, vous me la baillez belle. Est-ce que j'ai l'air d'un homme qui a peur? About, Le Nez d'un notaire,1862, p. 86.
125. La Sulmerre n'a point jugé à propos de m'attendre; la Sulmerre ne m'aime pas. Maudite imagination! Tu me la baillais belle avec tes vains mirages d'amour, de tendresse, de sincérité! Milosz, L'Amoureuse initiation,1910, p. 104.
La manquer belle. Manquer, perdre une bonne occasion.
L'avoir beau; l'avoir belle. Avoir des chances de réussite. Vous l'avez beau. Vous ne l'aurez jamais plus belle (Ac.1835-1932) :
126. S'ils avaient organisé la résistance à Paris, comme je le conseillais, et forcé la main du Roi, ils l'avaient belle de boucler la sédition en cinq secs et de remettre tout en place. L. Daudet, Les Lys sanglants,1938, p. 167.
b) [Exprime une idée de soulagement]
L'échapper belle. Échapper de justesse à un péril, à un danger :
127. − Le lieutenant l'a échappé belle, disait le chirurgien-major. Quelques millimètres plus bas, ce morceau de plomb mâché que je lui ai cueilli entre les côtes perforait le poumon. De Vogüé, Les Morts qui parlent,1899, p. 255.
128. ... la grenade éclata en l'air, le milicien tomba, et le sang ruissela sur le visage de Ximénès. Le milicien était blessé à l'épaule. Il l'avait échappé belle. Malraux, L'Espoir,1937, p. 570.
Arg. La faire belle. Avoir le dessus. Il ne pouvait pas la faire belle avec moi (Esn.1966).
c) [Pour renforcer l'expr.] Bel et bon. C'est du bel et bon or, pur de tout alliage (Gobineau, Nouvelles asiatiques,L'Illustre magicien,1876, p. 96);Est-ce qu'il n'avait pas payé la créance de bel et bon argent? (Zola, L'Argent,1891, p. 292).
[Avec une idée de contrariété ou de déception] Tout cela est bel et bon, mais c'est enfantin (Gracq, Le Rivage des Syrtes,1951, p. 130):
129. Tout cela est bel et bon, mais n'approfondit en rien ce que j'avais la sensation de toucher hier soir à la Celle Saint-Cloud et ce matin dans l'autobus en ce qui concerne les deux états intellectuels et moraux que postule la maxime de Vigny, ... Du Bos, Journal,1922, p. 140.
B.− [Avec valeur subst.]
1. [Le subst. désigne une pers.] Un beau, une belle. Un homme beau, une femme belle.
En partic.
a) Un beau. Homme d'une élégance recherchée et soucieux de plaire. Un vieux beau. Homme d'un certain âge empressé auprès des femmes. Un vieux beau, (...), dansait avec MmeRosanette, ... (Flaubert, L'Éducation sentimentale,t. 1,1869, p. 147);Georges Hugo, l'air, déjà, d'un vieux beau qui serait maladroit à se faire une tête (Renard, Journal,1905, p. 958):
130. Delahante, le vieil amant de Rachel, le vieux beau orléaniste, n'a plus aujourd'hui pour figure qu'une bouillie de papier mâché, tenue en place par le triangle de fer de son faux-col. E. et J. de Goncourt, Journal,1881, p. 130.
Loc. Faire le beau
[En parlant d'une pers.] Prendre des poses, des airs avantageux. P. métaph. :
131. ... Mon cerveau N'est pas ce qu'un vain peuple pense, C'est quand satisfaite est ma panse, Qu'il s'éveille et qu'il fait le beau. Ponchon, La Muse au cabaret,La Question culinaire, 1920, p. 117.
[En parlant d'un chien] Se dresser sur ses pattes de derrière. P. ext. :
132. Après que le lion eut fait le beau, que le dompteur eut salué, et qu'ils eurent été récompensés tous deux par le tapage du public, Goujart eut la prétention d'emmener encore Christophe à un troisième concert. R. Rolland, Jean-Christophe,La Foire sur la place, 1908, p. 682.
b) Une belle. Toute femme, considérée comme belle par définition. Ces stupides abandons dont les belles sont coutumières (Milosz, L'Amoureuse initiation,1910, p. 179):
133. À l'aspect de vos barbes grasses, D'effroi vous voyez fuir les Graces; Ou, de truffes en vain gonflés, Près de vos belles vous ronflez. Béranger, Chansons,t. 1, Les Gourmands, 1829, p. 98.
[En apostrophe] Ma belle! Locution exprimant l'affection.
2. [Le subst. désigne une chose concr. ou abstr.]
a) Subst. masc. [En parlant du temps] Être au beau. D'ailleurs l'année était excellente : le temps était au beau fixe sans être trop chaud (Jouve, Paulina 1880,1925, p. 78).
b) Subst. fém.
BOT. Belle-de-jour*, belle-de-nuit*, belle-d'onze-heures*, belle-d'un-jour*.
JEUX. La belle. Partie qui doit permettre de départager les ex æquo. Jouer la belle :
134. On sait que deux joueurs jouent la belle (sous-entendu partie), lorsqu'après avoir gagné chacun une partie, ils conviennent d'en risquer une dernière, décisive en ce qu'elle ne sera pas suivie d'une revanche. Larch.1861.
Arg. Attendre sa belle. Guetter la revanche, l'occasion favorable (A. Delvau, Dict. de la lang. verte,1866, p. 28).Faire la belle. S'évader.
3. [Beau, toujours au sing., désigne une valeur abstr.]
a) [Le beau comme valeur esthétique] Ce qui suscite une émotion, un plaisir esthétique. ... l'idée du beau, c'est cette science qu'en Allemagne on appelle l'esthétique (Cousin, Du Vrai, du beau et du bien,1836, p. 12).Le beau, c'est la beauté vue avec les yeux de l'âme (Bremond, La Poésie pure,1926, p. 126):
135. Dans son âme d'artiste, il (Adoniram) se dit que le beau glorifie Dieu, et il cherche le beau avec une piété naïve. G. de Nerval, Voyage en Orient,t. 3, 1851, p. 137.
136. Le Beau (...) c'est ce qui, dans tous les temps et dans tous les pays, trouve des âmes sur qui il agisse, et des esprits pour l'admirer, en dépit des différences de mœurs, de caractères et de préjugés. V. Courdaveaux, Du Beau dans la nature et dans l'art,1860, p. 116.
137. Le Beau, en agissant sur notre sensibilité, y produit un sentiment agréable distinct de la sensation, une jouissance intellectuelle, élevée, noble et désintéressée. Ch. Levêque, La Science du beau,1872, p. 6.
138. Si le beau est présence réelle de Dieu dans la matière, si le contact avec le beau est au plein sens du mot un sacrement, comment y a-t-il tant d'esthètes pervers? S. Weil, La Pesanteur et la grâce,1943, p. 151.
En partic. Ce qui correspond à certaines normes d'équilibre, de plastique, de proportions harmoniques, de perfection en son genre, etc. (cf. Lal. 1968) :
139. ... nous pouvons espérer de parvenir un jour à une théorie du beau, d'après laquelle la peinture, l'architecture et la statuaire seraient traitées comme des sciences exactes... P.-J. Proudhon, De la Création de l'ordre dans l'humanité,1843, p. 245.
140. On a beaucoup défini le beau en art. Ce que c'est? Le beau est ce que les yeux sans éducation trouvent abominable. Le beau est ce que ma maîtresse et ma servante trouvent d'instinct affreux. E. et J. de Goncourt, Journal,1859, p. 587.
141. Il [le mot esthétique] me fait hésiter l'esprit entre l'idée étrangement séduisante d'une « Science du Beau », qui, d'une part, nous ferait discerner à coup sûr ce qu'il faut aimer, ce qu'il faut haïr (...) et qui, d'autre part, nous enseignerait à produire, à coup sûr, des œuvres d'art d'une incontestable valeur. Valéry, Variété 4,1938, p. 239.
Le beau idéal. ... le beau idéal change tous les trente ans, en musique (Stendhal, Vie de Rossini,1823, p. 17):
142. Nos peintres sont enchantés d'avoir un beau idéal tout fait et en poche qu'ils peuvent communiquer aux leurs et à leurs amis. E. Delacroix, Journal 3,1863, p. 345.
b) [Le beau comme valeur autre qu'esthétique] Ce qui suscite l'admiration en raison de sa valeur intellectuelle ou morale (cf. beauté III) :
143. ... Tasse, en peignant les chevaliers, a tracé le modèle du parfait guerrier, tandis qu'Homère, en représentant les hommes des temps héroïques, n'a fait que des espèces de monstres? C'est que le christianisme a fourni, dès sa naissance, le beau idéal moral, ou le beau idéal des caractères, et que le polythéisme n'a pu donner ce grand avantage au chantre d'Ilion. Chateaubriand, Génie du Christianisme,t. 1, 1803, p. 358.
144. Quant au beau moral chrétien, intérieur, tout rentré et tout voilé, nous le surprenons ici dans son essence la plus pure. Port-Royal désormais ne nous en offrira point d'exemple plus accompli. Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 3, 1848, p. 290.
C.− [Avec valeur adv.]
1. Loc. verbales
Montrer beau. Avoir un aspect agréable, une jolie apparence :
145. La vigne montrait beau; le mildiou laissant la feuille, vivait sur la grappe; sous les pampres touffus des ceps bas, les grains pauvres cachaient leur laideur honteuse. Hamp, Vin de Champagne,1909, p. 133.
Porter beau. [En parlant d'un cheval] Avoir un beau port de tête.
P. anal. et au fig. [En parlant d'une pers.] Avoir belle prestance, belle allure :
146. ... il portait beau pourtant, la barbe en éventail, cynique et lettré, lâchant encore de temps à autre une phrase fleurie d'ancien universitaire. Zola, L'Argent,1891, p. 124.
Trouver beau. Trouver agréable :
147. L'homme trouve beau ce qui lui ressemble dans les êtres et dans les choses, ce qui le soutient, le ranime, le réchauffe, l'éclaire. Vigny, Le Journal d'un poète,1861, p. 1360.
Il fait beau; avoir beau temps. Cf. supra I A 2 a.Je pense que nous aurons encore beau temps demain (Druon, Les Grandes familles,t. 1, 1948, p. 123).
2. Loc. adv.
En beau. Sous un jour favorable :
148. Il faut placer quelque part de ces caractères d'hommes qui voient tout en beau, qui sur un seul mot qu'on leur dit d'une chose bâtissent un long roman... Chénier, L'Amérique,1794, p. 121.
En belle (pop.) :
149. L'homme se tira vers Olivier. Il cligna de l'œil vers la cuisine où la fille rinçait les verres. − Ça semble pas, il dit, mais de temps en temps, une grognasse comme celle-là, ça te met la vie en belle. Seulement, voilà : faut du rupin. Giono, Le Grand troupeau,1931, p. 90.
Tout beau (vx ou littér.). [Pour inviter au calme ou à la modération] Là, là, tout beau, nous irons au tir (Balzac, Le Père Goriot,1835, p. 117).
Bel et bien. Réellement, d'une manière tout à fait sûre. Oui, ma chère, et le rapt est bel et bien consommé (A. Dumas Père, Le Comte de Monte-Cristo,t. 2, 1846, p. 524):
150. Les hôtels cessaient d'être les loges d'un théâtre étrange et devenaient bel et bien des demeures éteintes exprès, barricadées sur le passage de l'ennemi. Cocteau, Les Enfants terribles,1929, p. 11.
De plus belle. Encore plus fort. Crier, hurler, pleurer, rire, sangloter de plus belle; continuer, recommencer de plus belle. Ça tirait, ça claquait, ça explosait de plus belle (Sartre, La Mort dans l'âme,1949, p. 185).
REM. GÉN. Forme de l'adj. au masc. sing. Bel, forme normale du masc. en a.fr. comme l'attestent certaines appellations (Philippe le Bel) ou des loc. figées (bel et bien, bel et bon) est encore employé normalement en fr. : lorsqu'il est antéposé à un subst. commençant par une voyelle ou par un h muet afin d'éviter la rencontre de 2 voyelles : (un bel arbre, un bel enfant, un bel habit, un bel héritage). C'est, sans doute, ce même souci qui incite quelquefois certains aut. à employer bel − postposé au subst. qu'il qualifie − devant n'importe quel terme à initiale vocalique faisant partie du même syntagme; Grev. 1969, § 345, A, N.B. 4 cite 2 ex., l'un devant à : Il entra, très bel à voir encore (G. Duhamel, Défense des Lettres, p. 227) l'autre devant encore : Il est beau, son nom est plus bel encore (R. Kemp dans les Nouv. litt., 2 avr. 1959); lorsqu'un autre adj. est coordonné à l'aide de la conj. et, beau ou bel sont l'un et l'autre possibles. Grev. 1969, § 345, A, N.B. 4 rappelle les règles fixées à ce sujet par l'Office de la Langue française (cf. Fr. mod., juin-juill. 1938, p. 212) ,,... quand une seconde épithète précédée de et s'intercale entre le premier adjectif et le nom, on a le choix entre bel (...) et beau [si le nom commence par une voyelle] (...) L'Office fait observer que si le nom commence par une consonne, force est d'employer beau (...) de même lorsque les épithètes sont postposées.`` Ces règles sont le plus souvent observées, mais pas de manière absolue, ainsi que le prouvent les ex. suiv. : à côté du bel et inusable Hubert Robert (Lhote, Peint. d'abord, 1942, p. 42), ce bel et vaste herbage (Crévecœur, Voyage dans la Haute Pensylvanie, 1801, p. 286), un bel et spécieux expédient (P. Borel, Champavert, Dina, la belle juive, 1833, p. 115), le bel et sonnant enjeu (L. Cladel, Ompdrailles, 1879, p. 119), bel et plaisant effet (Larbaud, Journal, nov. 1931, p. 255); lorsque le subst. postposé est à initiale consonantique, c'est la forme beau qui est généralement employée : ce beau et froid calcul (Maurras, Kiel et Tanger, 1914, p. 136), ce beau et froid mois de mai (Michelet, Journal, mai 1842, p. 399), votre beau et charmant livre (Hugo, Correspondance, 1853, p. 174), un beau et charmant talent (Id., ibid., 1862, p. 386), cependant notre documentation fournit un ex. infirmant cette tendance : au bel et suggestif visage d'une femme (Du Bos, Journal, mai 1927, p. 284) et Grev. 1969, § 345, A, N.B. 4 note que ,,plus d'un écrivain, tenant compte simplement du fait que le mot suivant commence par une voyelle, emploie librement les formes en -l``. Cette affirmation semble confirmée par le fait que si les deux adj. coordonnés sont postposés au subst., les 2 formes, là encore sont possibles : un amour bel et sain (Jammes, Les Géorgiques chrétiennes, 1911, p. 27), Mon or, si bel et si clair (Montherlant, Malatesta, IV, 9 dans Grev. 1969, § 345, A, N.B. 4), quoique beau soit alors la forme la plus attendue : le temps (...) beau et chaud (Maine de Biran, Journal, 1816, p. 217), ce qu'on a reconnu vrai, beau et utile (Sieyès, Qu'est-ce que le Tiers-état? 1789, p. 91).
PRONONC. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [bo], bel (masc.), belle (fém.) [bεl]. Enq. : /bo/. 2. Homon. : bau (solive pour affermir le bordage), baud (chien courant de Barbarie), baux (de bail), bot. Grev. 1964, § 345 rappelle : ,,Ce sont des considérations étymologiques (lat. generalis, bella, nulla, etc.) qui ont fait doubler ou non l au féminin. On hésitait jusque dans le xviiiesiècle entre générale et généralle, naturele et naturelle, etc. Belle a entraîné le redoublement dans tous les adjectifs en -el. Dans les adjectifs en -eil et dans gentil, l a été doublé pour rendre le son mouillé.`` (Au sujet du masc. bel et du fém. belle, cf. aussi Gramm. Lar. 1964, § 296). Pour l'expr. bel-esprit, dernière transcr. dans Littré : bè-lè-spri. Gattel 1841 fait la rem. suiv. : ,,Au sing. ces deux mots unis par un tiret n'en font qu'un; au pl. on dit en deux mots séparés : Beaux esprits.``
ÉTYMOL. ET HIST. − A.− Adj. 1. qui fait éprouver une émotion esthétique a) 900 en parlant d'êtres humains (Eulalie, 2 dans Gdf. Compl.); xes. épithète de courtoisie, d'affection (St Alexis, éd. Storey, 216 : bel sire), v. beau-frère, belle-sœur, etc.; b) xes. en parlant d'inanimés (La Passion, éd. d'Avalle, 63 : belz murs); 2. qui fait éprouver un sentiment de satisfaction ca 1100 « importante, considérable » (Roland, éd. Bédier, 517); en parlant de choses intellectuelles (Ibid., 2243 : par mult bels sermons); d'un sentiment (Ibid., 2710 : Par bel'amur); de phénomènes atmosphériques (Ibid., 157 : Bels fut li vespres); 1172-75 subst. (Chr. de Troyes, Chevalier Lion, 807 dans T.-L.); ca 1100 en parlant de qualités morales (Roland, éd. Bédier, 3006); par antiphrase xiies. (Eneas, 6778 dans T.-L.). B.− Loc. 1285 loc. adv. bien et bel (Adenet, Cléomades, Ars. 3142, fo49cdans Gdf.); 1566 loc. verbale avoir bel à + inf. sens adversatif actuel (Des Masures, David fugitif, 477 dans Hug.); 1570 loc. adv. De plus beau « de nouveau » (Aubigné, le Primtems, I, 13, ibid.). Du lat. bellus « beau, gracieux, élégant (surtout en parlant des femmes) » dep. Plaute dans TLL s.v., 1856, 51; « id. (en parlant d'inanimés) » ibid., 1857, 33.
STAT. − Fréq. abs. littér. : 61 696. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 96 472, b) 98 223; xxes. : a) 88 738, b) 74 063.
BBG. − Bach.-Dez. 1882. − Banque 1963. − Baudr. Chasses 1834. − Baudr. Pêches 1827. − Baumann (H.-H.). Zwei kleine Studien zur romanischen Sprachgeschichte. Vox rom. 1969, t. 28, pp. 240-251. − Benveniste (É.). Mécanismes de transpos. Cah. F. Sauss. 1969, no25, p. 57. − Boucher 1835. − Bouillet 1859. − Bruant 1901. − Burgess (G. S.). Contribution à l'ét. du vocab. pré-courtois. Genève, 1970, pp. 114-133. − Canada 1930. − Chass. 1970. − Chesn. 1857. − Ducháček (O.) La Beauté, le beau. La joliesse, le joli. Philol. prag. 1959, t. 2, pp. 45-49. − Ducháček (O.). Les Expr. de la beauté provenant de la sphère du surnaturel. St. neophilol. 1961, t. 33, pp. 30-38. − Ducháček (O.). Joli, beau. Fr. mod. 1961, t. 29, pp. 263-284. − Ducháček (O.). Les Verbes exprimant l'action de « rendre beau ». Kwart. neofilol. 1960, t. 7, pp. 67-80. − Duch. Beauté 1960, passim.Duval 1959. − Éd. 1967. − Électron. 1963-64. − Escarpit (R.). La Merveilleuse hist. de St Glinglin et de la belle Lurette. Vie Lang. 1957, pp. 165-171. − Esn. 1966. − Falk (P.). L'Échapper belle. Hist. d'une greffe. St. neophilol. 1938/39, t. 11, pp. 1-38 [Cr. Pichon (E.). Fr. mod. 1940, t. 8, pp. 175-179; Roques (M.). Romania. 1940, t. 66, p. 112]. − Foi t. 1 1968. − Foulq. 1971. − Foulq.-St-Jean 1962. − France 1907. − Franck 1875. − Garnier-Del. 1961 [1958]. − Goblot 1920. − Gossen (C. T.). Zur lexikalen Gliederung des pikardischen Dialektraumes. In : [Mél. Wartburg (W. von)]. Tübingen, 1968, t. 2, p. 142. − Goug. Lang. pop. 1929, p. 27. − Goug. Mots t. 1 1962, p. 152. − Gramm. t. 1 1789. − Lafon 1969. − Laitier 1969. − Lal. 1968. − Larch. 1880. − Larch. Suppl. 1880. − Lar. méd. 1970. − Le Breton 1960 (s.v. chpile et schpile). − Le Breton Suppl. 1960. − Lerch (E.). L'Échapper belle... Rom. Forsch. 1940, t. 54, pp. 202-226 [Cr. Hasselrot (B.). Z. rom. Philol. 1942, t. 62, p. 196]. − Le Roux 1752. − Littré-Robin 1865. − Masson 1970. − Méd. 1966. − Méd. Biol. t. 1 1970. − Métrol. 1969. − Michel 1856 (s.v. blond). − Miq. 1967. − Monteil (P.). Beau et laid en lat. Paris, 1964, passim. − Mots rares 1965 (et s.v. grand-beau). − Orr (J.). Vous avez beau faire. R. Ling. rom. 1957, t. 21, pp. 197-208. − Piéron 1963. − Pierreh. 1926. − Pierreh. Suppl. 1926. − Pir. 1964. − Rat (M.). Joli, beau... Vie Lang. 1964, pp. 400-403. − Rat (M.). Vieilles loc., mais qui vivent toujours. Déf. Lang. fr. 1965, no27, p. 9. − Remig. 1963. − Rigaud (A.). Du beau, du bon, du bien né. Déf. Lang. fr. 1968, no41, pp. 13-16. − Ritter (E.). Les Quatre dict. fr. Rem. lexicogr. B. de l'Inst. nat. genevois. 1905, t. 36, p. 359. − Rougnon 1935, pp. 274-275. − Sandry-Carr. Haltér. 1963 (s.v. faire). − Sandry-Carr. Manouche 1963 (s.v. choucard). − Sc. 1962. − Soé-Dup. 1906. − Timm. 1892. − Uv.-Chapman 1956. − Will. 1831.

Wiktionnaire

Nom commun 2 - français

beau \bo\ masculin

  1. (Péjoratif) Homme qui joue de sa beauté.
    • Exemple d’utilisation manquant. (Ajouter)

Adjectif 1 - français

beau \bo\ masculin singulier

  1. D’aspect agréable à l’œil ou à l’oreille.
    • Il n’y a de beau que ce qui nous semble inutile ! — (Honoré de Balzac, Modeste Mignon, 1844)
    • On ne pouvait voir de fille plus fraîche, plus riante ; elle était blonde, avec de beaux yeux bleus, des joues roses et des dents blanches comme du lait ; […]. — (Erckmann-Chatrian, Histoire d’un conscrit de 1813, J. Hetzel, 1864)
    • Vuillet était la bête noire d’Aristide. Il ne se passait pas de semaine sans que les deux journalistes échangeassent les plus grossières injures. En province, où l’on cultive encore la périphrase, la polémique met le catéchisme poissard en beau langage : Aristide appelait son adversaire « frère Judas », ou encore « serviteur de saint Antoine », et Vuillet répondait galamment en traitant le républicain de « monstre gorgé de sang dont la guillotine était l’ignoble pourvoyeuse. » — (Émile Zola, La Fortune des Rougon, G. Charpentier, Paris, 1871, ch. III ; réédition 1879, p. 99)
    • Mettez-vous en garde contre ces belles promesses, elles cachent souvent la plus infame des tromperies. — (Gabriel Maury, Des ruses employées dans le commerce des solipèdes, Jules Pailhès, 1877)
    • D’ailleurs, elle voyait bien qu’il était tout jeune et très beau sous sa simple tenue de toile blanche. — (Isabelle Eberhardt, Yasmina, 1902)
    • Il n’y a de beau que ce qui nous semble inutile ! — (Honoré de Balzac, Modeste Mignon, 1844)
    • Marseille, quand elle est belle, est extrêmement belle, mais, dans ses hideurs, elle va au paroxysme. — (Ludovic Naudeau, La France se regarde : le Problème de la natalité, Librairie Hachette, Paris, 1931)
    • Zaheira ne put s’empêcher de penser qu’elle n’avait jamais vu un homme aussi prodigieusement beau. Elle se sentit rougir. Sa gorge se serra. — (Out-el-Kouloub, Zaheira, dans « Trois contes de l’Amour et de la Mort », Édition Corrêa, 1940)
  2. (Par extension) Agréable.
    • Et puis, je continuais à embellir ma maison : […]. Les lilas plantés par Sam étaient en fleur à présent et, l'un dans l'autre, la vie était belle. — (Kristan Higgins, Un grand amour peut en cacher un autre, traduit par Karine Xaragai, éditions Harper Collins & Mosaïc, 2014)
  3. (Météorologie) Qualifie un temps ensoleillé.
    • Le ciel demeurait beau, mais le vent fraîchissait et le roulis de l’aéronat s’accentuait. — (H. G. Wells, La Guerre dans les airs, 1908, traduction d’Henry-D. Davray et B. Kozakiewicz, Mercure de France, Paris, 1910, page 179 de l’édition de 1921)
  4. (Cuisine) Gros.
    • Prendre trois belles tomates.
  5. Grand.
    • — Pourquoi n’as-tu pas mangé un morceau de pain ?
      — J’en ai mangé deux, mais j’ai encore une belle faim.
      — (Hector Malot, En famille, 1893)
  6. Dans les noms composés de parenté, indique que la relation est due à une alliance (incluant un second mariage).
    • Le beau-frère est le frère de l’épouse ou l’époux de la sœur (ou de la belle-sœur).

Nom commun 1 - français

beau \bo\ masculin invariable

  1. (Au singulier) Tout ce qui est excellent, parfait, admirable dans son genre.
    • Je sais que l’effet du beau sur ma sensibilité est de développer grandement et d’une façon ordonnée ma puissance de jouir et d’aimer. — (Charles Lévêque ; La science du beau étudiée dans ses principes, dans ses applications et dans son histoire, 1861)
    • Avant-hier, visite à la fonderie de Ruelle. Quelques faits curieux : les ouvriers gagnent, par jour, de vingt-six à cinquante sous ; la moitié d’entre eux a du bien, de quinze à cinquante mille francs, parfois une petite voiture et le plus souvent une maison. Un colonel américain, en visite à la fonderie, me disait que c’est là le beau de la France : « Ils sont plus heureux que leurs pareils en aucun pays du monde. Surtout, ils ne songent pas à sortir de leur condition. » — (Hippolyte Taine, Carnets de voyage : Notes sur la province, 1863-1865, Hachette, 1897)
    • Les Grecs ne séparaient pas à ce point l’idée de Force et l’idée de Beauté. Ils pensaient que les peintres et les sculpteurs cherchent le Beau à leur manière, et que les athlètes le réalisent en eux-mêmes […] — (Pierre Louÿs, Sports antiques, dans Archipel, 1932)
    • Monsieur, je me suis une fois risqué à penser que le beau n’était qu’une affaire de goût. N’y a-t-il pas des règles différentes pour chaque époque? — (Jean-Paul Sartre, La Nausée, 1938)

Adjectif 2 - français

beau \bo\

  1. Relatif à Beaux, commune française située dans le département de la Haute-Loire.
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Littré (1872-1877)

BEAU (bô ou bèl, bè-l' ; au pluriel l'x se lie : de beaux hommes, dites : de bô-z hommes ; bel se dit devant un mot commençant par une voyelle, mais non pas indifféremment ; c'est seulement devant le substantif auquel il est joint : un bel homme, un bel enfant, mais non pas : il est bel en tout temps, ni : ce drap est bel et bon, mais : est beau et bon ; toutefois on prononce bel dans ces deux phrases presque proverbiales : Tout cela est bel et bon, mais… On l'a bel et bien mis en prison) adj.
  • 1Qui plaît par la forme, en parlant des êtres animés. Ô le bel enfant. Un beau garçon. Femme très belle. Sa pudeur la rendait encore plus belle. Un beau cheval. Un bel arbre. Des traits beaux et réguliers. J'ai vu souhaiter d'être fille, et une belle fille, depuis treize ans jusqu'à vingt-deux, et, après cet âge, de devenir un homme, La Bruyère, 3. Un beau visage est le plus beau de tous les spectacles, La Bruyère, ib. Vous vieillirez, ô ma belle maîtresse, Vous vieillirez et je ne serai plus, Béranger, La bonne vieille. Ce n'est pas le moyen de plaire à ses beaux yeux Que de priver du jour ce qu'elle aime le mieux, Corneille, Cinna, III, 1. …Le lierre Qui croît beau tant qu'à l'arbre il se tient bien serré, Et ne profite point s'il en est séparé, Molière, Sgan. 2.

    Il s'emploie quelquefois avec de et un nom sans article : il était beau d'indignation et de colère.

    Le beau sexe, les femmes.

    Ma belle amie, ma belle enfant, ou simplement ma belle, expression affectueuse et familière dont on se sert envers une jeune fille ou une jeune femme.

    Familièrement, élégant, bien vêtu. Une belle dame. Pourquoi vous faites-vous si beau ?

    Distingué. Le beau monde. Les gens du bel air.

    Beau fils, jeune élégant à mise recherchée, à manières affectées. Ce Saumery avait un cadet qui faisait le beau fils et l'homme à bonnes fortunes, Saint-Simon, 366, 91.

  • 2Remarquable par les proportions, en parlant des choses, qui plaît à la vue, agréable. Une belle maison. Un beau théâtre. Beaux jardins. Un très beau site. Toutes les belles choses sont rares. Chacun trouve beau ce qu'il possède. Les statues de Phidias, qui sont ce qu'il y a de plus beau en ce genre. La plus belle saison de l'année. Rien n'est beau que le vrai, le vrai seul est aimable, Boileau, Art poét. I.
  • 3Qui est en bon état, bon, qui fait bien une chose. Très belle flotte. Champ de belle apparence. Belles moissons. Beau feuillage. Belle santé. Cette maison est en bel air. Un beau mangeur. Un beau danseur. Un beau diseur.

    Beau joueur, celui qui fait les plus grandes pertes au jeu, sans laisser apercevoir le chagrin qu'il éprouve, et figurément, celui qui supporte galamment les diverses chances.

    Belle humeur, bonne disposition de l'âme, gaieté. On dit, par belle humeur et dans la liberté de la conversation, de ces choses froides qu'à la vérité on donne pour telles, et que l'on ne trouve bonnes que parce qu'elles sont extrêmement mauvaises, La Bruyère, 5. Hier dans sa belle humeur elle entretint Valère, Corneille, Hor. I, 1. Que cette belle humeur soit véritable ou feinte, Corneille, Agésil. IV, 7.

    Digne d'être écouté. De belles paroles, de belles promesses. Combien de belles et inutiles raisons à étaler à celui qui est dans une grande adversité, pour essayer de le rendre tranquille ! La Bruyère, 5.

    Ironiquement, de belles paroles, de belles promesses, des paroles dites, des promesses faites, sans qu'on veuille les faire suivre d'effets.

    Un beau pinceau, un beau ciseau, un beau burin, pour dire un bon peintre, un bon sculpteur, un bon graveur.

  • 4Pur, serein. Beau jour. Par un beau temps. Quel beau ciel !

    Il fait beau temps, il fait beau, le temps est beau. Elle se promène dès qu'il fait beau, Sévigné, 253.

    Ironiquement, il fera beau temps, il fera beau quand… c'est-à-dire à l'avenir la chose ne se passera plus de même. Il fera beau temps quand je lui confierai un secret.

    Les beaux jours, la saison chaude de l'année ; et figurément, les beaux jours, les belles années, le bel âge, le temps, l'époque de la jeunesse.

    En termes de marine, une belle mer, une mer qui n'est pas agitée.

    Mourir de sa belle mort, mourir de sa mort naturelle.

    À la belle étoile, en plein air.

  • 5 Fig. Grand, relevé, en parlant des choses de l'esprit. Beaux poëmes. Beaux génies. Belle harangue. De très belles expressions. Il a laissé de beaux ouvrages. J'aime encore les beaux morceaux de Lulli, malgré tous les Glucks du monde, Voltaire, Lettr. Mme du Deffant, 25 janv. 1775.

    Bel esprit, genre d'esprit qui ne manque ni de distinction ni d'élégance, mais qui tombe facilement dans la prétention. La Garouffière, qui prétendait fort au bel esprit, se fit apporter un portefeuille, Scarron, Rom. com. II, ch. 13.

    Un bel esprit, un homme dont l'esprit est orné de connaissances agréables. Voiture est le premier qui fut en France ce qu'on appelle un bel esprit, Voltaire, Louis XIV, Écrivains, Voiture. Je le sais, Théobalde, vous êtes vieilli ; mais voudriez-vous que je crusse que vous êtes baissé, que vous n'êtes plus poëte ni bel esprit ? La Bruyère, 5. Ascagne est statuaire, Hégion fondeur, Eschine foulon, et Cydias bel esprit, c'est sa profession, La Bruyère, ib. Oui, allez dire qu'on peut nous voir ; c'est sans doute un bel esprit qui a ouï parler de nous, Molière, Préc. 7. Vous recevez beaucoup de visites ? Quel bel esprit est des vôtres ? Molière, ib. 10.

    Il se prend souvent en mauvaise part. C'est un bel esprit ennuyeux ; une femme bel esprit.

    Les belles-lettres, la grammaire, l'éloquence et la poésie. Il y avait des savants à belles-lettres qui ne cherchaient que la pureté des langues, Fénelon, XXI, 44.

    Les beaux-arts, l'éloquence, la poésie, la peinture la sculpture, l'architecture, la musique et la danse d'expression.

  • 6Noble, élevé, généreux, glorieux. De beaux sentiments. Un beau caractère. Belle âme. Une belle naissance. Les beaux temps de notre histoire. Jugez mieux du beau feu qui brûle l'un et l'autre, Corneille, Rodog. III, 4. Don Rodrigue et don Sanche à l'envi font paraître Le beau feu qu'en leurs cœurs ses beautés ont fait naître, Corneille, Cid, I, 1. Qu'il mourût, Ou qu'un beau désespoir alors le secourût, Corneille, Hor. III, 6. Rome unique objet d'un désespoir si beau, Racine, Mithr. III, 1. Par un beau désespoir me secourir moi-même, Racine, Baj. II, 3. Au nom d'une amitié si constante et si belle, Racine, Bérén. III, 1. Conduisez ou suivez une fureur si belle, Racine, Andr. IV, 3. Mon malheur est parti d'une si belle cause ? Racine, Mithr. IV, 2. Ah ! que d'un si beau sang dès longtemps altérée Rome tient maintenant la victoire assurée, Racine, ib. V, 1. Vous ne souffrirez pas que le fils d'une Scythe Commande au plus beau sang de la Grèce et des Dieux, Racine, Phèd. I, 3. Là, si tu veux mourir, trouve une belle mort, Corneille, Cid, III, 6. Je mourrai trop heureux, mourant d'un coup si beau, Corneille, ib. III, 4. Il est beau de mourir maître de l'univers, Corneille, Cinna, II, 1. S'efforce à noircir une si belle vie, Corneille, Nicom. III, 8. Ah ! Seigneur, d'une si belle vie Un si faible ennemi peut-il troubler la paix ? Racine, Esth. II, 1. Et beau pour vous sera faire mentir Tout ce qu'a dit de moi la médisance, Chaulieu, à Mme de Bouillon. Qu'il est beau de périr dans des desseins si grands ! Voltaire, Mort de Cés. II, 4.
  • 7Bienséant, convenable, honnête. Il est beau de… Il serait très beau, à mon avis, de… Le plus beau rôle est de regarder. Il y a un langage qui est beau pour les vieillards. Trouvez-vous que cela soit beau ? Cela n'est pas beau. Il n'est pas beau que vous ayez pris sa place.
  • 8Heureux, favorable. Un très beau succès. Un bel emploi. Avoir de belles protections. Être en belle passe. Un beau commencement. L'occasion est belle, il la faut embrasser, Racine, Plaid. V, 1. Seigneur, l'occasion ne peut être plus belle, Corneille, Nicom. II, 8. Cependant puisqu'enfin l'apparence est si belle, Corneille, ib. IV, 2. La paix à qui nos feux doivent ce beau succès, Corneille, Hor. I, 4. Pour moi qui, gémissant sous le poids des années, Ne dois plus espérer de belles destinées, Royou, Phocion, III, 3. Et si ton entreprise a quelques beaux effets, Nous te reconnaîtrons par de plus grands bienfaits, Mairet, Mort d'Asdrub. II, 1. Hélas j'ai cru ce jour le plus beau de ma vie, Voltaire, Brutus, III, 5. Un vieillard qui succombe au poids de ses années Peut-il troubler ici vos belles destinées ? Voltaire, Zaïre, III, 6.
  • 9Gros, grand, considérable, précieux. De belles pommes. Une belle quantité d'or. Une belle somme d'argent. Belle fortune. Belle provision de livres. Ces conquêtes seraient déjà d'assez beaux prix de la victoire. Très beaux présents. Belles promesses. Vous nous avez fait une belle peur. Une belle et bonne fluxion de poitrine. Mais beaux et bons sangliers, daims et cerfs bons et beaux, La Fontaine, Fabl. II, 19. Il vous en rapportera un beau nombre, Pascal, Prov. 4.

    Familièrement. Il y a beau temps qu'il est parti, il y a longtemps qu'il est parti.

    Dans un sens ironique. Répondez, beau défenseur des mauvaises causes. Ô le beau général ! Mon bel ami ! Oh ! la belle victoire que vous remportez ! La belle chose, la belle affaire si… ! Me voilà dans un bel état ! Arrangé de la belle manière. Le bel appui que j'ai là ! Belle demande ! Aussi on en a fait beau bruit en Flandre, Pascal, Prov. 19. Si faut-il voir si cette belle philosophie… La belle chose de crier à un homme…, Pascal, dans COUSIN. La reine les mande [les maîtres des requêtes], les appelle de belles gens pour s'opposer à la volonté du roi, Retz, II, 104. Vous vous taisez exprès et me laissez parler par belle malice, Molière, D. Juan, III, 1. Pendant ce beau discours Seigneur loup étrangla le baudet sans remède, La Fontaine, Fabl. VIII, 17. Quand tout le monde est descendu dans la rue, il s'y fait un bel embarras, Montesquieu, Lett. pers. 24.

    Familièrement. Vous avez fait un beau coup, c'est-à-dire, vous avez fait une maladresse, une action blâmable.

    En faire de belles, en dire, en conter de belles, faire, dire des sottises, des extravagances. De belle sorte, ironiquement, de la bonne manière, sans ménagement. … Que si la colère une fois me transporte, Je vous ferai chanter hélas de belle sorte, Molière, Sgan. 1. Nous les avons menés de la belle manière, Courier, I, 218.

    On lui en fera voir de belles, on le malmènera. Dans le même sens, il verra beau jeu.

  • 10Quelquefois beau est rédondant. Un beau jour il pourra, je l'espère… A beaux deniers comptants. Au beau milieu de la rue. Crier comme un beau diable. Le cheval le déchira à belles dents. Le chat et le renard comme beaux petits saints S'en allaient en pèlerinage, La Fontaine, Fab. IX, 14. Au beau premier lapidaire, La Fontaine, ib. I, 20. Que sa chatte en un beau matin, La Fontaine, ib. II, 18.

    Fig. Déchirer à belles dents, médire.

  • 11Il fait beau, suivi d'un infinitif, il est agréable de. Qu'il fera beau chanter tant d'illustres merveilles ! Racine, Poésies, 2.

    Ironiquement, il fait beau, on serait mal reçu à… Il serait étrange… Il ferait beau alléguer l'opinion publique à Mademoiselle de Pisseleu, Courier, II, 391. Il me ferait beau voir aller à la fontaine des fées, Perrault, 23. Il nous ferait beau voir attachés face à face, Molière, Amph. I, 4. Il ferait beau voir une province entière se disperser dans les forêts, Diderot, Pens. phil. 6.

  • 12 Terme de jeu. Donner beau jeu à quelqu'un, lui donner des cartes maîtresses ; et figurément, donner à quelqu'un les moyens de réussir contre nous. Avoir beau jeu, avoir les cartes maîtresses ; et figurément, avoir l'occasion favorable. Cela lui fait beau jeu, cela lui donne un grand avantage.

    Faire un beau coup, avoir un coup heureux. Fig.

    Un beau coup de bourse, un grand gain.

    Au jeu de paume, donner beau, jouer la balle de manière qu'elle soit facile à prendre. Donner beau sur les deux toits, envoyer la balle à son adversaire de manière à ce qu'elle porte sur les deux toits, ce qui la rend aisée à prendre.

    Fig. et familièrement. Donner beau ou la donner belle à quelqu'un, fournir à quelqu'un une occasion favorable. Pour lui donner plus beau, elle ne cessait de le railler, Hamilton, Gramm. 10. Nous convînmes [Bezons et moi] que, s'il [le duc d'Orléans] nous le donnait beau dans la conversation à l'un de nous deux, celui qui trouverait jour le saisirait pour pousser l'ouverture, Saint-Simon, 251, 107.

    Ironiquement. La donner belle à quelqu'un, se moquer de lui. Cet inconnu, dit-il, nous la vient donner belle D'insulter ainsi notre ami, La Fontaine, Fables, XII, 2. Pinuccio nous l'allait donner belle, La Fontaine, Berc.

    La bailler belle à quelqu'un, lui en faire accroire. On m'en baille, en discours, de belles, Régnier, Épît. III.

    L'avoir beau ou l'avoir belle, avoir l'occasion favorable. Mme de Nemours fut desservie auprès du roi, Puysieux eut beau à la donner comme peu mesurée avec un prince du sang, Saint-Simon, 129, 169.

    Au jeu du mail, mettre en beau, ajuster au milieu pour franchir la passe.

  • 13L'échapper belle, échapper à un grand péril. Nous l'avons en dormant, madame, échappé belle, Molière, Femmes sav. IV, 3. Je viens de l'échapper bien belle, je vous jure, Molière, Éc. des f. IV, 6.

    La manquer belle, perdre une bonne occasion. Le galant indigné de la manquer si belle, La Fontaine, Fiancée.

  • 14Avoir beau, faire inutilement. Il a beau se remuer, il ne réussira pas, c'est-à-dire bien qu'il se remue, il ne réussira pas. La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles, On a beau la prier, Malherbe, à du Périer. On a beau la défendre, on a beau le prier, Corneille, Rod. I, 6. J'ai beau faire et beau dire afin de l'irriter, Corneille, Héracl. V, 2. Je suis reine, seigneur ; et Rome a beau tonner, Elle ni votre roi n'ont rien à m'ordonner, Corneille, Nicom. I, 1. Crois que dorénavant Chimène a beau parler, Je ne l'écoute plus, Corneille, Cid, IV, 3. Et mes feux dans mon âme ont beau s'en mutiner…, Corneille, Rodog. IV, 4. Ils ont beau se cacher ; l'amour le plus discret Laisse par quelque marque échapper son secret, Corneille, Baj. III, 8. Ses vœux depuis quatre ans ont beau l'importuner, Corneille, Brit. II, 2. J'ai beau pleurer, sa mort est résolue, Corneille, Andr. III, 6. On a beau avoir des troupes, Bossuet, Hist. III, 3. Vous avez beau dire et beau faire, Sévigné, 4. On a beau étudier les hommes, Fénelon, Tél. XI. Ce fait [l'Iliade renfermée dans l'alphabet] étant supposé, un homme qui voudra trouver de l'art dans l'Iliade, raisonnera très mal ; il aura beau admirer l'harmonie des vers, la justesse et la magnificence des expressions, Fénelon, Exist. 74. Nous avons beau leur annoncer qu'on meurt comme on a vécu, Massillon, Car. Mort. Vous avez beau faire montre d'une vaine intrépidité, Massillon, Carême, Évidence. Les prophètes avaient beau alors leur reprocher leurs injustices, Massillon, Car. Culte.
  • 15 En termes d'escrime, avoir les armes belles, faire bien des armes et avec grâce.
  • 16 En termes de manége, ce cheval porte beau, il porte bien la tête.
  • 17 S. m. Ce qui est beau, le beau côté d'une chose. Le beau est rare. Où est le beau dans un monceau d'or ? Le beau de cette victoire c'est… Quand on achète, il faut prendre du beau. Lorsqu'on en est maître une fois, il n'y a plus rien à souhaiter, tout le beau de la passion est fini, Molière, Festin, I, 2. Pendant qu'il [le roi de Suède] rassemble de nouvelles forces, Dieu tonne du plus haut des cieux ; le redouté capitaine tombe au plus beau de sa vie, et la Pologne est délivrée, Bossuet, Anne de Gonz.

    Tout ce qui élève l'âme en lui faisant éprouver un sentiment de plaisir. Le beau idéal. Vous y cherchiez le vrai, vous y goûtiez le beau, Voltaire, Loi nat. C'est ce beau universel [de Platon] qui enlève le corps et qui fait oublier toute beauté particulière, Fénelon, XVIII, 323.

    En beau, en donnant plus de beauté, et figurément, sous un favorable aspect. Peindre quelqu'un, quelque chose en beau. Je mets dans son portrait un peu de Grignan en beau, Sévigné, 575.

    Au beau, en parlant du temps, à un état serein. Le baromètre est au beau. Le beau fixe auquel le baromètre se tient depuis quelques jours. Faites un soupir ou un sourire, et dites que le temps est au beau, Courier, I, 60.

    S. m. Un beau, un homme recherché dans sa toilette et dirigeant la mode.

    Familièrement. Faire le beau, la belle, se pavaner.

    S. f. Une belle, une femme qui a de la beauté. … le fécond pinceau qui, sûr dans ses regards, Retrouve un seul visage en cent belles épars, Chénier, 3.

    Une belle, une maîtresse. Il attendait sa belle.

  • 18 Elliptiquement. Belle, avec un substantif féminin sous-entendu. Prendre sa belle, saisir l'occasion. Attendre sa belle, attendre une occasion favorable. M. Talon avait conclu en plein contre M. de Luxembourg ; ce fut aussi où il arrêta son affaire ; et à son érection nouvelle il attendit sa belle, Saint-Simon, 17, 195.

    Terme de jeu. Jouer la belle, se dit de deux joueurs qui, ayant gagné chacun une partie, en jouent une troisième pour décider finalement du gain ou de la perte.

    De plus belle, en augmentant. Le seigneur fait frapper de plus belle, La Fontaine, Paysan. La main qu'on lui serrait de plus belle à cette déclaration, Hamilton, Gramm. 4. Bien le connais, ce dieu sans foi ni loi, Qui de plus belle, et sans savoir pourquoi, Veut prendre encor chez moi son domicile, Chaulieu, à Mme D.

    En conter de belles sur, raconter des choses peu honorables, peu favorables sur quelqu'un. On m'en a conté de belles sur son peu de probité, Hamilton, Gramm. 9.

  • 19Tout beau, loc. adv. Doucement, modérez-vous. Tout beau, ne les pleurez pas tous, Corneille, Hor. III, 6. Tout beau, ma passion, deviens un peu moins forte, Corneille, Cinna, I, 2. Tout beau, Pauline, il entend vos paroles, Corneille, Poly. IV, 3. Tout beau : que votre haine en son sang assouvie N'aille point à sa gloire, il suffit de sa vie, Corneille, Pomp. III, 2. Tout beau, Flaminius, je n'y suis pas encore, Corneille, Nicom. IV, 4. … Il faut sans discourir Que tu meures. - Tout beau ! Mon âme pour mourir N'est pas en bon état, Molière, Dép. III, 7. Tout beau, dira quelqu'un, vous entrez en furie, Boileau, Sat. I.

    Tout beau, qui dans la langue de Corneille appartenait au style le plus élevé, n'est plus aujourd'hui que du style familier.

    Tout beau, tout beau ! expression dont on se sert pour modérer les mouvements d'un chien. Ces chiens à qui l'on dit tout beau, Sévigné, 499.

    Bel et bien, bel et beau, bien et beau, loc. adv. Tout à fait, entièrement. Il le fit bel et bien. Dis-lui bien et beau [clairement] que…, Molière, Dép. I, 6.

PROVERBES

À beau jeu beau retour, rendre la pareille.

Ce que vous me proposez est beau et bon, mais je n'en ferai rien, se dit à une personne dont on ne goûte pas les propositions.

Il a le commandement beau, c'est-à-dire il ordonne des choses impossibles, ou peu importe ce qu'il commande, on n'en tient compte.

Voilà un beau venez-y-voir, se dit pour rabaisser une chose trop vantée.

La belle plume fait le bel oiseau, c'est-à-dire les beaux habits donnent de la bonne mine.

REMARQUE

1. La locution avoir beau pour dire faire inutilement, peut s'expliquer ainsi : avoir beau, c'est toujours avoir beau champ, beau temps, belle occasion ; avoir beau faire, c'est proprement avoir tout favorable pour faire. Voilà le sens ancien et naturel. Mais par une ironie facile à comprendre, avoir beau a pris le sens d'avoir le champ libre, de pouvoir faire ce qu'on voudra, et, par suite, de se perdre en vains efforts. Vous avez beau dire, c'est, primitivement, il est bien à vous de dire ; puis, vous pouvez dire, on vous permet de dire, mais cela ne servira à rien.

2. Molière a écrit : Nous l'avons échappé belle, et c'est ainsi qu'on écrit maintenant ; mais ce n'en est pas moins une irrégularité, et, dans le XVIe siècle, on écrivait : il l'a échappée belle.

SYNONYME

BEAU, JOLI. Le joli n'est qu'un diminutif du beau ; il n'en a ni la grandeur, ni la régularité, ni la généralité, ni l'idéal. La chaîne des Pyrénées vue du haut du pic du Midi est un beau spectacle ; un joli paysage est quelque chose de bien plus restreint. Un vieillard peut avoir une belle tête ; mais il n'a jamais un joli visage ; une femme jolie peut n'être pas belle. Enfin le joli n'a point un type idéal de perfection auquel les lettres et les arts cherchent à se conformer. TORIQUE :

Xe s. Bel avret [elle avait] corps, bellezour anima, Eulal.

XIe s. Que nous perdons claire Espagne la bele, Ch. de Rol. IV. Bels fut li vespres, et li soleils fut clair, ib. X. Bel sire reis, je vous ai servit tant, ib. LXVII. Ancui [nous] aurons un eschec [butin] bel et gent, ib. LXXXIX. Quand Charles veit si beles contenances [de ses guerriers], ib. CCXIV. Je vous durrai [donnerai] moillers gentes et beles, ib. CCXLVII.

XIIe s. Li solaus luit, si fu et bel et cler, Ronc. p. 32. Biaus douz amis, de moi aiez pitié, ib. p. 92. D'or est la boucle, et belle à esgarder, ib. p. 125. Bele suer Aude, ne vous esmaiez mie, ib. p. 174. Mais à dame de valor Bele et bone et acesmée [parée], Couci, I. Moult m'a amors atournée Douce peine et biau labor, ib. I. Et je la [ma dame] proi [prie] sans biau respons avoir, ib. IX. Au mont [au monde] n'a [il n'y a] voir [vraiment] si cruel traïson Qu'un bel semblant et courage felon, ib. IX. Bele dame me prie de chanter, ib. X. Je ne me sai tenir ne conforter De vous, biaus cuers, servir entierement, ib. X. Car quant je me repourpens Comme ele est bele à veoir, ib. XI. Et sachez bien, se biauz servirs ne ment [trompe], Que tous les biens qu'on peut avoir d'aimer, Aura mes cuers qui adès s'i attent, ib. XII. Mais moult m'est bel qu'à son vouloir [il] me maine, ib. XI. De ses biauz ieuz [elle] me vint sans desfiance Ferir au cuer, que n'i ot autre effort, ib. XVI. Biauz sire Diex, comment pourrai avoir Vraie merci ?…, ib. XVII. Et quant mi mal [mes maux] lui sont bel et plaisant, ib. X. Il est biaus et je suis gente ; Quant l'uns à l'autre atalente, Pour quoi nous as despartis ? Dame de Faiele dans Couci. Sa mere entra, si s'assiet devant li [elle] ; Bel li pria : fille, prenez mari, Romancero, p. 73. La mere vit son enfant angoissous ; Trop bel lui dit : fille, rehaitiez-vous, ib. p. 74. Ce fu à Pentecoste que il fait bel et cler, Sax. XII. Helissant [ils] enmenerent, la bele au cors legier, ib. XVI. Quant li cuens les i sut, moult lui fu bel et bon, ib. XXII. Si bel leur a li cuens la parole taillie, [que] N'[y] a baron en la court qui de rien l'en desdie [dédise], ib. XXXII. Nis [même] pur les mues bestes [pour la chasse des bêtes] fait il mult grief justise, Les beaus hummes desfaire, metre maint à juise [jugement], Th. le mart. 152.

XIIIe s. Et por ce enveia li quens et Henris ses freres de lor nés [navires] chargies de dras et de viandes et autres belles choses, Villehardouin, XXX. Quant la saison du douz temps s'asseüre, Que biaus estez se rasraine [rassérène] et esclaire, Lors [je] chanterai…, Eust. le Peintre, dans Couci, p. 125. Biaus très dous fils, fait-elle, comment osas penser ? Berte, III. Par un jour si très bel qu'il ne pleut ni ne vente, ib. X. Belle, ce dist li rois, laissez ce deuil ester, ib. XVII. En la bele forest où ert [était] maint haut sapin, ib. LV. Et Blanchefleurs leur a leur bel salut rendu, ib. LXXIX. Bel et courtoisement [il] a le roi salué, ib. LXVII. Je vos aporte bones noveles ; Je quit [pense] que moult vos seront beles, Ren. 968. Si vi ung songe en mon dormant, Qui mout fut biax, et moult me plot, la Rose, 27. Vers une riviere m'adresce, Que j'oi près d'ilecques bruire ; Car ne me soi aillors deduire Plus bel que sur cele riviere, ib. 107. Mais face dire ses paroles le plus biau et le plus corteisement qu'il pora, Ass. de Jér. 46. On ne li pot biau veer [empêcher] qu'il ne feist se [sa] volonté et cortoisie à son pere de ce qui sien estoit, Beaumanoir, XXXIV, 49. Et des autres conditions qui sunt entre les autres sers estranges, nous noz en avons biau taire, parceque nostre livre si est des coustumes de Biavoisis, Beaumanoir, XLV, 31. Et porce qu'il peust le pueple garantir contre les enviex, et les malvès justicier, regarderent cix qui estoient li plus bel, plus fort et plus sage, et lor donerent seignorie sor eus, Beaumanoir, XLV, 32. Tu iez Hester qui s'umelie, Tu iez Judit qui biau se pere [se pare], Rutebeuf, II, 9. Onques [homme] si bel armé ne vi [je ne vis], Joinville, 226. J'ai mes petis enfans à qui je sui tenus Plus qu'as povres estranges, ne qu'as freres menus ; Je les ai jusque ci bien et bel maintenus, J. de Meung, Test. 355.

XIVe s. Et aussi nulle punicion ne deffence ne beau parler ou persuasion ne les pourroit retraire de mal faire, Oresme, Eth. 72. Par mon chief ! fist li ducs, voici chose faée ; Li vilains nous en a une belle donnée, Qui nous a fait venir et regarder la bée, Guesclin. 1495.

XVe s. Nous nous en avons beau [nous ferons bien] taire et souffrir, velà les freres au duc de Glocestre qui bien y pourvoiront, Froissart, III, IV, 61. Il les rappaisa [ses gens] au plus bel qu'il pust, Froissart, I, I, 97. Et leur fit grace pourtant que si bel et si vaillamment ils s'estoient tenus et desfendus contre leurs ennemis, Froissart, I, I, 146. Et le gentil homme qui pris m'avoit estoit très bel homme, Froissart, III, IV, 42. Volontiers au matin, quand il estoit levé, mais que il fit bel, [Yvain de Galles] s'en venoit devant le chastel, Froissart, II, II, 30. Et leur montra adonc tant de belles raisons qu'ils s'en souffrirent [ils s'en contentèrent], Froissart, I, I, 111. Si passa le roi son mautalent adonc au plus beau qu'il put, Froissart, I, I, 296. Et le lendemain au matin, les dits Anglois ordonnerent leurs batailles, et passerent à beau pié la dite riviere, Chartier, Hist. de Charles VII. … en nom de Dieu tu la bailles Belle ! de qui appelles-tu ? Mir. de Ste-Genev. À recommencer de plus belle, J'en voy jà les adjournements Que font, vers vieulx et jeunes gens, Amours et la saison nouvelle, Orléans, Rond. Et pour ceste cause allerent à Pontoise les dicts ducs de Berry et de Bourgongne, et y eut articles faicts beaux et bons, lesquels pleurent à toutes les parties, Juvénal Des Ursins, Charles VI, 1413. Les Gois estoient trois freres, fils de Thomas le Gois qui estoit boucher, bel homme, et en son estat bon marchand, Juvénal Des Ursins, ib. 1411. Je vous l'ay appellée ma dame, Et devoye dire demoiselle, Là où j'ay failly par mon ame ; Pourquoy el' la me bailla belle, Coquillart, Le monologue du Pu ts. Et [le roi] eust eu beau se retirer en France, sans peril, si n'eussent esté ses longs sejours sans propos, Commines, VIII, 5. Il fut là laissé toute la belle nuit, Louis XI, Nouv. XXVII. Il auroit bel attendre, Louis XI, ib. Si s'avisa bon jacobin de venir voir sa dame et qu'à l'aventure il pourroit estre si heureux que de la trouver en belle, Louis XI, ib. XLVI. Quand il vit que par beau ne par laid [prières ni menaces] il ne la pouvoit oster de sa mauvaistié, Louis XI, ib. LXXXIV.

XVIe s. Ses successeurs voyans qu'ils n'y gagnoient rien, se deporterent bien et beau de ceste obstination, Calvin, Instit. 909. Mais dessus tout, qu'il fit beau voir Le roy armé, accompaigné de princes ! Marot, J. V, 29. Or est Cassan basty dessus ung hault, Et au beau pyé est la riviere d'Ade, Marot, J. V, 90. …Au beau travers [à travers], Marot, J. V, 143. Ô ! vous facteurs [poëtes], parlant beau comme ung ange, D'honneur et loz donnez un million Au roy Loys, Marot, J. V, 136. De plus belle, Marot, J. V, 155. De plus beau [même sens], Marot, J. V, 181. Homme faulx, et bel enlangaigé Vault pis que faulx ès mains d'un enraigé, Marot, J. V, 194. On a beau dire : une colombe est noire, Marot, II, 56. Belle en qui gist ma mort ou mon secours, Marot, I, 353. À belles dents, Montaigne, I, 21. Cette belle [ironiquement] sentence, Montaigne, I, 24. Eschylus a beau se tenir à…, Montaigne, I, 74. Tu as beau faire, douleur ! si ne diray je pas que tu sois mal, Montaigne, I, 301. Tant que l'ennemy est en pied, c'est à recommencer de plus belle, Montaigne, I, 351. Vrayement Protagoras nous en contoit de belles…, Montaigne, II, 311. Il a bel aller à pied, qui mene son cheval par la bride, Montaigne, III, 287. Il est bel à veoir [évident] que d'ores en là ce leur est plus languir que vivre, La Boétie, 29. Et, pour ce qu'en ce nom le beau est accouplé avecques le bon, le premier que je voyois beau et bien formé, je m'approchois de luy, La Boétie, 153. Il fait beau voir les habillements tous separez… cela est beau à l'œil, La Boétie, 178. Ce beau tiltre de Bel et Bon qu'on t'a donné, La Boétie, 207. Voyla beau coude, ce dit quelqu'un. Bel estil vrayement, dit elle, mais non pas pour demeurer en veuë, La Boétie, 298. Amorces de bonne esperance et de belles paroles, Amyot, Timol. 16. Ilz employerent leur loisir à un très bel et très digne exploit, Amyot, ib. 23. Il s'en alla en tel equippage, dansant jusques au beau milieu de l'assemblée du peuple, Amyot, Pyrrhus, 27. Il feit imaginer à ses compagnons, que c'estoit belle couardise qui luy faisoit tenir ces propos là, Amyot, Nicia, 39. Ilz empoignoient à belles mains les bourdons des Parthes, Amyot, Crassus, 48. Les corbeaux recommencerent à crier arriere de plus belle, Amyot, Phoc. 12. Paulinus ne voulut pas, remonstrant qu'il falloit aller tout beau, et ne se travailler pas trop, ny aller chaudement, Amyot, Othon, 15. Et dès lors recommença plus beau que devant à siffler, Despériers, Contes, CXV. Notre curé la bailla belle Aux huguenots de la Rochelle, D'Aubigné, Faen. II, 6. La royne d'Hongrie a beau [beau jeu pour] faire ce qu'il luy plaist, puisqu'on luy en donne le loisir, Carloix, IV, 26. De ce que, par sa faveur, ils l'avoient, non pas si belle, mais si mortelle et sanglante, eschappée, Carloix, VII, 4. À quoy le roy l'eschappa belle ; car l'harquebusade…, Brantôme, Launoy. Quand vous serez bien vieille, au soir à la chandelle, Assise auprès du feu, devisant et filant, Direz, chantant mes vers, en vous esmerveillant : Ronsard me celebroit du temps que j'estois belle, Ronsard.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

BEAU. - REM. Ajoutez :

3. Il est rare que bel se dise autrement que devant un substantif commençant par une voyelle ou une h muette : un bel arbre, un bel homme. Pourtant on en trouve quelques exemples dans un autre emploi, mais toujours devant une voyelle, bien entendu. S'il est vrai que l'homme laid de naissance soit plus bel encore que le plus beau des animaux, Ch. Lévêque, Science du beau, t. II, p. 338, Paris, 1861. Cela n'est point une faute, mais maintenant c'est peu usité.

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Encyclopédie, 1re édition (1751)

* BEAU, adj. (Métaphysique.) Avant que d’entrer dans la recherche difficile de l’origine du beau, je remarquerai d’abord, avec tous les auteurs qui en ont écrit, que par une sorte de fatalité, les choses dont on parle le plus parmi les hommes, sont assez ordinairement celles qu’on connoît le moins ; & que telle est, entre beaucoup d’autres, la nature du beau. Tout le monde raisonne du beau : on l’admire dans les ouvrages de la nature : on l’exige dans les productions des Arts : on accorde ou l’on refuse cette qualité à tout moment ; cependant si l’on demande aux hommes du goût le plus sûr & le plus exquis, quelle est son origine, sa nature, sa notion précise, sa véritable idée, son exacte définition ; si c’est quelque chose d’absolu ou de relatif ; s’il y a un beau essentiel, éternel, immuable, regle & modele du beau subalterne ; ou s’il en est de la beauté comme des modes : on voit aussitôt les sentimens partagés ; & les uns avoüent

leur ignorance, les autres se jettent dans le scepticisme. 

Comment se fait-il que presque tous les hommes soient d’acord qu’il y a un beau ; qu’il y en ait tant entr’eux qui le sentent vivement où il est, & que si peu sachent ce que c’est ?

Pour parvenir, s’il est possible, à la solution de ces difficultés, nous commencerons par exposer les différens sentimens des auteurs qui ont écrit le mieux sur le beau ; nous proposerons ensuite nos idées sur le même sujet, & nous finirons cet article par des observations générales sur l’entendement humain & ses opérations relatives à la question dont il s’agit.

Platon a écrit deux dialogues du beau, le Phedre & le grand Hippias : dans celui-ci il enseigne plûtôt ce que le beau n’est pas, que ce qu’il est ; & dans l’autre, il parle moins du beau que de l’amour naturel qu’on a pour lui. Il ne s’agit dans le grand Hippias que de confondre la vanité d’un sophiste ; & dans le Phedre, que de passer quelques momens agréables avec un ami dans un lieu délicieux.

S. Augustin avoit composé un traité sur le beau : mais cet ouvrage est perdu, & il ne nous reste de S. Augustin sur cet objet important, que quelques idées éparses dans ses écrits, par lesquelles on voit que ce rapport exact des parties d’un tout entr’elles, qui le constitue un, étoit, selon lui, le caractere distinctif de la beauté. Si je demande à un architecte, dit ce grand homme, pourquoi ayant élevé une arcade à une des ailes de son bâtiment, il en fait autant à l’autre : il me répondra sans doute, que c’est afin que les membres de son architecture symmétrisent bien ensemble. Mais pourquoi cette symmétrie vous paroît-elle nécessaire ? Par la raison qu’elle plaît. Mais qui êtes-vous pour vous ériger en arbitre de ce qui doit plaire ou ne pas plaire aux hommes ? & d’où savez-vous que la symmétrie nous plaît ? J’en suis sûr, parce que les choses ainsi disposées ont de la décence, de la justesse, de la grace ; en un mot parce que cela est beau. Fort bien : mais dites-moi, cela est-il beau parce qu’il plaît ? ou cela plaît-il parce qu’il est beau ? Sans difficulté cela plait, parce qu’il est beau. Je le crois comme vous : mais je vous demande encore pourquoi cela est-il beau ? & si ma question vous embarrasse, parce qu’en effet les maîtres de votre art ne vont guere jusque là, vous conviendrez du moins sans peine que la similitude, l’égalité, la convenance des parties de votre bâtiment, réduit tout à une espece d’unité qui contente la raison. C’est ce que je voulois dire. Oui : mais prenez-y garde, il n’y a point de vraie unité dans les corps, puisqu’ils sont tous composés d’un nombre innombrable de parties, dont chacune est encore composée d’une infinité d’autres. Où la voyez-vous donc cette unité qui vous dirige dans la construction de votre dessein ; cette unité que vous regardez dans votre art comme une loi inviolable ; cette unité que votre édifice doit imiter pour être beau, mais que rien sur la terre ne peut imiter parfaitement, puisque rien sur la terre ne peut être parfaitement un. Or, de là que s’ensuit-il ? ne faut-il pas reconnoître qu’il y a au-dessus de nos esprits une certaine unité originale, souveraine, éternelle, parfaite, qui est la regle essentielle du beau, & que vous cherchez dans la pratique de votre art ? D’où S. Augustin conclut, dans un autre ouvrage, que c’est l’unité qui constitue, pour ainsi dire, la forme & l’essence du beau en tout genre. Omnis porro pulchritudinis forma, unitas est.

M. Wolf dit, dans sa Psychologie, qu’il y a des choses qui nous plaisent, d’autres qui nous déplaisent ; & que cette différence est ce qui constitue le beau & le laid : que ce qui nous plaît s’appelle beau, & que ce qui nous déplaît est laid.

Il ajoûte, que la beauté consiste dans la perfection ; de maniere que par la force de cette perfection, la chose qui en est revêtue est propre à produire en nous du plaisir.

Il distingue ensuite deux sortes de beautés, la vraie & l’apparente : la vraie est celle qui naît d’une perfection réelle ; & l’apparente, celle qui naît d’une perfection apparente.

Il est évident que S. Augustin avoit été beaucoup plus loin dans la recherche du beau que le philosophe Lebnitien : celui-ci semble prétendre d’abord qu’une chose est belle, parce qu’elle nous plait ; au lieu qu’elle ne nous plaît que parce qu’elle est belle ; comme Platon & S. Augustin l’ont très-bien remarqué. Il est vrai qu’il fait ensuite entrer la perfection dans l’idée de la beauté : mais qu’est-ce que la perfection ? le parfait est-il plus clair & plus intelligible que le beau.

Tous ceux qui se piquant de ne pas parler simplement par coûtume & sans réflexion, dit M. Crouzas, voudront descendre dans eux-mêmes, & faire attention à ce qui s’y passe, à la maniere dont ils pensent, & à ce qu’ils sentent lorsqu’ils s’écrient cela est beau, s’appercevront qu’ils expriment par ce terme un certain rapport d’un objet, avec des sentimens agréables ou avec des idées d’approbation, & tomberont d’accord que dire cela est beau, c’est dire, j’apperçois quelque chose que j’approuve ou qui me fait plaisir.

On voit que cette définition de M. Crouzas n’est point prise de la nature du beau, mais de l’effet seulement qu’on éprouve à sa présence : elle a le même défaut que celle de M. Wolf. C’est ce que M. Crouzas a bien senti ; aussi s’occupe-t-il ensuite à fixer les caracteres du beau : il en compte cinq, la variété, l’unité, la régularité, l’ordre, la proportion.

D’où il s’ensuit, ou que la définition de S. Augustin est incomplete, ou que celle de M. Crouzas est redondante. Si l’idée d’unité ne renferme pas les idées de variété, de régularité, d’ordre & de proportion, & si ces qualités sont essentielles au beau, S. Augustin n’a pas dû les omettre : si l’idée d’unité les renferme, M. Crouzas n’a pas dû les ajoûter.

M. Crouzas ne définit point ce qu’il entend par variété ; il semble entendre par unité, la relation de toutes les parties à un seul but ; il fait consister la régularité dans la position semblable des parties entr’elles ; il désigne par ordre une certaine dégradation de parties, qu’il faut observer dans le passage des unes aux autres ; & il définit la proportion, l’unité assaisonnée de variété, de régularité & d’ordre dans chaque partie.

Je n’attaquerai point cette définition du beau par les choses vagues qu’elle contient ; je me contenterai seulement d’observer ici qu’elle est particuliere, & qu’elle n’est applicable qu’à l’Architecture, ou tout au plus à de grands touts dans les autres genres, à une piece d’éloquence, à un drame, &c. mais non pas à un mot, à une pensée, à une portion d’objet.

M. Hutcheson, célebre professeur de Philosophie morale dans l’université de Glascou, s’est fait un système particulier : il se réduit à penser qu’il ne faut pas plus demander qu’est-ce que le beau, que demander qu’est-ce que le visible. On entend par visible, ce qui est fait pour être apperçû par l’œil ; & M. Hutcheson entend par beau, ce qui est fait pour être saisi par le sens interne du beau. Son sens interne du beau, est une faculté par laquelle nous distinguons les belles choses, comme le sens de la vûe est une faculté par laquelle nous recevons la notion des couleurs & des figures. Cet auteur & ses sectateurs mettent tout en œuvre pour démontrer la réalité & la nécessité de ce sixieme sens ; & voici comment ils s’y prennent.

1°. Notre ame, disent-ils, est passive dans le plaisir & dans le déplaisir. Les objets ne nous affectent pas précisément comme nous le souhaiterions ; les uns font sur notre ame une impression nécessaire de plaisir ; d’autres nous déplaisent nécessairement : tout le pouvoir de notre volonté se réduit à rechercher la premiere sorte d’objet, & à fuir l’autre : c’est la constitution même de notre nature, quelquefois individuelle, qui nous rend les uns agréables & les autres desagréables. Voyez Peine & Plaisir.

2°. Il n’est peut-être aucun objet qui puisse affecter notre ame, sans lui être plus ou moins une occasion nécessaire de plaisir ou de déplaisir. Une figure, un ouvrage d’architecture ou de peinture, une composition de musique, une action, un sentiment, un caractere, une expression, un discours ; toutes ces choses nous plaisent ou nous déplaisent de quelque maniere. Nous sentons que le plaisir ou le déplaisir s’excite nécessairement par la contemplation de l’idée qui se présente alors à notre esprit avec toutes ses circonstances. Cette impression se fait, quoiqu’il n’y ait rien dans quelques-unes de ces idées de ce qu’on appelle ordinairement perceptions sensibles ; & dans celles qui viennent des sens, le plaisir ou le déplaisir qui les accompagne, naît de l’ordre ou du desordre, de l’arrangement ou défaut de symmétrie, de l’imitation ou de la bisarrerie qu’on remarque dans les objets ; & non des idées simples de la couleur, du son, & de l’étendue, considérées solitairement. V. Goût.

3°. Cela posé, j’appelle, dit M. Hutcheson, du nom de sens internes, ces déterminations de l’ame à se plaire ou à se déplaire à certaines formes ou à certaines idées, quand elle les considere : & pour distinguer les sens internes des facultés corporelles connues sous ce nom, j’appelle sens interne du beau, la faculté qui discerne le beau dans la régularité, l’ordre & l’harmonie ; & sens interne du bon, celle qui approuve les affections, les actions, les caracteres des agens raisonnables & vertueux. Voyez Bon.

4°. Comme les déterminations de l’ame à se plaire ou à se déplaire à certaines formes ou à certaines idées, quand elle les considere, s’observent dans tous les hommes, à moins qu’ils ne soient stupides ; sans rechercher encore ce que c’est que le beau, il est constant qu’il y a dans tous les hommes un sens naturel & propre pour cet objet ; qu’ils s’accordent à trouver de la beauté dans les figures, aussi généralement qu’à éprouver de la douleur à l’approche d’un trop grand feu, ou du plaisir à manger quand ils sont pressés par l’appetit, quoiqu’il y ait entr’eux une diversité de goûts infinie.

5°. Aussi-tôt que nous naissons, nos sens externes commencent à s’exercer & à nous transmettre des perceptions des objets sensibles ; & c’est là sans doute ce qui nous persuade qu’ils sont naturels. Mais les objets de ce que j’appelle des sens internes, ou les sens du beau & du bon, ne se présentent pas si-tôt à notre esprit. Il se passe du tems avant que les enfans refléchissent, ou du moins qu’ils donnent des indices de reflexion sur les proportions, ressemblances & symmétries, sur les affections & les caracteres : ils ne connoissent qu’un peu tard les choses qui excitent le goût ou la repugnance intérieure ; & c’est-là ce qui fait imaginer que ces facultés que j’appelle les sens internes du beau & du bon, viennent uniquement de l’instruction & de l’éducation. Mais quelque notion qu’on ait de la vertu & de la beauté, un objet vertueux ou bon est une occasion d’approbation & de plaisir, aussi naturellement que des mets sont les objets de notre appétit. Et qu’importe que les premiers objets se soient présentés tôt ou tard ? si les sens ne se développoient en nous que peu-à-peu & les uns après les autres, en seroient-ils moins des sens & des facultés ? & serions-nous bien venus à prétendre, qu’il n’y a vraiement dans les objets visibles, ni couleurs, ni figures, parce que nous aurions eu besoin de tems & d’instruction pour les-y appercevoir, & qu’il n’y auroit pas entre nous tous, deux persornes qui les y appercevroient de la même maniere ? Voyez Sens.

6°. On appelle sensations, les perceptions qui s’excitent dans notre ame à la présence des objets extérieurs, & par l’impression qu’ils font sur nos organes. Voyez Sensation. Et lorsque deux perceptions different entierement l’une de l’autre, & qu’elles n’ont de commun que le nom générique de sensation, les facultés par lesquelles nous recevons ces différentes perceptions, s’appellent des sens différens. La vûe & l’oüie, par exemple, désignent des facultés différentes, dont l’une nous donne les idées de couleur, & l’autre les idées de son : mais quelque différence que les sons ayent entr’eux, & les couleurs entr’elles, on rapporte à un même sens toutes les couleurs, & à un autre sens tous les sons ; & il paroît que nos sens ont chacun leur organe. Or si vous appliquez l’observation précédente au bon & au beau, vous verrez qu’ils sont exactement dans ce cas. Voyez Bon.

7°. Les défenseurs du sens interne entendent par beau, l’idée que certains objets excitent dans notre ame, & par le sens interne du beau, la faculté que nous avons de recevoir cette idée ; & ils observent que les animaux ont des facultés semblables à nos sens extérieurs, & qu’ils les ont même quelquefois dans un degré supérieur à nous ; mais qu’il n’y en a pas un qui donne un signe de ce qu’on entend ici par sens interne. Un être, continuent-ils, peut donc avoir en entier la même sensation extérieure que nous éprouvons, sans observer entre les objets, les ressemblances & les rapports ; il peut même discerner ces ressemblances & ces rapports sans en ressentir beaucoup de plaisir ; d’ailleurs les idées seules de la figure & des formes, &c. sont quelque chose de distinct du plaisir. Le plaisir peut se trouver où les proportions ne sont ni considérées ni connues ; il peut manquer, malgré toute l’attention qu’on donne à l’ordre & aux proportions. Comment nommerons-nous donc cette faculté qui agit en nous sans que nous sachions bien pourquoi ? sens interne.

8°. Cette dénomination est fondée sur le rapport de la faculté qu’elle désigne avec les autres facultés. Ce rapport consiste principalement en ce que le plaisir que le sens interne nous fait éprouver, est différent de la connoissance des principes. La connoissance des principes peut l’accroître ou le diminuer : mais cette connoissance n’est pas lui ni sa cause. Ce sens a des plaisirs nécessaires, car la beauté & la laideur d’un objet est toûjours la même pour nous, quelque dessein que nous puissions former d’en juger autrement. Un objet desagréable, pour être utile, ne nous en paroît pas plus beau ; un bel objet, pour être nuisible, ne nous paroît pas plus laid. Proposez-nous le monde entier, pour nous contraindre par la récompense à trouver belle la laideur, & laide la beauté ; ajoûtez à ce prix les plus terribles menaces, vous n’apporterez aucun changement à nos perceptions & au jugement du sens interne : notre bouche loüera ou blâmera à votre gré, mais le sens interne restera incorruptible.

9°. Il paroît de-là, continuent les mêmes systématiques, que certains objets sont immédiatement & par eux-mêmes, les occasions du plaisir que donne la beauté ; que nous avons un sens propre à le goûter ; que ce plaisir est individuel, & qu’il n’a rien de commun avec l’intérêt. En effet, n’arrive-t-il pas en cent occasions qu’on abandonne l’utile pour le beau ? cette généreuse préférence ne se remarque-t-elle pas quelquefois dans les conditions les plus méprisées ? Un honnête artisan se livrera à la satisfaction de faire un chef-d’œuvre qui le ruine, plûtôt qu’à l’avantage de faire un mauvais ouvrage qui l’enrichiroit.

10°. Si on ne joignoit pas à la considération de l’utile, quelque sentiment particulier, quelqu’effet subtil d’une faculté différente de l’entendement & de la volonté, on n’estimeroit une maison que pour son utilité, un jardin que pour sa fertilité, un habillement que pour sa commodité. Or cette estimation étroite des choses n’existe pas même dans les enfans & dans les sauvages. Abandonnez la nature à elle-même, & le sens interne exercera son empire : peut-être se trompera-t-il dans son objet, mais la sensation de plaisir n’en sera pas moins réelle. Une philosophie austere, ennemie du luxe, brisera les statues, renversera les obélisques, transformera nos palais en cabanes, & nos jardins en forêts : mais elle n’en sentira pas moins la beauté réelle de ces objets ; le sens interne se révoltera contr’elle, & elle sera réduite à se faire un merite de son courage.

C’est ainsi, dis-je, que Hutcheson & ses sectateurs s’efforcent d’établir la nécessité du sens interne du beau : mais ils ne parviennent qu’à démontrer qu’il y a quelque chose d’obscur & d’impénétrable dans le plaisir que le beau nous cause ; que ce plaisir semble indépendant de la connoissance des rapports & des perceptions ; que la vûe de l’utile n’y entre pour rien, & qu’il fait des enthousiastes que ni les récompenses ni les menaces ne peuvent ébranler.

Du reste, ces philosophes distinguent dans les êtres corporels un beau absolu & un beau relatif. Ils n’entendent point par un beau absolu, une qualité tellement inhérente dans l’objet, qu’elle le rende beau par lui-même, sans aucun rapport à l’ame qui le voit & qui en juge. Le terme beau, semblable aux autres noms des idées sensibles, désigne proprement, selon eux, la perception d’un esprit ; comme le froid & le chaud, le doux & l’amer, sont des sensations de notre ame, quoique sans doute il n’y ait rien qui ressemble à ces sensations dans les objets qui les excitent, malgré la prévention populaire qui en juge autrement. On ne voit pas, disent-ils, comment les objets pourroient être appellés beaux, s’il n’y avoit pas un esprit doüé du sens de la beauté pour leur rendre hommage. Ainsi par le beau absolu, ils n’entendent que celui qu’on reconnoît en quelques objets, sans les comparer à aucune chose extérieure dont ces objets soient l’imitation & la peinture. Telle est, disent-ils, la beauté que nous appercevons dans les ouvrages de la nature, dans certaines formes artificielles, & dans les figures, les solides, les surfaces ; & par beau relatif, ils entendent celui qu’on apperçoit dans des objets considérés communément comme des imitations & des images de quelques autres. Ainsi leur division a plûtôt son fondement dans les différentes sources du plaisir que le beau nous cause, que dans les objets ; car il est constant que le beau absolu a, pour ainsi dire, un beau relatif, & le beau relatif un beau absolu.

Du beau absolu, selon Hutcheson & ses sectateurs. Nous avons fait sentir, disent-ils, la nécessité d’un sens propre qui nous avertit par le plaisir de la présence du beau ; voyons maintenant quelles doivent être les qualités d’un objet pour émouvoir ce sens. Il ne faut pas oublier, ajoûtent-ils, qu’il ne s’agit ici de ces qualités que relativement à l’homme ; car il y a certainement bien des objets qui font sur eux l’impression de beauté, & qui déplaisent à d’autres animaux. Ceux-ci ayant des sens & des organes autrement conformés que les nôtres, s’ils étoient juges du beau, en attacheroient des idées à des formes toutes différentes. L’ours peut trouver sa caverne commode : mais il ne la trouve ni belle ni laide ; peut-être s’il avoit le sens interne du beau la regarderoit-il comme une retraite délicieuse. Remarquez en passant, qu’un être bien malheureux, ce seroit celui qui auroit le sens interne du beau, & qui ne reconnoîtroit jamais le beau que dans des objets qui lui seroient nuisibles : la providence y a pourvû par rapport à nous ; & une chose vraiement belle, est assez ordinairement une chose bonne.

Pour découvrir l’occasion générale des idées du beau parmi les hommes, les sectateurs d’Hutcheson examinent les êtres les plus simples, par exemple, les figures ; & ils trouvent qu’entre les figures, celles que nous nommons belles, offrent à nos sens l’uniformité dans la variété. Ils assûrent qu’un triangle équilatéral est moins beau qu’un quarré ; un pentagone moins beau qu’un exagone, & ainsi de suite, parce que les objets également uniformes sont d’autant plus beaux, qu’ils sont plus variés ; & ils sont d’autant plus variés, qu’ils ont plus de côtés comparables. Il est vrai, disent-ils, qu’en augmentant beaucoup le nombre des côtés, on perd de vûe les rapports qu’ils ont entr’eux & avec le rayon ; d’où il s’ensuit que la beauté de ces figures n’augmente pas toûjours comme le nombre des côtés. Ils se font cette objection, mais ils ne se soucient guere d’y répondre. Ils remarquent seulement que le défaut de parallélisme dans les côtés des eptagones & des autres polygones impairs en diminue la beauté : mais ils soûtiennent toûjours que, tout étant égal d’ailleurs, une figure réguliere à vingt côtés surpasse en beauté celle qui n’en a que douze ; que celle-ci l’emporte sur celle qui n’en a que huit, & cette derniere sur le quarré. Ils font le même raisonnement sur les surfaces & sur les solides. De tous les solides réguliers, celui qui a le plus grand nombre de surfaces est pour eux le plus beau, & ils pensent que la beauté de ces corps va toûjours en décroissant jusqu’à la pyramide réguliere.

Mais si entre les objets également uniformes, les plus variés sont les plus beaux ; selon eux, réciproquement entre les objets également variés, les plus beaux seront les plus uniformes : ainsi le triangle équilatéral ou même isoscele est plus beau que le scalene ; le quarré plus beau que le rhombe ou losange. C’est le même raisonnement pour les corps solides réguliers, & en général pour tous ceux qui ont quelque uniformité, comme les cylindres, les prismes, les obélisques, &c. & il faut convenir avec eux, que ces corps plaisent certainement plus à la vûe que des figures grossieres où l’on n’apperçoit ni uniformité, ni symmétrie, ni unité.

Pour avoir des raisons composées du rapport de l’uniformité & de la variété, ils comparent les cercles & les spheres avec les ellipses & les sphéroïdes peu excentriques ; & ils prétendent que la parfaite uniformité des uns est compensée par la variété des autres, & que leur beauté est à peu près égale.

Le beau, dans les ouvrages de la nature, a le même fondement selon eux. Soit que vous envisagiez, disent-ils, les formes des corps célestes, leurs révolutions, leurs aspects ; soit que vous descendiez des cieux sur la terre, & que vous considériez les plantes qui la couvrent, les couleurs dont les fleurs sont peintes, la structure des animaux, leurs especes, leurs mouvemens, la proportion de leurs parties, le rapport de leur méchanisme à leur bien être ; soit que vous vous élanciez dans les airs & que vous examiniez les oiseaux & les météores ; ou que vous vous plongiez dans les eaux & que vous compariez entre eux les poissons, vous rencontrerez par-tout l’uniformité dans la variété, par-tout vous verrez ces qualités compensées dans les êtres également beaux, & la raison composée des deux, inégale dans les êtres de beauté inégale ; en un mot, s’il est permis de parler encore la langue des Géometres, vous verrez dans les entrailles de la terre, au fond des mers, au haut de l’atmosphere, dans la nature entiere & dans chacune de ses parties, l’uniformité dans la variété, & la beauté toûjours en raison composée de ces deux qualités.

Ils traitent ensuite de la beauté des Arts, dont on ne peut regarder les productions comme une véritable imitation, telle que l’Architecture, les Arts méchaniques, & l’harmonie naturelle ; ils font tous leurs efforts pour les assujettir à leur loi de l’uniformité dans la variété ; & si leur preuve peche, ce n’est pas par le défaut de l’énumération, ils descendent depuis le palais le plus magnifique jusqu’au plus petit édifice, depuis l’ouvrage le plus prétieux jusqu’aux bagatelles, montrant le caprice par-tout où manque l’uniformité, & l’insipidité où manque la variété.

Mais il est une classe d’êtres fort différens des précédens, dont les sectateurs d’Hutcheson sont fort embarrassés ; car on y reconnoît de la beauté, & cependant la regle de l’uniformité dans la variété ne leur est pas applicable ; ce sont les démonstrations des vérités abstraites & universelles. Si un théorème contient une infinité de vérités particulieres qui n’en sont que le développement, ce théoreme n’est proprement que le corollaire d’un axiome d’où découle une infinité d’autres théoremes ; cependant on dit voilà un beau théorème, & l’on ne dit pas voilà un bel axiome.

Nous donnerons plus bas la solution de cette difficulté dans d’autres principes. Passons à l’examen du beau relatif, de ce beau qu’on apperçoit dans un objet considéré comme l’imitation d’un original, selon, ceux de Hutcheson & de ses sectateurs.

Cette partie de son système n’a rien de particulier. Selon cet auteur, & selon tout le monde, ce beau ne peut consister que dans la conformité qui se trouve entre le modele & la copie.

D’où il s’ensuit que pour le beau relatif, il n’est pas nécessaire qu’il y ait aucune beauté dans l’original. Les forêts, les montagnes, les précipices, le cahos, les rides de la vieillesse, la pâleur de la mort, les effets de la maladie, plaisent en peinture ; ils plaisent aussi en Poësie : ce qu’Aristote appelle un caractere moral, n’est point celui d’un homme vertueux ; & ce qu’on entend par fabula bene morata, n’est autre chose qu’un poëme épique ou dramatique, où les actions, les sentimens, & les discours sont d’accord avec les caracteres bons ou mauvais.

Cependant on ne peut nier que la peinture d’un objet qui aura quelque beauté absolue, ne plaise ordinairement davantage que celle d’un objet qui n’aura point ce beau. La seule exception qu’il y ait peut-être à cette regle, c’est le cas où la conformité de la peinture avec l’état du spectateur gagnant tout ce qu’on ôte à la beauté absolue du modele, la peinture en devient d’autant plus intéressante ; cet intérêt qui naît de l’imperfection, est la raison pour laquelle on a voulu que le héros d’un poëme épique ou héroïque ne fût point sans défaut.

La plûpart des autres beautés de la poesie & de l’éloquence suivent la loi du beau relatif. La conformité avec le vrai rend les comparaisons, les métaphores, & les allégories belles, lors même qu’il n’y a aucune beauté absolue dans les objets qu’elles représentent.

Hutcheson insiste ici sur le penchant que nous avons à la comparaison. Voici selon lui quel en est l’origine. Les passions produisent presque toûjours dans les animaux les mêmes mouvemens qu’en nous ; & les objets inanimés de la nature, ont souvent des positions qui ressemblent aux attitudes du corps humain, dans certains états de l’ame ; il n’en a pas fallu davantage, ajoûte l’auteur que nous analysons, pour rendre le lion symbole de la fureur, le tigre celui de la cruauté ; un chêne droit, & dont la cime orgueilleuse s’éleve jusques dans la nue, l’emblème de l’audace ; les mouvemens d’une mer agitée, la peinture des agitations de la colere ; & la mollesse de la tige d’un pavot, dont quelques gouttes de pluie on fait pencher la tête, l’image d’un moribond.

Tel est le système de Hutcheson, qui paroîtra sans doute plus singulier que vrai. Nous ne pouvons cependant trop recommander la lecture de son ouvrage, sur-tout dans l’original ; on y trouvera un grand nombre d’observations délicates sur la maniere d’atteindre la perfection dans la pratique des beaux Arts. Nous allons maintenant exposer les idées du pere André Jésuite. Son essai sur le beau est le système le plus suivi, le plus étendu, & le mieux lié que je connoisse. J’oserois assûrer qu’il est dans son genre ce que le traité des beaux Arts réduits à un seul principe est dans le sien. Ce sont deux bons ouvrages auxquels il n’a manqué qu’un chapitre pour être excellens ; & il en faut savoir d’autant plus mauvais gré à ces deux auteurs de l’avoir omis. M. l’abbé Batteux rappelle tous les principes des beaux Arts à l’imitation de la belle nature : mais il ne nous apprend point ce que c’est que la belle nature. Le pere André distribue avec beaucoup de sagacité & de philosophie le beau en général dans ses différentes especes ; il les définit toutes avec précision : mais on ne trouve la définition du genre, celle du beau en général, dans aucun endroit de son livre, à moins qu’il ne le fasse consister dans l’unité comme S. Augustin. Il parle sans cesse d’ordre, de proportion, d’harmonie, &c. mais il ne dit pas un mot de l’origine de ces idées.

Le pere André distingue les notions générales de l’esprit pur, qui nous donnent les regles éternelles du beau ; les jugemens naturels de l’ame où le sentiment se mêle avec les idées purement spirituelles, mais sans les détruire ; & les préjugés de l’éducation & de la coûtume, qui semblent quelquefois les renverser les uns & les autres. Il distribue son ouvrage en quatre chapitres. Le premier est du beau visible ; le second, du beau dans les mœurs ; le troisieme, du beau dans les ouvrages d’esprit, & le quatrieme, du beau musical.

Il agite trois questions sur chacun de ces objets ; il prétend qu’on y découvre un beau essentiel, absolu, indépendant de toute institution, même divine ; un beau naturel dépendant de l’institution du Créateur, mais indépendant de nos opinions & de nos goûts ; un beau artificiel & en quelque sorte arbitraire, mais toûjours avec quelque dépendance des loix éternelles.

Il fait consister le beau essentiel, dans la régularité, l’ordre, la proportion, la symmétrie en général ; le beau naturel, dans la régularité, l’ordre, les proportions, la symmétrie, observés dans les êtres de la nature ; le beau artificiel, dans la régularité, l’ordre, la symmétrie, les proportions observées dans nos productions méchaniques, nos parures, nos bâtimens, nos jardins. Il remarque que ce dernier beau est mêlé d’arbitraire & d’absolu. En Architecture par exemple, il apperçoit deux sortes de regles, les unes qui découlent de la notion indépendante de nous, du beau original & essentiel, & qui exigent indispensablement la perpendicularité des colonnes, le parallélisme des étages, la symmétrie des membres, le dégagement & l’élégance du dessein, & l’unité dans le tout. Les autres qui sont fondées sur des observations particulieres, que les maîtres ont faites en divers tems, & par lesquelles ils ont déterminé les proportions des parties dans les cinq ordres d’Architecture : c’est en conséquence de ces regles, que dans le toscan la hauteur de la colonne contient sept fois le diametre de sa base, dans le dorique huit fois, neuf dans l’ionique, dix dans le corinthien, & dans le composite autant ; que les colonnes ont un renflement, depuis leur naissance jusqu’au tiers du fût ; que dans les deux autres tiers, elles diminuent peu à peu en fuyant le chapiteau ; que les entre-colonnemens sont au plus de huit modules, & au moins de trois ; que la hauteur des portiques, des arcades, des portes & des fenêtres est double de leur largeur. Ces regles n’étant fondées que sur des observations à l’œil & sur des exemples équivoques, sont toûjours un peu incertaines & ne sont pas tout-à-fait indispensables. Aussi voyons nous quelquefois que les grands Architectes se mettent au-dessus d’elles, y ajoûtent, en rabattent, & en imaginent de nouvelles selon les circonstances.

Voilà donc dans les productions des Arts, un beau essentiel, un beau de création humaine, & un beau de système : un beau essentiel, qui consiste dans l’ordre ; un beau de création humaine, qui consiste dans l’application libre & dépendante de l’artiste des lois de l’ordre, ou pour parler plus clairement, dans le choix de tel ordre ; & un beau de système, qui naît des observations, & qui donne des varietés même entre les plus savans artistes ; mais jamais au préjudice du beau essentiel, qui est une barriere qu’on ne doit jamais franchir. Hic murus aheneus esto. S’il est arrivé quelquefois aux grands maîtres de se laisser emporter par leur génie au-delà de cette barriere, c’est dans les occasions rares où ils ont prévû que cet écart ajoûteroit plus à la beauté qu’il ne lui ôteroit : mais ils n’en ont pas moins fait une faute qu’on peut leur reprocher.

Le beau arbitraire se sous-divise selon le même auteur en un beau de génie, un beau de goût, & un beau de pur caprice : un beau de génie fondé sur la connoissance du beau essentiel, qui donne les regles inviolables ; un beau de goût, fondé sur la connoissance des ouvrages de la nature & des productions des grands maîtres, qui dirige dans l’application & l’emploi du beau essentiel ; un beau de caprice, qui n’étant fondé sur rien, ne doit être admis nulle part.

Que devient le système de Lucrece & des Pyrrhoniens, dans le système du pere André ? que reste-t-il d’abandonné à l’arbitraire ? presque rien : aussi pour toute réponse à l’objection de ceux qui prétendent que la beauté est d’éducation & de préjugé, il se contente de développer la source de leur erreur. Voici, dit-il, comment ils ont raisonné : ils ont cherché dans les meilleurs ouvrages des exemples de beau de caprice, & ils n’ont pas eu de peine à y en rencontrer, & à démontrer que le beau qu’on y reconnoissoit étoit de caprice : ils ont pris des exemples du beau de goût, & ils ont très-bien démontré qu’il y avoit aussi de l’arbitraire dans ce beau ; & sans aller plus loin, ni s’appercevoir que leur énumération étoit incomplete, ils ont conclu que tout ce qu’on appelle beau, étoit arbitraire & de caprice ; mais on conçoit aisément que leur conclusion n’étoit juste que par rapport à la troisieme branche du beau artificiel, & que leur raisonnement n’attaquoit ni les deux autres branches de ce beau, ni le beau naturel, ni le beau essentiel.

Le pere André passe ensuite à l’application de ses principes aux mœurs, aux ouvrages d’esprit & à la Musique ; & il démontre qu’il y a dans ces trois objets du beau, un beau essentiel, absolu & indépendant de toute institution, même divine, qui fait qu’une chose est une ; un beau naturel dépendant de l’institution du créateur, mais indépendant de nous ; un beau arbitraire, dépendant de nous, mais sans préjudice du beau essentiel.

Un beau essentiel dans les mœurs, dans les ouvrages d’esprit & dans la Musique, fondé sur l’ordonnance, la régularité, la proportion, la justesse, la décence, l’accord, qui se remarquent dans une belle action, une bonne piece, un beau concert, & qui font que les productions morales, intellectuelles & harmoniques sont unes.

Un beau naturel, qui n’est autre chose dans les mœurs, que l’observation du beau essentiel dans notre conduite, relative à ce que nous sommes entre les êtres de la nature ; dans les ouvrages d’esprit, que l’imitation & la peinture fidele des productions de la nature en tout genre ; dans l’harmonie, qu’une soumission aux lois que la nature a introduite dans les corps sonores, leur résonnance & la conformation de l’oreille.

Un beau artificiel, qui consiste dans les mœurs à se conformer aux usages de sa nation, au génie de ses concitoyens, à leurs lois ; dans les ouvrages d’esprit, à respecter les regles du discours, à connoître la langue, & à suivre le goût dominant ; dans la Musique, à insérer à propos la dissonance, à conformer ses productions aux mouvemens & aux intervalles reçûs.

D’où il s’ensuit que, selon le P. André, le beau essentiel & la vérité ne se montrent nulle part avec tant de profusion que dans l’univers ; le beau moral, que dans le philosophe chrétien ; & le beau intellectuel, que dans une tragédie accompagnée de musique & de décorations.

L’auteur qui nous a donné l’essai sur le mérite & la vertu, rejette toutes ces distinctions du beau, & prétend, avec beaucoup d’autres, qu’il n’y a qu’un beau, dont l’utile est le fondement : ainsi tout ce qui est ordonné de maniere à produire le plus parfaitement l’effet qu’on se propose, est supremement beau. Si vous lui demandez qu’est-ce qu’un bel homme, il vous répondra que c’est celui dont les membres bien proportionnés conspirent de la façon la plus avantageuse à l’accomplissement des fonctions animales de l’homme. Voy. Essai sur le mérite & la vertu, pag. 48. L’homme, la femme, le cheval, & les autres animaux, continuera-t-il, occupent un rang dans la nature : or dans la nature ce rang détermine les devoirs à remplir ; les devoirs déterminent l’organisation ; & l’organisation est plus ou moins parfaite ou belle, selon le plus ou le moins de facilité que l’animal en reçoit pour vaquer à ses fonctions. Mais cette facilité n’est pas arbitraire, ni par conséquent les formes qui la constituent, ni la beauté qui dépend de ces formes. Puis descendant de-là aux objets les plus communs, aux chaises, aux tables, aux portes, &c. il tâchera de vous prouver que la forme de ces objets ne nous plaît qu’à proportion de ce qu’elle convient mieux à l’usage auquel on les destine ; & si nous changeons si souvent de mode, c’est-à-dire, si nous sommes si peu constans dans le goût pour les formes que nous leur donnons, c’est, dira-t-il, que cette conformation la plus parfaite relativement à l’usage, est très-difficile à rencontrer ; c’est qu’il y a là une espece de maximum qui échappe à toutes les finesses de la Géométrie naturelle & artificielle, & autour duquel nous tournons sans cesse : nous nous appercevons à merveille quand nous en approchons & quand nous l’avons passé, mais nous ne sommes jamais sûrs de l’avoir atteint. De-là cette révolution perpétuelle dans les formes : ou nous les abandonnons pour d’autres, ou nous disputons sans fin sur celles que nous conservons. D’ailleurs ce point n’est pas partout au même endroit ; ce maximum a dans mille occasions des limites plus étendues ou plus étroites : quelques exemples suffiront pour éclaircir sa pensée. Tous les hommes, ajoûtera-t-il, ne sont pas capables de la même attention, n’ont pas la même force d’esprit ; ils sont tous plus ou moins patiens, plus ou moins instruits, &c. Que produira cette diversité ? c’est qu’un spectacle composé d’Académiciens trouvera l’intrigue d’Héraclius admirable, & que le peuple la traitera d’embrouillée ; c’est que les uns restraindront l’étendue d’une comédie à trois actes, & les autres prétendront qu’on peut l’étendre à sept ; & ainsi du reste. Avec quelque vraissemblance que ce système soit exposé, il ne m’est pas possible de l’admettre.

Je conviens avec l’auteur qu’il se mêle dans tous nos jugemens un coup d’œil délicat sur ce que nous sommes, un retour imperceptible vers nous-mêmes, & qu’il y a mille occasions où nous croyons n’être enchantés que par les belles formes, & où elles sont en effet la cause principale, mais non la seule, de notre admiration ; je conviens que cette admiration n’est pas toûjours aussi pure que nous l’imaginons : mais comme il ne faut qu’un fait pour renverser un système, nous sommes contraints d’abandonner celui de l’auteur que nous venons de citer, quelqu’attachement que nous ayons eu jadis pour ses idées ; & voici nos raisons.

Il n’est personne qui n’ait éprouvé que notre attention se porte principalement sur la similitude des parties, dans les choses mêmes où cette similitude ne contribue point à l’utilité : pourvû que les piés d’une chaise soient égaux & solides, qu’importe qu’ils ayent la même figure ? ils peuvent différer en ce point, sans en être moins utiles. L’un pourra donc être droit, & l’autre en pié de biche ; l’un courbe en-dehors, & l’autre en-dedans. Si l’on fait une porte en forme de bierre, sa forme paroîtra peut-être mieux assortie à la figure de l’homme qu’aucune des formes qu’on suit. De quelle utilité sont en Architecture les imitations de la nature & de ses productions ? A quelle fin placer une colonne & des guirlandes où il ne faudroit qu’un poteau de bois, ou qu’un massif de pierre ? A quoi bon ces cariatides ? Une colonne est-elle destinée à faire la fonction d’un homme, ou un homme a-t-il jamais été destiné à faire l’office d’une colonne dans l’angle d’un vestibule ? Pourquoi imite-t-on dans les entablemens, des objets naturels ? qu’importe que dans cette imitation les proportions soient bien ou mal observées ? Si l’utilité est le seul fondement de la beauté, les bas-reliefs, les cannelures, les vases, & en général tous les ornemens, deviennent ridicules & superflus.

Mais le goût de l’imitation se fait sentir dans les choses dont le but unique est de plaire ; & nous admirons souvent des formes, sans que la notion de l’utile nous y porte. Quand le propriétaire d’un cheval ne le trouveroit jamais beau que quand il compare la forme de cet animal au service qu’il prétend en tirer ; il n’en est pas de même du passant à qui il n’appartient pas. Enfin on discerne tous les jours de la beauté dans des fleurs, des plantes, & mille ouvrages de la nature dont l’usage nous est inconnu.

Je sai qu’il n’y a aucune des difficultés que je viens de proposer contre le système que je combats, à laquelle on ne puisse répondre : mais je pense que ces réponses seroient plus subtiles que solides.

Il suit de ce qui précede, que Platon s’étant moins proposé d’enseigner la vérité à ses disciples, que de desabuser ses concitoyens sur le compte des sophistes, nous offre dans ses ouvrages à chaque ligne des exemples du beau, nous montre très-bien ce que ce n’est point, mais ne nous dit rien de ce que c’est.

Que S. Augustin a réduit toute beauté à l’unité ou au rapport exact des parties d’un tout entr’elles, & au rapport exact des parties d’une partie considérée comme tout, & ainsi à l’infini ; ce qui me semble constituer plûtôt l’essence du parfait que du beau.

Que M. Wolf a confondu le beau avec le plaisir qu’il occasionne, & avec la perfection ; quoiqu’il y ait des êtres qui plaisent sans être beaux, d’autres qui sont beaux sans plaire ; que tout être soit susceptible de la derniere perfection, & qu’il y en ait qui ne sont pas suceptibles de la moindre beauté : teis sont tous les objets de l’odorat & du goût, considérés relativement à ces sens.

Que M. Crouzas en chargeant sa définition du beau, ne s’est pas apperçû que plus il multiplioit les caracteres du beau, plus il le particularisoit ; & que s’étant proposé de traiter du beau en général, il a commencé par en donner une notion, qui n’est applicable qu’à quelques especes de beaux particuliers.

Que Hutcheson qui s’est proposé deux objets, le premier d’expliquer l’origine du plaisir que nous éprouvons à la présence du beau ; & le second, de rechercher les qualités que doit avoir un être pour occasionner en nous ce plaisir individuel, & par conséquent nous paroître beau ; a moins prouvé la réalité de son sixieme sens, que fait sentir la difficulté de développer sans ce secours la source du plaisir que nous donne le beau ; & que son principe de l’uniformité dans la variété n’est pas général ; qu’il en fait aux figures de la Géométrie une application plus subtile que vraie, & que ce principe ne s’applique point du tout à une autre sorte de beau, celui des démonstrations des vérités abstraites & universelles.

Que le système proposé dans l’essai sur le mérite & sur la vertu, où l’on prend l’utile pour le seul & unique fondement du beau, est plus défectueux encore qu’aucun des précédens.

Enfin que le pere André Jésuite, ou l’auteur de l’essai sur le beau, est celui qui jusqu’à présent a le mieux approfondi cette matiere, en a le mieux connu l’étendue & la difficulté, en a posé les principes les plus vrais & les plus solides, & mérite le plus d’être lû.

La seule chose qu’on pût desirer peut-être dans son ouvrage, c’étoit de déveloper l’origine des notions qui se trouvent en nous de rapport, d’ordre, de symmétrie : car du ton sublime dont il parle de ces notions, on ne sait s’il les croit acquises & factices, ou s’il les croit innées : mais il faut ajoûter en sa faveur que la maniere de son ouvrage, plus oratoire encore que philosophique, l’éloignoit de cette discussion, dans laquelle nous allons entrer.

Nous naissons avec la faculté de sentir & de penser : le premier pas de la faculté de penser, c’est d’examiner ses perceptions, de les unir, de les comparer, de les combiner, d’appercevoir entr’elles des rapports de convenance & disconvenance, &c. Nous naissons avec des besoins qui nous contraignent de recourir à différens expédiens, entre lesquels nous avons souvent été convaincus par l’effet que nous en attendions, & par celui qu’ils produisoient, qu’il y en a de bons, de mauvais, de prompts, de courts, de complets, d’incomplets, &c. la plûpart de ces expédiens étoient un outil, une machine, ou quelqu’autre invention de ce genre : mais toute machine suppose combinaison, arrangement de parties tendantes à un même but, &c. Voilà donc nos besoins, & l’exercice le plus immédiat de nos facultés, qui conspirent aussi-tôt que nous naissons à nous donner des idées d’ordre, d’arrangement, de symmétrie, de méchanisme, de proportion, d’unité : toutes ces idées viennent des sens, & sont factices ; & nous avons passé de la notion d’une multitude d’êtres artificiels & naturels, arrangés, proportionnés, combinés, symmétrisés, à la notion positive & abstraite d’ordre, d’arrangement, de proportion, de combinaison, de rapports, de symmétrie, & à la notion abstraite & négative de disproportion, de desordre & de cahos.

Ces notions sont expérimentales comme toutes les autres : elles nous sont aussi venues par les sens ; il n’y auroit point de Dieu, que nous ne les aurions pas moins : elles ont précédé de long-tems en nous celle de son existence : elles sont aussi positives, aussi distinctes, aussi nettes, aussi réelles, que celles de longueur, largeur, profondeur, quantité, nombre : comme elles ont leur origine dans nos besoins & l’exercice de nos facultés, y eût-il sur la surface de la terre quelque peuple dans la langue duquel ces idées n’auroient point de nom, elles n’en existeroient pas moins dans les esprits d’une maniere plus ou moins étendue, plus ou moins développée, fondée sur un plus ou moins grand nombre d’expériences, appliquée à un plus ou moins grand nombre d’êtres ; car voilà toute la différence qu’il peut y avoir entre un peuple & un autre peuple, entre un homme & un autre homme chez le même peuple ; & quelles que soient les expressions sublimes dont on se serve pour désigner les notions abstraites d’ordre, de proportion, de rapports, d’harmonie ; qu’on les appelle, si l’on veut, éternelles, originales, souveraines, regles essentielles du beau ; elles ont passé par nos sens pour arriver dans notre entendement, de même que les notions les plus viles ; & ce ne sont que des abstractions de notre esprit.

Mais à peine l’exercice de nos facultés intellectuelles, & la nécessité de pourvoir à nos besoins par des inventions, des machines, &c. eurent-ils ébauché dans notre entendement les notions d’ordre, de rapports, de proportion, de liaison, d’arrangement, de symmétrie, que nous nous trouvâmes environnés d’êtres où les mêmes notions étoient, pour ainsi dire, répétées à l’infini ; nous ne pûmes faire un pas dans l’univers sans que quelque production ne les réveillât ; elles entrerent dans notre ame à tout instant & de tous côtés ; tout ce qui se passoit en nous, tout ce qui existoit hors de nous, tout ce qui subsistoit des siecles écoulés, tout ce que l’industrie, la réflexion, les découvertes de nos contemporains, produisoient sous nos yeux, continuoit de nous inculquer les notions d’ordre, de rapports, d’arrangement, de symmétrie, de convenance, de disconvenance, &c. & il n’y a pas une notion, si ce n’est peut-être celle d’existence, qui ait pû devenir aussi familiere aux hommes, que celle dont il s’agit.

S’il n’entre donc dans la notion du beau soit absolu, soit relatif, soit général, soit particulier, que les notions d’ordre, de rapports, de proportions, d’arrangement, de symmétrie, de convenance, de disconvenance ; ces notions ne découlant pas d’une autre source que celles d’existence, de nombre, de longueur, largeur, profondeur, & une infinité d’autres, sur lesquelles on ne conteste point, on peut, ce me semble, employer les premieres dans une définition du beau, sans être accusé de substituer un terme à la place d’un autre, & de tourner dans un cercle vicieux.

Beau est un terme que nous appliquons à une infinité d’êtres : mais quelque différence qu’il y ait entre ces êtres, il faut ou que nous fassions une fausse application du terme beau, ou qu’il y ait dans tous ces êtres une qualité dont le terme beau soit le signe.

Cette qualité ne peut être du nombre de celles qui constituent leur différence spécifique ; car ou il n’y auroit qu’un seul être beau, ou tout au plus qu’une seule belle espece d’êtres.

Mais entre les qualités communes à tous les êtres que nous appellons beaux, laquelle choisirons-nous pour la chose dont le terme beau est le signe ? Laquelle ? il est évident, ce me semble, que ce ne peut être que celle dont la présence les rend tous beaux ; dont la fréquence ou la rareté, si elle est susceptible de fréquence & de rareté, les rend plus ou moins beaux ; dont l’absence les fait cesser d’être beaux ; qui ne peut changer de nature, sans faire changer le beau d’espece, & dont la qualité contraire rendroit les plus beaux desagréables & laids ; celle en un mot par qui la beauté commence, augmente, varie à l’infini, décline, & disparoît : or il n’y a que la notion de rapports capable de ces effets.

J’appelle donc beau hors de moi, tout ce qui contient en soi de quoi réveiller dans mon entendement l’idée de rapports ; & beau par rapport à moi, tout ce qui réveille cette idée.

Quand je dis tout, j’en excepte pourtant les qualités relatives au goût & à l’odorat ; quoique ces qualités puissent réveiller en nous l’idée de rapports, on n’appelle point beaux les objets en qui elles résident, quand on ne les considere que relativement à ces qualités. On dit un mets excellent, une odeur délicieuse ; mais non un beau mets, une belle odeur. Lors donc qu’on dit, voilà un beau turbot, voilà une belle rose, on considere d’autres qualités dans la rose & dans le turbot que celles qui sont relatives aux sens du goût & de l’odorat.

Quand je dis tout ce qui contient en soi de quoi réveiller dans mon entendement l’idée de rapport, ou tout ce qui réveille cette idée, c’est qu’il faut bien distinguer les formes qui sont dans les objets, & la notion que j’en ai. Mon entendement ne met rien dans les choses, & n’en ôte rien. Que je pense ou ne pense point à la façade du Louvre, toutes les parties qui la composent n’en ont pas moins telle ou telle forme, & tel & tel arrangement entr’elles : qu’il y eût des hommes ou qu’il n’y en eût point, elle n’en seroit pas moins belle ; mais seulement pour des êtres possibles constitués de corps & d’esprit comme nous ; car pour d’autres, elle pourroit n’être ni belle ni laide, ou même être laide. D’où il s’ensuit que, quoiqu’il n’y ait point de beau absolu, il y a deux sortes de beau par rapport à nous, un beau réel, & un beau apperçû.

Quand je dis, tout ce qui réveille en nous l’idée de rapports, je n’entens pas que pour appeller un être beau, il faille apprétier quelle est la sorte de rapports qui y regne ; je n’exige pas que celui qui voit un morceau d’Architecture soit en état d’assûrer ce que l’Architecte même peut ignorer, que cette partie est à celle-là comme tel nombre est à tel nombre ; ou que celui qui entend un concert, sache plus quelquefois que ne sait le Musicien, que tel son est à tel son dans le rapport de 2 à 4, ou de 4 à 5. Il suffit qu’il apperçoive & sente que les membres de cette architecture, & que les sons de cette piece de musique ont des rapports, soit entr’eux, soit avec d’autres objets. C’est l’indétermination de ces rapports, la facilité de les saisir, & le plaisir qui accompagne leur perception, qui a fait imaginer que le beau étoit plûtôt une affaire de sentiment que de raison. J’ose assûrer que toutes les fois qu’un principe nous sera connu dès la plus tendre enfance, & que nous en ferons par l’habitude une application facile & subite aux objets placés hors de nous, nous croirons en juger par sentiment : mais nous serons contraints d’avoüer notre erreur dans toutes les occasions où la complication des rapports & la nouveauté de l’objet suspendront l’application du principe : alors le plaisir attendra pour se faire sentir, que l’entendement ait prononcé que l’objet est beau. D’ailleurs le jugement en pareil cas est presque toûjours du beau relatif, & non du beau réel.

Ou l’on considere les rapports dans les mœurs, & l’on a le beau moral, ou on les considere dans les ouvrages de Littérature, & on a le beau littéraire ; ou on les considere dans les pieces de Musique, & l’on a le beau musical ; ou on les considere dans les ouvrages de la nature, & l’on a le beau naturel ; ou on les considere dans les ouvrages méchaniques des hommes, & on a le beau artificiel ; ou on les considere dans les représentations des ouvrages de l’art ou de la nature, & l’on a le beau d’imitation : dans quelqu’objet, & sous quelque aspect que vous considériez les rapports dans un même objet, le beau prendra différens noms.

Mais un même objet, quel qu’il soit, peut être considéré solitairement & en lui-même, ou relativement à d’autres. Quand je prononce d’une fleur qu’elle est belle, ou d’un poisson qu’il est beau, qu’entens-je ? Si je considere cette fleur ou ce poisson solitairement ; je n’entends pas autre chose, sinon que j’apperçois entre les parties dont ils sont composés, de l’ordre, de l’arrangement, de la symmétrie, des rapports (car tous ces mots ne désignent que différentes manieres d’envisager les rapports mêmes) : en ce sens toute fleur est belle, tout poisson est beau ; mais de quel beau ? de celui que j’appelle beau réel.

Si je considere la fleur & le poisson relativement à d’autres fleurs & d’autres poissons ; quand je dis qu’ils sont beaux, cela signifie qu’entre les êtres de leur genre, qu’entre les fleurs celle-ci, qu’entre les poissons celui-là, réveillent en moi le plus d’idées de rapports, & le plus de certains rapports ; car je ne tarderai pas à faire voir que tous les rapports n’étant pas de la même nature, ils contribuent plus ou moins les uns que les autres à la beauté. Mais je puis assûrer que sous cette nouvelle façon de considérer les objets, il y a beau & laid : mais quel beau, quel laid ? celui qu’on appelle relatif.

Si au lieu de prendre une fleur ou un poisson, on généralise, & qu’on prenne une plante ou un animal ; si on particularise & qu’on prenne une rose & un turbot, on en tirera toûjours la distinction du beau relatif, & du beau réel.

D’où l’on voit qu’il y a plusieurs beaux relatifs, & qu’une tulipe peut être belle ou laide entre les tulipes, belle ou laide entre les fleurs, belle ou laide entre les plantes, belle ou laide entre les productions de la nature.

Mais on conçoit qu’il faut avoir vû bien des roses & bien des turbots, pour prononcer que ceux-ci sont beaux ou laids entre les roses & les turbots ; bien des plantes & bien des poissons, pour prononcer que la rose & le turbot sont beaux ou laids entre les plantes & les poissons ; & qu’il faut avoir une grande connoissance de la nature, pour prononcer qu’ils sont beaux ou laids entre les productions de la nature.

Qu’est-ce donc qu’on entend, quand on dit à un artiste, imitez la belle nature ? Ou l’on ne sait ce qu’on commande, ou on lui dit : si vous avez à peindre une fleur, & qu’il vous soit d’ailleurs indifférent laquelle peindre, prenez la plus belle d’entre les fleurs ; si vous avez à peindre une plante, & que votre sujet ne demande point que ce soit un chêne ou un ormeau sec, rompu, brisé, ébranché, prenez la plus belle d’entre les plantes ; si vous avez à peindre un objet de la nature, & qu’il vous soit indifférent lequel choisir, prenez le plus beau.

D’où il s’ensuit, 1°. que le principe de l’imitation de la belle nature demande l’étude la plus profonde & la plus étendue de ses productions en tout genre.

2°. Que quand on auroit la connoissance la plus parfaite de la nature, & des limites qu’elle s’est prescrites dans la production de chaque être, il n’en seroit pas moins vrai que le nombre des occasions où le plus beau pourroit être employé dans les Arts d’imitation, seroit à celui où il faut préférer le moins beau, comme l’unité est à l’infini.

3°. Que quoiqu’il y ait en effet un maximum de beauté dans chaque ouvrage de la nature, considéré en lui-même ; ou, pour me servir d’un exemple, que quoique la plus belle rose qu’elle produise, n’ait jamais ni la hauteur, ni l’étendue d’un chêne, cependant il n’y a ni beau, ni laid dans ses productions, considérées relativement à l’emploi qu’on en peut faire dans les Arts d’imitation.

Selon la nature d’un être, selon qu’il excite en nous la perception d’un plus grand nombre de rapports, & selon la nature des rapports qu’il excite, il est joli, beau, plus beau, très-beau ou laid ; bas, petit, grand, élevé, sublime, outré, burlesque ou plaisant ; & ce seroit faire un très-grand ouvrage, & non pas un article de dictionnaire, que d’entrer dans tous ces détails : il nous suffit d’avoir montré les principes ; nous abandonnons au lecteur le soin des conséquences & des applications. Mais nous pouvons lui assûrer, que soit qu’il prenne ses exemples dans la nature, ou qu’il les emprunte de la Peinture, de la Morale, de l’Architecture, de la Musique, il trouvera toûjours qu’il donne le nom de beau réel à tout ce qui contient en soi dequoi réveiller l’idée de rapports ; & le nom de beau relatif, à tout ce qui réveille des rapports convenables avec les choses, auxquelles il en faut faire la comparaison.

Je me contenterai d’en apporter un exemple, pris de la Littérature. Tout le monde sçait le mot sublime de la tragédie des Horaces, qu’il mourût. Je demande à quelqu un qui ne connoît point la piece de Corneille, & qui n’a aucune idée de la réponse du vieil Horace, ce qu’il pense de ce trait qu’il mourût. Il est évident que celui que j’interroge ne sachant ce que c’est que ce qu’il mourût ; ne pouvant deviner si c’est une phrase complete ou un fragment, & appercevant à peine entre ces trois termes quelque rapport grammatical, me répondra que cela ne lui paroît ni beau ni laid. Mais si je lui dis que c’est la réponse d’un homme consulté sur ce qu’un autre doit faire dans un combat, il commence à appercevoir dans le répondant une sorte de courage, qui ne lui permet pas de croire qu’il soit toûjours meilleur de vivre que de mourir ; & le qu’il mourût commence à l’intéresser. Si j’ajoûte qu’il s’agit dans ce combat de l’honneur de la patrie ; que le combattant est fils de celui qu’on interroge ; que c’est le seul qui lui reste ; que le jeune homme avoit à faire à trois ennemis, qui avoient déjà ôté la vie à deux de ses freres ; que le vieillard parle à sa fille ; que c’est un Romain : alors la réponse qu’il mourût, qui n’étoit ni belle, ni laide, s’embellit à mesure que je développe ses rapports avec les circonstances, & finit par être sublime.

Changez les circonstances & les rapports, & faites passer le qu’il mourut du théatre François sur la scene Italienne, & de la bouche du vieil Horace dans celle de Scapin, le qu’il mourût deviendra burlesque.

Changez encore les circonstances, & supposez que Scapin soit au service d’un maitre dur, avare & bourru, & qu’ils soient attaqués sur un grand chemin par trois ou quatre brigands. Scapin s’enfuit ; son maître se défend : mais pressé par le nombre, il est obligé de s’enfuir aussi ; & l’on vient apprendre à Scapin que son maître a échappé au danger. Comment, dira Scapin trompé dans son attente ; il s’est donc enfui : ah le lâche ! Mais lui répondra-t-on, seul contre trois que voulois-tu qu’il fit ? qu’il mourût, répondra-t-il ; & ce qu’il mourût deviendra plaisant. Il est donc constant que la beauté commence, s’accroît, varie, décline & disparoît avec les rapports, ainsi que nous l’avons dit plus haut.

Mais qu’entendez-vous par un rapport, me demandera-t-on ? n’est-ce pas changer l’acception des termes, que de donner le nom de beau à ce qu’on n’a jamais regardé comme tel ? Il semble que dans notre langue l’idée ce beau soit toûjours jointe à celle de grandeur, & que ce ne soit pas définir le beau que de placer sa différence spécifique dans une qualité qui convient à une infinité d’êtres, qui n’ont ni grandeur, ni sublimité. M. Crouzas a péché, sans doute, lorsqu’il a chargé sa définition du beau d’un si grand nombre de caracteres, qu’elle s’est trouvée restreinte à un très-petit nombre d’êtres : mais n’est-ce pas tomber dans le défaut contraire, que de la rendre si générale, qu’elle semble les embrasser tous, sans en excepter un amas de pierres informes, jettées au hasard sur le bord d’une carriere ? Tous les objets, ajoûtera-t-on, sont susceptibles de rapports entre eux, entre leurs parties, & avec d’autres êtres ; il n’y en a point qui ne puissent être arrangés, ordonnés, symmétrisés. La perfection est une qualité qui peut convenir à tous : mais il n’en est pas de même de la beauté ; elle est d’un petit nombre d’objets.

Voilà, ce me semble, sinon la seule, du moins la plus forte objection qu’on puisse me faire, & je vais tâcher d’y répondre.

Le rapport en général est une opération de l’entendement, qui considere soit un être, soit une qualité, en tant que cet être ou cette qualité suppose l’existence d’un autre être ou d’une autre qualité. Exemple : quand je dis que Pierre est un bon pere, je considere en lui une qualité qui suppose l’existence d’une autre, celle de fils ; & ainsi des autres rapports, tels qu’ils puissent être. D’où il s’ensuit que, quoique le rapport ne soit que dans notre entendement, quant à la perception, il n’en a pas moins son fondement dans les choses ; & je dirai qu’une chose contient en elle des rapports réels, toutes les fois qu’elle sera revêtue de qualités qu’un être constitué de corps & d’esprit comme moi, ne pourroit considérer sans supposer l’existence ou d’autres êtres, ou d’autres qualités, soit dans la chose même, soit hors d’elle ; & je distribuerai les rapports en réels & en apperçus. Mais il y a une troisieme sorte de rapports ; ce sont les rapports intellectuels ou fictifs ; ceux que l’entendement humain semble mettre dans les choses. Un statuaire jette l’œil sur un bloc de marbre ; son imagination plus prompte que son ciseau, en enleve toutes les parties superflues, & y discerne une figure : mais cette figure est proprement imaginaire & fictive ; il pourroit faire sur une portion d’espace terminée par des lignes intellectuelles, ce qu’il vient d’exécuter d’imagination dans un bloc informe de marbre. Un philosophe jette l’œil sur un amas de pierres jettées au hasard ; il anéantit par la pensée toutes les parties de cet amas qui produisent l’irrégularité, & il parvient à en faire sortir un globe, un cube, une figure réguliere. Qu’est-ce que cela signifie ? Que quoique la main de l’artiste ne puisse tracer un dessein que sur des surfaces résistantes, il en peut transporter l’image par la pensée sur tout corps ; que dis-je, sur tout corps ? dans l’espace & le vuide. L’image, ou transportée par la pensée dans les airs, ou extraite par imagination des corps les plus informes, peut être belle ou laide : mais non la toile idéale à laquelle on l’a attachée, ou le corps informe dont on l’a fait sortir.

Quand je dis donc qu’un être est beau par les rapports qu’on y remarque, je ne parle point des rapports intellectuels ou fictifs que notre imagination y transporte, mais des rapports réels qui y sont, & que notre entendement y remarque par le secours de nos sens.

En revanche, je prétens que quels que soient les rapports, ce sont eux qui constitueront la beauté, non dans ce sens étroit où le joli est l’opposé du beau, mais dans un sens, j’ose le dire, plus philosophique & plus conforme à la notion du beau en général, & à la nature des langues & des choses.

Si quelqu’un a la patience de rassembler tous les êtres auxquels nous donnons le nom de beau, il s’appercevra bientôt que dans cette foule il y en a une infinité où l’on n’a nul égard à la petitesse ou la grandeur : la petitesse & la grandeur sont comptées pour rien toutes les fois que l’être est solitaire, ou qu’étant individu d’une espece nombreuse, on le considere solitairement. Quand on prononça de la premiere horloge ou de la premiere montre qu’elle étoit belle, faisoit-on attention à autre chose qu’à son méchanisme, ou au rapport de ses parties entre-elles ? Quand on prononce aujourd’hui que la montre est belle, fait-on attention à autre chose qu’à son usage & à son méchanisme. Si donc la définition générale du beau doit convenir à tous les êtres auxquels on donne cette épithete, l’idée de grandeur en est exclue. Je me suis attaché à écarter de la notion du beau, la notion de grandeur ; parce qu’il m’a semblé que c’étoit celle qu’on lui attachoit plus ordinairement. En Mathématique, on entend par un beau problème, un problème difficile à résoudre ; par une belle solution, la solution simple & facile d’un problème difficile & compliqué. La notion de grand, de sublime, d’élevé, n’a aucun lieu dans ces occasions où on ne laisse pas d’employer le nom de beau. Qu’on parcourre de cette maniere tous les êtres qu’on nomme beaux : l’un exclura la grandeur, l’autre exclura l’utilité ; un troisieme la symmétrie ; quelques-uns même l’apparence marquée d’ordre & de symmétrie ; telle seroit la peinture d’un orage, d’une tempête, d’un cahos : & l’on sera forcé de convenir, que la seule qualité commune, selon laquelle ces êtres conviennent tous, est la notion de rapports.

Mais quand on demande que la notion générale de beau convienne à tous les êtres qu’on nomme tels, ne parle-t-on que de sa langue, ou parle-t-on de toutes les langues ? Faut-il que cette définition convienne seulement aux êtres que nous appellons beaux en François, ou à tous les êtres qu’on appelleroit beaux en Hébreu, en Syriaque, en Arabe, en Chaldéen, en Grec, en Latin, en Anglois, en Italien, & dans toutes les langues qui ont existé, qui existent, ou qui existeront ? & pour prouver que la notion de rapports est la seule qui resteroit après l’emploi d’une regle d’exclusion aussi étendue, le philosophe sera-t-il forcé de les apprendre toutes ? ne lui suffit-il pas d’avoir examiné que l’acception du terme beau varie dans toutes les langues ; qu’on le trouve appliqué là à une sorte d’êtres, à laquelle il ne s’applique point ici, mais qu’en quelque idiome qu’on en fasse usage, il suppose perception de rapports ? Les Anglois disent a fine flavour, a fine woman, une belle femme, une belle odeur. Où en seroit un philosophe Anglois, si ayant à traiter du beau, il vouloit avoir égard à cette bisarrerie de sa langue ? C’est le peuple qui a fait les langues ; c’est au philosophe à découvrir l’origine des choses ; & il seroit assez surprenant que les principes de l’un ne se trouvassent pas souvent en contradiction avec les usages de l’autre. Mais le principe de la perception des rapports, appliqué à la nature du beau, n’a pas même ici ce desavantage ; & il est si général, qu’il est difficile que quelque chose lui échappe.

Chez tous les peuples, dans tous les lieux de la terre, & dans tous les tems, on a eu un nom pour la couleur en général, & d’autres noms pour les couleurs en particulier, & pour leurs nuances. Qu’auroit à faire un philosophe à qui l’on proposeroit d’expliquer ce que c’est qu’une belle couleur ? sinon d’indiquer l’origine de l’application du terme beau à une couleur en général, quelle qu’elle soit, & ensuite d’indiquer les causes qui ont pû faire préférer telle nuance à telle autre. De même c’est la perception des rapports qui a donné lieu à l’invention du terme beau ; & selon que les rapports & l’esprit des hommes ont varié, on a fait les noms joli, beau, charmant, grand, sublime, divin, & une infinité d’autres, tant relatifs au physique qu’au moral. Voilà les nuances du beau : mais j’étens cette pensée, & je dis :

Quand on exige que la notion générale de beau convienne à tous les êtres beaux, parle-t-on seulement de ceux qui portent cette épithete ici & aujourd’hui, ou de ceux qu’on a nommés beaux à la naissance du monde, qu’on appelloit beaux il y a cinq mille ans, à trois mille lieues, & qu’on appellera tels dans les siecles à venir ; de ceux que nous avons regardés comme tels dans l’enfance, dans l’âge mûr, & dans la vieillesse ; de ceux qui font l’admiration des peuples policés, & de ceux qui charment les sauvages. La vérité de cette définition sera-t-elle locale, particuliere, & momentanée ? ou s’étendra-t-elle à tous les êtres, à tous les tems, à tous les hommes, & à tous les lieux ? Si l’on prend le dernier parti, on se rapprochera beaucoup de mon principe, & l’on ne trouvera guere d’autre moyen de concilier entr’eux les jugemens de l’enfant & de l’homme fait : de l’enfant, à qui il ne faut qu’un vestige de symmétrie & d’imitation pour admirer & pour être recréé ; de l’homme fait, à qui il faut des palais & des ouvrages d’une étendue immense pour être frappé : du sauvage & de l’homme policé ; du sauvage, qui est enchanté à la vûe d’une pendeloque de verre, d’une bague de laiton, ou d’un brasselet de quincaille ; & de l’homme policé, qui n’accorde son attention qu’aux ouvrages les plus parfaits : des premiers hommes, qui prodiguoient les noms de beaux, de magnifiques, &c. à des cabanes, des chaumieres, & des granges ; & des hommes d’aujourd’hui, qui ont restreint ces dénominations aux derniers efforts de la capacité de l’homme.

Placez la beauté dans la perception des rapports, & vous aurez l’histoire de ses progrès depuis la naissance du monde jusqu’aujourd’hui : choisissez pour caractere différentiel du beau en général, telle autre qualité qu’il vous plaira, & votre notion se trouvera tout-à-coup concentrée dans un point de l’espace & du tems.

La perception des rapports est donc le fondement du beau ; c’est donc la perception des rapports qu’on a désignée dans les langues sous une infinité de noms différens, qui tous n’indiquent que différentes sortes de beau.

Mais dans la nôtre, & dans presque toutes les autres, le terme beau se prend souvent par opposition à joli ; & sous ce nouvel aspect, il semble que la question du beau ne soit plus qu’une affaire de Grammaire, & qu’il ne s’agisse plus que de spécifier exactement les idées qu’on attache à ce terme. Voyez à l’article suivant Beau opposé à Joli.

Après avoir tenté d’exposer en quoi consiste l’origine du beau, il ne nous reste plus qu’à rechercher celle des opinions différentes que les hommes ont de la beauté : cette recherche achevera de donner de la certitude à nos principes ; car nous démontrerons que toutes ces différences résultent de la diversité des rapports apperçûs ou introduits, tant dans les productions de la nature, que dans celles des arts.

Le beau qui résulte de la perception d’un seul rapport, est moindre ordinairement que celui qui résulte de la perception de plusieurs rapports. La vûe d’un beau visage ou d’un beau tableau, affecte plus que celle d’une seule couleur ; un ciel étoilé, qu’un rideau d’asur ; un paysage, qu’une campagne ouverte ; un édifice, qu’un terrein uni ; une piece de musique, qu’un son. Cependant il ne faut pas multiplier le nombre des rapports à l’infini ; & la beauté ne suit pas cette progression : nous n’admettons de rapport dans les belles choses, que ce qu’un bon esprit en peut saisir nettement & facilement. Mais qu’est-ce qu’un bon esprit ? où est ce point dans les ouvrages en-deçà duquel, faute de rapports, ils sont trop unis, & au-delà duquel ils en sont chargés par excès ? Premiere source de diversité dans les jugemens. Ici commencent les contestations. Tous conviennent qu’il y a un beau, qu’il est le résultat des rapports apperçûs : mais selon qu’on a plus ou moins de connoissance, d’expérience, d’habitude de juger, de mediter, de voir, plus d’étendue naturelle dans l’esprit, on dit qu’un objet est pauvre ou riche, confus ou rempli, mesquin ou chargé.

Mais combien de compositions où l’artiste est contraint d’employer plus de rapports que le grand nombre n’en peut saisir, & où il n’y a guere que ceux de son art, c’est-à-dire, les hommes les moins disposés à lui rendre justice, qui connoissent tout le mérite de ses productions ? Que devient alors le beau ? Ou il est présenté à une troupe d’ignorans qui ne sont pas en état de le sentir, ou il est senti par quelques envieux qui se taisent ; c’est-là souvent tout l’effet d’un grand morceau de Musique. M. d’Alembert a dit dans le Discours préliminaire de cet Ouvrage, Discours qui mérite bien d’être cité dans cet article, qu’après avoir fait un art d’apprendre la Musique, on en devroit bien faire un de l’écouter : & j’ajoûte qu’après avoir fait un art de la Poësie & de la Peinture, c’est en vain qu’on en a fait un de lire & de voir ; & qu’il régnera toûjours dans les jugemens de certains ouvrages une uniformité apparente, moins injurieuse à la vérité pour l’artiste que le partage des sentimens, mais toûjours fort affligeante.

Entre les rapports on en peut distinguer une infinité de sortes : il y en a qui se fortifient, s’affoiblissent, & se temperent mutuellement. Quelle différence dans ce qu’on pensera de la beauté d’un objet, si on les saisit tous, ou si l’on n’en saisit qu’une partie ! Seconde source de diversité dans les jugemens. Il y en a d’indéterminés & de déterminés : nous nous contentons des premiers pour accorder le nom de beau, toutes les fois qu’il n’est pas de l’objet immédiat & unique de la science ou de l’art de les déterminer. Mais si cette détermination est l’objet immédiat & unique d’une science ou d’un art, nous exigeons non-seulement les rapports, mais encore leur valeur : voilà la raison pour laquelle nous disons un beau théorème, & que nous ne disons pas un bel axiome ; quoiqu’on ne puisse pas nier que l’axiome exprimant un rapport, n’ait aussi sa beauté réelle. Quand je dis, en Mathématiques, que le tout est plus grand que sa partie, j’énonce assûrément une infinité de propositions particulieres, sur la quantité partagée : mais je ne détermine rien sur l’excès juste du tout sur ses portions ; c’est presque comme si je disois : le cylindre est plus grand que la sphere inscrite, & la sphere plus grande que le cone inscrit. Mais l’objet propre & immédiat des Mathématiques est de déterminer de combien l’un de ces corps est plus grand ou plus petit que l’autre ; & celui qui démontrera qu’ils sont toûjours entr’eux comme les nombres 3, 2, 1, aura fait un théorème admirable. La beauté qui consiste toûjours dans les rapports, sera dans cette occasion en raison composée du nombre des rapports, & de la difficulté qu’il y avoit à les appercevoir ; & le théoreme qui énoncera que toute ligne qui tombe du sommet d’un triangle isoscele sur le milieu de sa base, partage l’angle en deux angles égaux, ne sera pas merveilleux : mais celui qui dira que les asymptotes d’une courbe s’en approchent sans cesse sans jamais la rencontrer, & que les espaces formés par une portion de l’axe, une portion de la courbe, l’asymptote, & le prolongement de l’ordonnée, sont entr’eux comme tel nombre à tel nombre, sera beau. Une circonstance qui n’est pas indifférente à la beauté, dans cette occasion & dans beaucoup d’autres, c’est l’action combinée de la surprise & des rapports, qui a lieu toutes les fois que le théorème dont on a démontré la vérité passoit auparavant pour une proposition fausse.

Il y a des rapports que nous jugeons plus ou moins essentiels ; tel est celui de la grandeur relativement à l’homme, à la femme, & à l’enfant : nous disons d’un enfant qu’il est beau, quoiqu’il soit petit ; il faut absolument qu’un bel homme soit grand ; nous exigeons moins cette qualité dans une femme ; & il est plus permis à une petite femme d’être belle, qu’à un petit homme d’être beau. Il me semble que nous considérons alors les êtres, non-seulement en eux-mêmes, mais encore relativement aux lieux qu’ils occupent dans la nature, dans le grand tout ; & selon que ce grand tout est plus ou moins connu, l’échelle qu’on se forme de la grandeur des êtres est plus ou moins exacte : mais nous ne savons jamais bien quand elle est juste. Troisieme source de diversité de goûts & de jugemens dans les arts d’imitation. Les grands maîtres ont mieux aimé que leur échelle fût un peu trop grande que trop petite : mais aucun d’eux n’a la même échelle, ni peut-être celle de la nature.

L’intérêt, les passions, l’ignorance, les préjugés, les usages, les mœurs, les climats, les coûtumes, les gouvernemens, les cultes, les évenemens, empêchent les êtres qui nous environnent, ou les rendent capables de réveiller ou de ne point réveiller en nous plusieurs idées, anéantissent en eux des rapports très-naturels, & y en établissent de capricieux & d’accidentels. Quatrieme source de diversité dans les jugemens.

On rapporte tout à son art & à ses connoissances : nous faisons tous plus ou moins le rôle du critique d’Apelle ; & quoique nous ne connoissions que la chaussure, nous jugeons aussi de la jambe ; ou quoique nous ne connoissions que la jambe, nous descendons aussi à la chaussure : mais nous ne portons pas seulement ou cette témérité ou cette ostentation de détail dans le jugement des productions de l’art ; celles de la nature n’en sont pas exemptes. Entre les tulipes d’un jardin, la plus belle pour un curieux sera celle où il remarquera une étendue, des couleurs, une feuille, des variétés peu communes : mais le Peintre occupé d’effets de lumiere, de teintes, de clair obscur, de formes relatives à son art, négligera tous les caracteres que le fleuriste admire, & prendra pour modele la fleur même méprisée par le curieux. Diversité de talens & de connoissances, cinquieme source de diversité dans les jugemens.

L’ame a le pouvoir d’unir ensemble les idées qu’elle a reçûes séparément, de comparer les objets par le moyen des idées qu’elle en a, d’observer les rapports qu’elles ont entr’elles, d’étendre ou de resserrer ses idées à son gré, de considérer séparément chacune des idées simples qui peuvent s’être trouvées réunies dans la sensation qu’elle en a reçûes. Cette derniere opération de l’ame s’appelle abstraction. V. Abstraction. Les idées des substances corporelles sont composées de diverses idées simples, qui ont fait ensemble leurs impressions lorsque les substances corporelles se sont présentées à nos sens : ce n’est qu’en spécifiant en détail ces idées sensibles, qu’on peut définir les substances. Voyez Substance. Ces sortes de définitions peuvent exciter une idée assez claire d’une substance dans un homme qui ne l’a jamais immédiament apperçûe, pourvû qu’il ait autrefois reçû séparément, par le moyen des sens, toutes les idées simples qui entrent dans la composition de l’idée complexe de la substance définie : mais s’il lui manque la notion de quelqu’une des idées simples dont cette substance est composée, & s’il est privé du sens nécessaire pour les appercevoir, ou si ce sens est dépravé sans retour, il n’est aucune définition qui puisse exciter en lui l’idée dont il n’auroit pas eû précédemment une perception sensible. Voyez Définition. Sixieme source de diversité dans les jugemens que les hommes porteront de la beauté d’une description ; car combien entr’eux de notions fausses, combien de demi-notions du même objet !

Mais ils ne doivent pas s’accorder davantage sur les êtres intellectuels : ils sont tous représentés par des signes ; & il n’y a presqu’aucun de ces signes qui soit assez exactement défini, pour que l’acception n’en soit pas plus étendue ou plus resserrée dans un homme que dans un autre. La Logique & la Métaphysique seroient bien voisines de la perfection, si le Dictionnaire de la langue étoit bien fait : mais c’est encore un ouvrage à desirer ; & comme les mots sont les couleurs dont la Poësie & l’Eloquence se servent, quelle conformité peut-on attendre dans les jugemens du tableau, tant qu’on ne saura seulement pas à quoi s’en tenir sur les couleurs & sur les nuances ? Septieme source de diversité dans les jugemens.

Quel que soit l’être dont nous jugeons ; les goûts & les dégoûts excités par l’instruction, par l’éducation, par le préjugé, ou par un certain ordre factice dans nos idées, sont tous fondés sur l’opinion où nous sommes que ces objets ont quelque perfection ou quelque défaut dans des qualités, pour la perception desquelles nous avons des sens ou des facultés convenables. Huitieme source de diversité.

On peut assûrer que les idées simples qu’un même objet excite en différentes personnes, sont aussi differentes que les goûts & les dégoûts qu’on leur remarque. C’est même une vérité de sentiment ; & il n’est pas plus difficile que plusieurs personnes different entr’elles dans un même instant, relativement aux idées simples, que le même homme ne differe de lui-même dans des instans différens. Nos sens sont dans un état de vicissitude continuelle : un jour on n’a point d’yeux, un autre jour on entend mal ; & d’un jour à l’autre, on voit, on sent, on entend diversement. Neuvieme source de diversité dans les jugemens des hommes d’un même âge, & d’un même homme en différens âges.

Il se joint par accident à l’objet le plus beau des idées desagréables : si l’on aime le vin d’Espagne, il ne faut qu’en prendre avec de l’émétique pour le détester ; il ne nous est pas libre d’éprouver ou non des nausées à son aspect : le vin d’Espagne est toûjours bon, mais notre condition n’est pas la même par rapport à lui. De même, ce vestibule est toûjours magnifique, mais mon ami y a perdu la vie. Ce théatre n’a pas cessé d’être beau, depuis qu’on m’y a sifflé : mais je ne peux plus le voir, sans que mes oreilles ne soient encore frappées du bruit des sifflets. Je ne vois sous ce vestibule, que mon ami expirant ; je ne sens plus sa beauté. Dixieme source d’une diversité dans les jugemens, occasionnée par ce cortege d’idées accidentelles, qu’il ne nous est pas libre d’écarter de l’idée principale. Post equitem sedet atra cura.

Lorsqu’il s’agit d’objets composés, & qui présentent en même tems des formes naturelles & des formes artificielles, comme dans l’Architecture, les jardins, les ajustemens, &c. notre goût est fondé sur une autre association d’idées moitié raisonnables, moitié capricieuses : quelque foible analogie avec la démarche, le cri, la forme, la couleur d’un objet malfaisant, l’opinion de notre pays, les conventions de nos compatriotes, &c. tout influe dans nos jugemens. Ces causes tendent-elles à nous faire regarder les couleurs éclatantes & vives, comme une marque de vanité ou de quelqu’autre mauvaise disposition de cœur ou d’esprit : certaines formes sont-elles en usage parmi les paysans, ou des gens dont la profession, les emplois, le caractere nous sont odieux ou méprisables ; ces idées accessoires reviendront malgré nous, avec celles de la couleur & de la forme ; & nous prononcerons contre cette couleur & ces formes, quoiqu’elles n’ayent rien en elles-mêmes de desagréable. Onzieme source de diversité.

Quel sera donc l’objet dans la nature sur la beauté, duquel les hommes seront parfaitement d’accord ? La structure des végétaux ? Le méchanisme des animaux ? Le monde ? Mais ceux qui sont le plus frappés des rapports, de l’ordre, des symmétries, des liaisons, qui regnent entre les parties de ce grand tout, ignorant le but que le créateur s’est proposé en le formant, ne sont-ils pas entraînés à prononcer qu’il est parfaitement beau, par les idées qu’ils ont de la divinité ? & ne regardent-ils pas cet ouvrage, comme un chef-d’œuvre, principalement parce qu’il n’a manqué à l’auteur ni la puissance ni la volonté pour le former tel ? Voyez Optimisme. Mais combien d’occasions où nous n’avons pas le même droit d’inférer la perfection de l’ouvrage, du nom seul de l’ouvrier, & où nous ne laissons pas que d’admirer ? Ce tableau est de Raphael, cela suffit. Douzieme source, sinon de diversité, du moins d’erreur dans les jugemens.

Les êtres purement imaginaires, tels que le sphynx, la syrene, le faune, le minotaure, l’homme idéal, &c. sont ceux sur la beauté desquels on semble moins partagé, & cela n’est pas surprenant : ces êtres imaginaires sont à la vérité formés d’après les rapports que nous voyons observés dans les êtres réels ; mais le modele auquel ils doivent ressembler, épars entre toutes les productions de la nature, est proprement par tout & nulle part.

Quoi qu’il en soit de toutes ces causes de diversité dans nos jugemens, ce n’est point une raison de penser que le beau réel, celui qui consiste dans la perception des rapports, soit une chimere ; l’application de ce principe peut varier à l’infini, & ses modifications accidentelles occasionner des dissertations & des guerres littéraires : mais le principe n’en est pas moins constant. Il n’y a peut-être pas deux hommes sur toute la terre, qui apperçoivent exactement les mêmes rapports dans un même objet, & qui le jugent beau au même degré : mais s’il y en avoit un seul qui ne fût affecté des rapports dans aucun genre, ce seroit un stupide parfait ; & s’il y étoit insensible seulement dans quelques genres, ce phénomene décéleroit en lui un défaut d’œconomie animale, & nous serions toûjours éloignés du scepticisme, par la condition générale du reste de l’espece.

Le beau n’est pas toûjours l’ouvrage d’une cause intelligente : le mouvement établit souvent, soit dans un être considéré solitairement, soit entre plusieurs êtres comparés entr’eux, une multitude prodigieuse de rapports surprenans. Les cabinets d’histoire naturelle en offrent un grand nombre d’exemples. Les rapports sont alors des résultats de combinaisons fortuites, du moins par rapport à nous. La nature imite, en se joüant, dans cent occasions, les productions de l’art ; & l’on pourroit demander, je ne dis pas si ce philosophe qui fut jetté par une tempête sur les bords d’une ile inconnue, avoit raison de s’écrier, à la vûe de quelques figures de Géométrie : courage, mes amis, voici des pas d’hommes ; mais combien il faudroit remarquer de rapports dans un être, pour avoir une certitude complete qu’il est l’ouvrage d’un artiste ; en quelle occasion un seul défaut de symmétrie prouveroit plus que toute somme donnée de rapports ; comment sont entr’eux le tems de l’action de la cause tortuite, & les rapports observés dans les effets produits ; & si, à l’exception des œuvres du Tout-puissant, il y a des cas où le nombre des rapports ne puisse jamais être compensé par celui des jets.

* Blau, Joli, (Gramm.) le beau opposé à joli, est grand, noble & régulier ; on l’admire : le joli est fin, délicat ; il plait. Le beau dans les ouvrages d’esprit, suppose de la vérité dans le sujet, de l’élévation dans les pensées, de la justesse dans l’expression, de la nouveauté dans le tour, & de la régularité dans la conduite : l’éclat & la singularité suffisent pour les rendre jolis. Il y a des choses qui peuvent être jolies ou belles, telle est la comédie ; il y en a d’autres qui ne peuvent être que belles, telle est la tragédie. Il y a quelquefois plus de mérite à avoir trouvé une jolie chose qu’une belle ; dans ces occasions, une chose ne mérite le nom de belle, que par l’importance de son objet ; & une chose n’est appellée jolie, que par le peu de conséquence du sien. On ne fait attention alors qu’aux avantages, & l’on perd de vûe la difficulté de l’invention. Il est si vrai que le beau emporte souvent une idée de grand, que le même objet que nous avons appellé beau, ne nous paroîtroit plus que joli, s’il étoit exécuté en petit. L’esprit est un faiseur de jolies choses ; mais c’est l’ame qui produit les grandes. Les traits ingénieux ne sont ordinairement que jolis ; il y a de la beauté par-tout où l’on remarque du sentiment. Un homme qui dit d’une belle chose qu’elle est belle, ne donne pas une grande preuve de discernement ; celui qui dit qu’elle est jolie, est un sot, ou ne s’entend pas. C’est l’impertinent de Boileau, qui dit que le Corneille est joli quelquefois.

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Étymologie de « beau »

Du latin bellus (« beau, élégant, gracieux »), devenu très fréquent en bas latin en supplantant le classique pulcher.
(Mots composés de parenté) : Vers 980, « beau » était un terme d’affection surtout employé entre parents ; en ancien français on disait fillastre (→ voir filsâtre) pour beau-fils, marastre (→ voir marâtre) pour belle-mère et parastre (→ voir parâtre) pour beau-père. Le suffixe -âtre ayant plus tard pris une signification péjorative, la périphrase construite avec « beau- » a été adoptée en remplacement.
Wiktionnaire - licence Creative Commons attribution partage à l’identique 3.0

Berry, biau ; bressan, bal ; picard, biau et biel ; provenç. bel ; catal. bell ; espagn. et ital. bello ; de bellus. Bèze, au XVIe s. dit qu'on prononce beo, un e fermé s'entendant avec o et ne faisant qu'un son, et il recommande de ne pas prononcer biau comme font les Parisiens. Dans l'ancien français, au nominatif singulier, bels ou baus, au régime bel ; au nominatif pluriel bel, et au régime bels ou baus. C'est du régime singulier que nous est restée la forme bel.

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Phonétique du mot « beau »

Mot Phonétique (Alphabet Phonétique International) Prononciation
beau bo

Évolution historique de l’usage du mot « beau »

Source : Google Books Ngram Viewer, application linguistique permettant d’observer l’évolution au fil du temps du nombre d'occurrences d’un ou de plusieurs mots dans les textes publiés.

Citations contenant le mot « beau »

  • A beau mentir qui vient de loin. De Tuet , 
  • Ce qui est beau devient vite triste.
  • Chaque oiseau trouve son nid beau. De Proverbe québécois , 
  • Rien de beau ne peut se résumer. De Paul Valéry , 
  • Le beau jour se prouve au soir. De Anonyme , 
  • Le sublime touche, le beau charme. De Emmanuel Kant / Observations sur le sentiment du beau et du sublime , 
  • L'inachevé est beau ... De Barbara / Il était un piano noir... , 
  • Rien n'est beau que le vrai : le vrai seul est aimable. Nicolas Boileau dit Boileau-Despréaux, Épîtres
  • Vous ne passerez pour belle Qu'autant que je l'aurai dit. Pierre Corneille, Poésies diverses, LVIII, Stances à Marquise Du Parc
  • Tout est beau dans ce que l'on aime. Tout ce qu'on aime a de l'esprit. Charles Perrault, Riquet à la houppe, Moralité
  • Il ne suffit pas pour être belle, d'être belle. Paul Raynal, Au soleil de l'instinct, Stock
  • Rappelez-vous que les plus belles choses de ce monde sont les plus inutiles : par exemple, les paons et les lys. John Ruskin, Les Pierres de Venise, I, 2 The Stones of Venice, I, 2
  • A beau chat, beau rat. De Proverbe français , 
  • Tout nouveau, tout beau. De Proverbe français , 
  • Le beau est toujours bizarre. De Charles Baudelaire , 
  • A beau chameau, vaste désert. De Achille Chavée / Décoctions II , 
  • Il fera globalement beau et chaud ce samedi dans le Var, même si des averses sont attendues par endroits Var-Matin, Il fera globalement beau et chaud ce samedi dans le Var, même si des averses sont attendues par endroits - Var-Matin
  • Le feuilleton rocambolesque de l’athlète française Ophélie Claude-Boxberger, qui, contrôlée positive à l’EPO le 18 septembre 2019, affirme avoir été dopée à son insu, connaît un nouveau rebondissement. Son beau-père, Alain Flaccus, qui avait soutenu cette thèse d’un dopage non sollicité, en s’accusant de lui avoir injecté de l’EPO sans qu’elle s’en rende compte, a déclaré, vendredi 26 juin à l’Agence France-Presse (AFP), qu’il n’avait jamais commis un tel geste. Le Monde.fr, Dopage : le beau-père d’Ophélie Claude-Boxberger nie désormais l’avoir dopée à son insu
  • PHOTO – Jade Hallyday : ses retrouvailles avec un “beau gosse” Gala.fr, PHOTO – Jade Hallyday : ses retrouvailles avec un “beau gosse” - Gala
  • Chaud : Laëtitia Millot s'affiche avec un beau gosse de Dix pour cent ! Public.fr, Chaud : Laëtitia Millot s'affiche avec un beau gosse de Dix pour cent !
  • Compte tenu du nombre de bouchons, Paris a bel et bien été mis en bouteille. De Régis Hauser / Les Murs se marrent , 
  • Le plus bel arrangement est semblable à un tas d'ordures rassemblées au hasard. De Héraclite d'Ephèse , 
  • La grande nature admirée ensemble est le plus bel accompagnement d'un noble amour. De Charles-Augustin Sainte-Beuve / Causeries du lundi , 
  • Faire le bel esprit les jours de grands naufrages De Jean-Luc Lagarce , 
  • Est-on sage, Est-on sage, Dans le bel âge De n'aimer pas? De Molière / Psyché , 
  • L'amour de la haine est le plus bel amour. De Francis Picabia / Ecrits , 
  • Le fauteuil académique est un lit de repos où le bel esprit sommeille. De Bernard Fontenelle , 
  • C'est dans la boue qu'on trouve le plus bel or ! De Tomas Gutiérrez Alea , 
  • Le silence est le plus bel ornement pour une femme, mais il est peu porté. De Thomas Fuller , 
  • Le plus bel âge de l'amitié est la vieillesse. De Proverbe français , 
  • Une petite mouche fait péter un bel âne. De Proverbe agenais , 
  • Un bel avion est un avion qui vole bien. De Marcel Dassault , 
  • « Cette surface utile est un bel outil pour la relance », rappelle l’élue. Engagé en septembre 2019, l’investissement porte sur « l’aménagement d’une zone laissée en friche depuis 2002, apte à recevoir des colis de 150 tonnes ». Une extension « considérable » - en plus des 8 500 m² existants - qui permet « d’accueillir les plus petites unités, de délester les espaces de plus forte capacité (250 t et 650 t) et d’améliorer ainsi la gestion globale de l’ARN », complète-t-elle. Le Telegramme, Extension de l’aire de réparation navale de Lorient : « Un bel outil pour la relance » - Lorient - Le Télégramme
  • Depuis la crise des matières premières, notamment laitières, survenue il a deux ans, le fabricant de La Vache qui rit, Babybel, Leerdammer, Boursin ou encore Kiri a choisi de mettre en place une plateforme de « reverse factoring » - aussi appelée « dynamic discounting » - développée par Corporate LinX. Objectif : permettre à ses fournisseurs de suivre, en temps quasi réel, l'état d'avancement du paiement de leur facture, mais aussi leur proposer un règlement plus rapide moyennant un escompte . Les Echos Executives, Comment Bel aide ses fournisseurs à surmonter la crise, Affacturage et crédit-bail - Les Echos Executives
  • Le Groupe Bel est un des leaders mondiaux du secteur des fromages de marque et un acteur majeur sur le segment du snacking sain.  Son portefeuille de produits différenciés et d’envergure internationale tels que La vache qui rit®, Kiri®, Mini Babybel®, Leerdammer®, Boursin®, Pom’Potes® ou GoGo squeeZ® ainsi qu’une vingtaine d’autres marques locales, lui ont permis de réaliser en 2019 un chiffre d’affaires de 3,4 milliards d’euros. , Fromageries Bel : Le Groupe Bel émet un nouveau financement pour 150 millions de dollars au format USPP en droit français | Zone bourse
  • Appelons la femme un bel animal sans fourrure dont la peau est très recherchée. De Jules Renard / Journal , 
  • Il vaut mieux avoir un bel engin qu'un beau génie. De Pétrone , 
  • A beau mentir qui vient de loin. De Tuet , 
  • Ce qui est beau devient vite triste.
  • Chaque oiseau trouve son nid beau. De Proverbe québécois , 
  • Rien de beau ne peut se résumer. De Paul Valéry , 
  • Le beau jour se prouve au soir. De Anonyme , 

Images d'illustration du mot « beau »

⚠️ Ces images proviennent de Unsplash et n'illustrent pas toujours parfaitement le mot en question.

Traductions du mot « beau »

Langue Traduction
Anglais nice
Espagnol hermoso
Italien bello
Allemand schön
Portugais bonito
Source : Google Translate API

Synonymes de « beau »

Source : synonymes de beau sur lebonsynonyme.fr

Antonymes de « beau »

Combien de points fait le mot beau au Scrabble ?

Nombre de points du mot beau au scrabble : 6 points

Beau

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