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Critique

Variantes Singulier Pluriel
Masculin et féminin critique critiques

Définitions de « critique »

Trésor de la Langue Française informatisé

CRITIQUE1, adj.

A.− Domaine des phénomènes physiol. ou naturels
1. MÉD. Caractéristique d'une crise (cf. ce mot I A), marqué par une crise. Diarrhée, sueurs critique(s); accès critiques (cf. accès2ex. 2).Les premiers jours de la convalescence sont marqués par une période critique (Nicolle, Conseil dsNouv. Traité Méd.,fasc. 2, 1928, p. 517):
1. ...il n'en est pas de même des dépôts et des abcès critiques, qui surviennent dans les maladies aiguës. Ceux-ci demandent à être ouverts plutôt et sans attendre leur parfaite maturité, de crainte qu'il ne se fasse une métastase de la matière qui a produit ces dépôts, et qui pourroit se porter sur quelque partie intérieure essentielle à la vie. Geoffroy, Manuel de méd. pratique,1800, p. 256.
Phase critique. ,,Celle où se dessine la crise et donc l'évolution (...) de la maladie`` (Lar. méd. t. 1 1971). Jours critiques. ,,Ceux au cours desquels se dessine l'évolution [de la maladie] dans un sens ou dans un autre`` (Lar. méd. t. 1 1971).
P. ext. [Ne s'agissant plus de maladie] Âge critique. Période de la vie marquée par certains phénomènes qui annoncent la vieillesse, et en partic., chez la femme, arrêt de la menstruation. Synon. ménopause.Pour cette dernière période [la ménopause], on parle souvent d'âge critique mais cette expression nous paraît malheureuse parce qu'elle risque d'accentuer chez certaines personnes une anxiété néfaste (Bastin1970, s.v. climatère).Jours critiques. ,,Jours durant lesquels une femme a ses règles`` (Ac. 1835-1932).
2. P. anal., PHYS., CHIM., etc. Relatif à un seuil au-delà duquel se produit un changement. Pression, vitesse critique. Voltages critiques (Friedel, Cristallogr.,1926, p. 315).Le recuit et la trempe du verre sont basés sur la connaissance exacte de la température correspondant à la viscosité critique et l'état vitreux (...) n'existe qu'au-dessous de cette température (C. Duval, Verre,1966, p. 19).
Température critique. ,,Température au-dessus de laquelle un gaz ne peut être liquéfié`` (Laitier 1969).
Spéc., PHYS. NUCL. Masse critique. ,,Masse minimum de combustible nucléaire qu'il faut placer dans une pile atomique pour qu'elle puisse atteindre l'état critique c'est-à-dire la production d'une réaction en chaîne`` (Sc. 1962) :
2. Toute sphère d'uranium 235 de masse inférieure à la masse critique est un morceau de métal inoffensif; toute sphère de masse plus grande devient instantanément le siège d'une explosion terrifiante. Goldschmidt, L'Aventure atomique,1962, p. 31.
B.− Domaine des faits, des éléments de situation de la vie hum.
1. Qui implique des suites de grande importance, dans un sens favorable ou défavorable. Date, heure, jour, moment critique. Synon. crucial, décisif.Le passage critique et le point décisif dans l'action (Blondel, Action,1893, p. 162).Elle fut triplement critique [l'affaire Dreyfus] (Péguy, Notre jeun.,1910, p. 54).Âge critique où bien souvent se décide le sort de la liberté et de la personnalité de la pensée (Valéry, Variété V,1944, p. 212):
3. ... 1828 et 1818 furent les deux instants critiques de la Restauration (...). J'entends critiques dans le sens favorable : on semblait en voie d'une bonne solution. Sainte-Beuve, Chateaubriand et son groupe littér. sous l'Empire,t. 2, 1860, p. 413.
2. En partic. Qui comporte un danger, des risques. Circonstances, époque, situation, temps critique(s). Synon. alarmant, dangereux, sérieux.Ce qui rend ses fonctions si critiques et si pénibles (Marmontel, Essai sur rom.,1799, p. 353).L'état critique de mon fils (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène,t. 2, 1823, p. 407).Les eaux étant redevenues assez calmes, la position des naufragés était plus gênante que critique (Toulet, Mar. Don Quichotte,1902, p. 145):
4. Le bruit courait que notre fusil n'était plus à hauteur des circonstances, et qu'un certain nombre d'armes portatives étaient en mauvais état (...). Des articles des généraux Bonnal et Langlois s'étaient faits l'écho de ces inquiétudes. La vérité était moins critique. Joffre, Mémoires,t. 1, 1931, p. 47.
Prononc. et Orth. : [kʀitik]. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1372 méd. jour cretique (J. Corbichon ds Delb. Rec. d'apr. DG); 2. 1762 « qui décide du sort de quelqu'un ou de quelque chose, qui amène un changement » (J.-J. Rousseau, Émile, IV ds Littré); 3. 1888 phys. (Lar. 19eSuppl.). Empr. au lat. tardif criticus (cont. méd.) souvent employé en relation avec dies, empr. au gr. κ ρ ι τ ι κ ο ́ ς (Galien); cf. gr. κ ρ ι ́ σ ι μ ο ς η ̔ μ ε ́ ρ α (Hippocrate, Aphorismes ds Liddell-Scott). Bbg. Ritter (E.). Les Quatre dict. fr. B. de l'Inst. nat. genevois. 1905, t. 36, p. 389.

CRITIQUE2, adj.

A.− [En parlant d'une pers.] Qui a le don, le pouvoir de juger un être, une chose à sa juste valeur, de discerner ses mérites et défauts. Lecteur, spectateur critique :
1. Le soliste se trouve dans l'obligation, tout en suivant son inspiration, et même son émotion musicale, de se dédoubler, et de transformer une partie de lui-même en un auditeur critique, qui l'avertira constamment s'il est dans le juste milieu entre ce qu'il ressent et ce que le spectateur perçoit de ses propres sensations. Lallement, La Dynamique des instruments à archet,1925, p. 223.
P. méton. Œil, regard critique. Faculté de juger un être, une chose à sa juste valeur en faisant preuve d'objectivité. Pas mal! dit-il en examinant son travail d'un œil critique (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 13).
En partic. Dont le discernement s'accompagne de doute quant au bien-fondé des valeurs absolues, des règles, des conventions. (Quasi-) synon. frondeur, négateur, sceptique.On ne peut songer à obtenir d'une race vive et critique cette discipline formelle, cette tenue toute rigoureuse (Valéry, Variété IV,1938, p. 57):
2. Le doute est le complice de la tyrannie. « Si un peuple ne veut pas croire, il faut qu'il serve », disait Tocqueville. − Toute liberté implique une dépendance et a ses conditions. C'est ce qu'oublient les esprits frondeurs, critiques, négatifs. Amiel, Journal,1866, p. 541.
P. ext. [En parlant d'une faculté intellectuelle, d'un sentiment] Il y avait dans son esprit un certain sens artiste, et dans sa gaieté un tour d'observation critique (Sand, Hist. vie,t. 2, 1855, p. 448).Le moment où Madame Laetitia laisse tomber sur l'Empereur les claires sentences, la tendresse critique d'une mère (Colette, Jumelle,1938, p. 40).
Esprit critique. Esprit qui n'accepte aucune assertion sans contrôler la valeur de son contenu et son origine. La crédulité est un signe d'extraction : elle est peuple par essence. Le scepticisme, l'esprit critique est l'aristocratie de l'intelligence (Goncourt, Journal,1861, p. 963).L'esprit pénétrant et critique, qui savoure à loisir le charme de manier son instrument exact et sûr (Renan, Avenir sc.,1890, p. 16).
Sens critique. Faculté de ne pas admettre sans contrôle, soit la réalité d'un fait, d'un phénomène, d'une idée, d'une opinion, soit la valeur, la portée d'une réalisation. Je n'écris que le matin parce que c'est le moment où le sens critique est chez moi le plus en éveil. Le soir, c'est l'heure du lyrisme (Green, Journal,1946, p. 314).
Intelligence critique. Même sens. Durant ce temps où il [Proust] avait renoncé à son dessein, qu'il parlât de Balzac ou de Sainte-Beuve, tout le ramenait à cette vue de ce qui dans l'œuvre ne relève pas de l'intelligence critique (Mauriac, Mém. intér.,1959, p. 108).
B.− [En parlant d'activités d'ordre intellectuel] Qui implique l'examen objectif, raisonné auquel on soumet quelqu'un ou quelque chose en vue de discerner ses mérites et défauts, ses qualités et imperfections.
1. [En parlant des facultés de jugement et de discernement d'une pers. dans un domaine intellectuel, littér. ou sc.] Attitude, jugement, opinion critique. Dans le premier « Faust », cette forme existe pure et belle, la pensée critique en peut suivre tous les contours (Nerval, Faust,1840, introd., p. 10):
3. ... pour apprécier le style en vers de Molière, Boileau sut se mettre au-dessus de sa propre pratique, et c'est en cela qu'il fit preuve d'un goût critique excellent. Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 3, 1848, p. 234.
P. méton. [En parlant d'une pers. versée dans un domaine intellectuel] Historien sérieux et solidement critique (Montalembert, Ste Élisabeth,1836, p. XCVI).
2. [En parlant d'une activité sc., littér., et etc.] Qui implique une méthode d'examen mettant en jeu des critères variables selon les domaines, d'après lesquels il est possible de discerner les parts respectives des mérites et défauts d'une entreprise, d'une œuvre, d'un système de pensée. Analyse, démarche, exégèse, méthode, philosophie, réflexion critique. Un examen critique de ma doctrine historique (Gobineau, Corresp.[avec Tocqueville], 1856, p. 264).Je voudrais (...) entreprendre un exposé méthodique et critique de ce que j'entends par médecine expérimentale (C. Bernard, Princ. méd. exp.,1878, p. 93).
P. méton. [En parlant d'une production résultant de cette méthode] Essai critique. Il n'y a pas de travail plus urgent qu'un catalogue critique des manuscrits des diverses bibliothèques (Renan, Avenir sc.,1890, p. 217).
Rem. En ce sens, critique peut entrer comme élément dans un adj. composé : un aperçu historico-critique.
En partic. Édition critique. Édition qui restitue la teneur d'un texte (éventuellement ses états successifs; cf. apparat2critique) et qui comporte un commentaire explicatif. C'est en 1862 que cet éditeur plein d'amour donna sa première édition critique des poésies d'André Chénier (A. France, Vie littér.,1888, p. 305).
P. ext.
a) [En parlant d'une production littér.] Qui relève du genre littéraire de la critique (cf. critique3B 3 p. ext. a) représenté par les examens raisonnés des ouvrages de l'esprit. Dans le « Traité du sublime » lui-même, c'est-à-dire dans la meilleure œuvre critique de l'antiquité (Renan, Avenir sc.,1890p. 144).Dans l'appendice critique de « Clarissa » (volume V, p. 524), Richardson considère le peu de rôle que joue, dans la poésie dramatique, la préoccupation de la vie future (Gide, Journal,1931, p. 1036).
b) [En parlant d'une production de la presse écrite ou parlée] Qui rend compte, en la soumettant à un examen raisonné, de l'actualité, littéraire ou artistique. Un article critique annonçant un livre sensationnel (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 520).
C.− [En parlant du comportement d'une pers.] Qui manifeste un jugement défavorable sur les défauts de quelqu'un, les imperfections de quelque chose; qui manifeste une tendance à privilégier de tels jugements. Humeur, esprit critique (Ac.1835-1932).Une foule considérable d'agents, qui prenaient sur place, à notre égard, une attitude hostile, ou tout au moins critique (De Gaulle, Mém. guerre,1959, p. 524).
En partic., domaine littér. ou artistique. Qui concerne le relevé des défauts et des imperfections d'une œuvre :
4. ...après m'avoir fait des éloges de mes deux peintures, il [Chenavard] est arrivé à la partie critique et une nuance de malaise s'est fait jour. Delacroix, Journal,1855, p. 321.
Rem. On rencontre ds la docum. les dér. a) Critiquement, adv. D'une manière critique, avec critique. Penser critiquement (cf. Renan, Souv. enfance, 1883, p. 389). [Elle] commença d'examiner critiquement, c'est-à-dire de mettre en doute, les directives de ma vie (Gide, Robert, 1930, p. 1325). Mentionné par Littré, Lar. 19eSuppl. 1878-Lar. encyclop., Guérin 1892. b) Criticule, subst. masc., rare et péj. Méchant critique de parti pris, sans compétence. Soufflant la technique de l'éreintement à deux ou trois criticules qui venaient prendre là le mauvais air de l'art (Goncourt, M. Salomon, 1867, p. 160). Criticules de « La Plume » et des similaires périodiques (Valéry, Corresp. [avec Gide], 1891, p. 162).
Prononc. et Orth. : [kʀitik]. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. Cf. critique3.
STAT. − Critique1 et 2. Fréq. abs. littér. : 1 108. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 976, b) 1 595; xxes. : a) 1 943, b) 1 850.

CRITIQUE3, subst. fém.

A.− Capacité de l'esprit à juger un être, une chose à sa juste valeur, après avoir discerné ses mérites et défauts, ses qualités et imperfections. Être dénué de critique; manquer de critique. (Quasi-)synon. jugement, discernement.Cf. auto(-)critique.Quand ces événements ont quelque ancienneté, ils nous parviennent du moins dégagés de tout leur faux entourage par la sagesse et la saine critique des historiens (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène,t. 2, 1823, p. 218).Son esprit avait pris une énorme étendue, et des habitudes de critique lui permettaient de juger sainement (Balzac, Béatrix,1839-45, p. 69).
En partic. Esprit de libre examen qui, dans ses jugements, écarte, rejette l'autorité des dogmes, des conventions, des préjugés. L'auteur s'y montre crédule à l'excès et dénué de toute critique (A. France, Île ping.,1908, p. 179):
1. Et ne dites pas que c'est là le scepticisme; c'est la critique, c'est-à-dire la discussion ultérieure et transcendante de ce qui avait d'abord été admis sans un examen suffisant, pour en tirer une vérité plus pure et plus avancée. Renan, L'Avenir de la science,1890, p. 62.
Péj. Tendance caractérielle à relever les défauts, les imperfections. C'est assez la critique des gens de cette cour (...). Ils appellent exagéré tout ce qu'ils ne sentent pas (Staël, Lettres jeun.,1786, p. 63).Son vieux fonds de malice et de critique le portait à faire chercher aux gens peu soigneux les objets égarés (Sand, Hist. vie,t. 3, 1855, p. 419).
B.− Examen constituant la première phase de la capacité de l'esprit à juger un être, une chose à sa juste valeur.
1. Gén. [Avec un déterm.] Examen objectif, raisonné auquel on soumet quelqu'un ou quelque chose en vue de discerner ses mérites et défauts, ses qualités et imperfections. Venons maintenant à la critique des mots (Flaub., Corresp.,1852, p. 80).C'est par l'âpre critique de la propriété, de la rente, du fermage, du profit, que répliqua Proudhon (Jaurès, Ét. soc.,1901, p. 143):
2. ...la parole écrite et multipliée par la presse, en portant la discussion, la critique et l'examen sur tout, en appelant la lumière de toutes les intelligences sur chaque point de fait ou de contestation dans le monde, amène invinciblement l'âge de raison pour l'humanité. Lamartine, Voyage en Orient,t. 2, 1835, p. 37.
SYNT. Faire la/une critique de, passer à la critique de, procéder à la critique de, soumettre qqn/qqc. à la/une critique.
2. [Le déterm. éventuel désigne un domaine sc., littér., techn.] Méthode d'examen mettant en jeu des critères variables selon les domaines, d'après lesquels il est possible de discerner les parts respectives des mérites et des défauts d'une entreprise, d'une œuvre, d'un système de pensée. Critique biblique, expérimentale, sociale, théologique. La critique, cet art précieux d'apprécier les productions scientifiques (Marat, Pamphlets, Les Charlatans mod., 1791, p. 271).La critique philosophique va plus loin (Cournot, Fondem. connaiss.,1851, p. 599).La critique des sciences physiques (Renouvier, Essais crit. gén.,3eessai, 1864, p. 115).
Critique historique. Méthode d'examen appliquée aux textes et aux documents qui relatent des événements, et visant à interpréter avec discernement leur contenu et à estimer leur valeur testimoniale. Les mêmes défauts de critique historique, provenant de la confusion des dates et des milieux (Renan, Souv. enfance,1883, p. 281).
Critique verbale ou critique des textes. Méthode qui a pour objet de restituer la teneur originale d'un texte, d'un document à partir des copies qui en subsistent. Il faut avoir l'habitude de la critique des textes et de la méthode historique (Renan, Souv. enfance,1883p. 238).
3. [Le déterm. éventuel désigne un domaine des Belles-Lettres ou des B.-A. ou le point de vue adopté] Examen raisonné des ouvrages de l'esprit et des productions artistiques, conduit d'après des critères variables, qui s'achève par un jugement de valeur. Critique littéraire, critique homérique. Critique des Nourritures (Thibaudet). J'ai pris pour sujet de travail la critique du dernier ouvrage philosophique de M. de Bonald (Maine de Biran, Journal,1818, p. 145):
3. Il faut traiter les choses de l'esprit avec l'esprit, et non avec le sang, la bile, les humeurs. Où n'est pas l'agrément et quelque sérénité là ne sont plus les Belles-Lettres. Quelque aménité doit se trouver même dans la critique. Si elle en manque absolument, elle n'est plus littéraire. La critique sans bonté trouble le goût et empoisonne les saveurs. La critique est un exercice méthodique du discernement. Joubert, Pensées,t. 2, 1824, p. 128.
SYNT. Critique biographique, comparée, descriptive, dogmatique, explicative, grammaticale, impressionniste ou subjective, stylistique; critique d'humour; ancienne, nouvelle critique; article, livre, morceau de critique.
P. ext.
a) Genre littéraire représenté par les examens raisonnés des ouvrages de l'esprit et des productions artistiques; p. méton., ensemble des auteurs et des travaux représentatifs du genre. Critique d'art, dramatique, littéraire, musicale. Winckelmann dans les arts, Lessing dans la critique, et Gœthe dans la poésie, fondèrent une véritable école allemande (Staël, Allemagne,t. 2, 1810, p. 40).Puis ils en vinrent aux travaux de la critique contemporaine (A. France, Bonnard,1881, p. 377).Un régime qui (...) retarda la critique de cinquante ans (Renan, Souv. enfance,1883, p. XII).
b) Domaine de la presse écrite ou parlée.Rubrique où un journaliste attitré rend compte, en la soumettant à un examen raisonné, de l'actualité littéraire ou artistique. Critique des disques, films, livres. Thiers qui a rédigé cette année la critique du Salon dans le « Constitutionnel » (Delécluze, Journal,1824, p. 22).Quoique la critique de la « Revue des Deux-Mondes » continuât à prononcer que j'avais eu beaucoup de talent tant que j'avais travaillé à la « Revue des Deux-Mondes », mais que depuis ma rupture, hélas! (Sand, Hist. vie,t. 4, 1855, p. 150).
P. méton. Ensemble des journalistes qui rendent compte de l'actualité littéraire ou artistique. Cf. compte rendu ex. 1 :
4. La première aussi d'un drame éhonté de Belot, auteur de romans obscènes sans intérêt, La Vénus de Gordes, que la critique a malmené sur toute la ligne et que le public va voir avant sa disparition de l'affiche. Mallarmé, Correspondance,1875, p. 81.
C.− Jugement de valeur qui constitue la seconde phase de la capacité de l'esprit à juger un être, une chose à sa juste valeur.
1. Jugement qui tient compte des mérites et défauts, des qualités et imperfections de l'être ou de la chose que l'on examine. Critique acrimonieuse, équitable, pondérée, sans parti-pris, sans passion. Malgré les critiques justes ou injustes qui lui furent adressées, la trompette marine figura longtemps dans les concerts royaux (Grillet, Ancêtres violon,t. 1, 1901, p. 176).
En partic. Jugement formulé par un journaliste attitré, opinion émise par une personne, à propos d'une production qui relève de sa compétence. Un concert est comme une exposition de tableaux; si l'on n'a pas le catalogue de la critique, on ne voit que des figures (Fiévée, Dot Suzette,1798, p. 137).Faydit, dans sa critique du Télémaque, emploie les mêmes insinuations (Chateaubr., Martyrs,t. 1, 1810, p. 27):
5. Style sans couleur, composition sans harmonie, dessin incorrect, défaut de nuances et de contrastes, s'appliquent également à la critique d'un poëme, d'un tableau ou d'un morceau de musique; tout ce qu'on peut dire en fait d'éloge, sur quelque chef-d'œuvre de l'art que ce soit, est également compris dans les trois mots d'élégance, de vigueur, et surtout de grandiose... Jouy, L'Hermite de la Chaussée d'Antin,t. 4, 1813, p. 129.
P. méton. Article, billet dans lequel un journaliste attitré rend compte d'une nouveauté littéraire ou artistique et la juge. La critique du portrait du roi par H. Vernet a paru dans le « Journal des Débats » (Delécluze, Journal,1824, p. 50).
Ensemble des jugements ainsi rendus ou publiés. Avoir une bonne, une mauvaise critique. Il ne put échapper aux traits de la critique (Ac.1835-1932).
2. Jugement défavorable porté sur les défauts de quelqu'un, les imperfections de quelque chose. Désarmer les critiques. Aucun véritable savant de nos jours ne s'offensera (...) d'une innocente critique de la science sous Louis XIV (Chateaubr., Natchez,1826, p. 106):
6. Considéré dans son caractère général, l'écrit de M. Courier est, je ne crains pas d'en convenir, une critique de la souscription de Chambord. L'acquisition de ce domaine lui paraît une mauvaise affaire pour le prince, pour le pays, pour Chambord même. Courier, Pamphlets pol.,Procès de P.-L. Courier, 1821, p. 112.
P. ext. Remarque défavorable, de caractère occasionnel, motivée par le désir de reprendre tel ou tel défaut chez quelqu'un, telle ou telle imperfection dans une chose. Il se pourrait qu'il fût plus content de l'éloge que blessé de la critique (Staël, Lettres jeun.,1786, p. 103).Je ne puis admettre la critique que vous faisiez il y a un instant des rédacteurs du « Courrier » (Delécluze, Journal,1827, p. 412).On rumine sur les actes les plus simples pour y loger des dessous : la critique la plus bénigne, la plaisanterie la plus inoffensive, deviennent des attentats (Huysmans, Oblat,t. 1, 1903, p. 216):
7. La princesse paraissait s'ennuyer beaucoup, et ces dames n'avaient pas l'air de s'amuser davantage; elles s'observaient mutuellement, causaient à voix basse avec leurs voisines, et quelques traits de critique ou de médisance faisaient de tems en tems diversion à l'ennui qui les accablait. Jouy, L'Hermite de la Chaussée d'Antin,t. 2, 1812, p. 209.
SYNT. Adresser, lancer une/des critique(s); donner prise, échapper, s'exposer, prêter (le flanc) à la/aux critique(s).
Prononc. et Orth. : [kʀitik]. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. I. 1. 1580 subst. fém. « art de juger les œuvres de l'esprit » et « jugement porté sur ces œuvres » (J. Scalinger, Lettres, 109 ds R. Hist. litt. Fr., t. 8, p. 502); d'où 1810 « ensemble de ceux qui font métier de cette critique » (Chateaubr., Martyrs, préf., p. 27); 2. 1663 « action d'émettre des jugements défavorables » (Molière, École des femmes, I, 1). II. 1. 1637 subst. masc. « celui qui juge » (J. Crespin, Thresor des trois langues); 2. spéc. 1674 « celui qui juge des ouvrages de l'esprit » (Boileau, Ep., I ds Littré). III. 1667 adj. « qui est porté à émettre des jugements (œuvre littér.; idées) » esprit critique (Boileau, Sat., IX ds Littré); 1694 péj. « qui trouve à redire à tout » (Ac.); 1678 (Richard Simon, Histoire critique du vieux Testament ds Cior. 17e). Empr. au lat. class. criticus subst. masc. (empr. au gr. κ ρ ι ́ τ ι κ ο ς « qui juge les ouvrages de l'esprit », dér. de κ ρ ι ́ ν ε ι ν « juger, estimer »).

CRITIQUE4, subst. masc.

A.− Celui qui a le don, le pouvoir de juger un être, une chose à sa juste valeur, de discerner ses mérites et défauts. J'ai dit que mon frère était grand observateur et critique judicieux pour son âge (Sand, Hist. vie,t. 2, 1855, p. 470).
En partic. Celui qui fait preuve d'objectivité dans ses jugements et sait prendre ses distances envers les conventions, les préjugés et les superstitions :
1. On supposa des miracles qui l'appuyaient, et on mit des fanatiques en avant, qui s'en disaient les témoins; car qui ne fait pas des miracles partout où l'on trouve des esprits disposés à y croire? On en a vu ou cru voir au tombeau du bienheureux Pâris, dans un siècle aussi éclairé que le nôtre, et au milieu d'une immense population, qui pouvait fournir plus d'un critique, mais beaucoup plus encore d'enthousiastes et de fripons. Dupuis, Abr. de l'orig. de tous les cultes,1796, p. 329.
B.− Domaine de la litt. et des B.-A.
1. Personne spécialisée dans le genre littéraire de la critique (cf. critique3B 3 p. ext. a); personne qui examine les ouvrages d'autrui en vue de les juger d'après un ensemble de critères systématisés. Se faire le critique de (tel écrivain).
a) Domaine littér.Les critiques anglais, contemporains; les anciens critiques; les grammairiens et les critiques; les historiens et les critiques; juger, raisonner en critique. Chevassu est un homme de lettres, non un critique dramatique (Renard, Journal,1909, p. 1258).Classique est l'écrivain qui porte un critique en soi-même (Valéry, Variété II,1929, p. 140).
b) Domaine des B.-A. :
2. Pour rendre moins imprécise et moins incomplète cette tentative d'explication de l'importance actuelle de Baudelaire, je devrais maintenant rappeler ce qu'il fut comme critique de la peinture. Il a connu Delacroix et Manet. Il a essayé de peser les mérites respectifs d'Ingres et de son rival, comme il a pu comparer dans leurs « réalismes » bien dissemblables les œuvres de Courbet avec celles de Manet. Valéry, Variété II,1929p. 153.
2. Journaliste attaché à un quotidien, à un périodique, qui informe le public sur les nouveautés littéraires, artistiques, analyse ces productions et porte sur elles un jugement de valeur. Un critique influent, mordant; un grand critique. Cet homme a un très joli talent de critique et de faiseur d'articles (Goncourt, Journal,1886, p. 609).Le directeur de théâtre ne mesure pas la valeur d'un critique au tirage de son journal (Renard, Journal,1907, p. 1135):
3. Je sais gré à Abel de ne pas m'avoir envoyé son livre. Je n'ai pu le feuilleter sans honte; honte non tant à cause du livre même − où je vois, après tout, plus de sottise encore que d'indécence − mais honte à songer qu'Abel, Abel Vautier, ton ami, l'avait écrit. En vain, j'ai cherché de page en page ce « grand talent » que le critique du Temps y découvre. Gide, La Porte étroite,1909, p. 551.
Prononc. et Orth. : [kʀitik]. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. Cf. critique3.
STAT. − Critique3 et 4. Fréq. abs. littér. : 4 971. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 4 455, b) 7 089; xxes. : a) 8 700, b) 8 317.
BBG. − Goug. Lang. pop. 1929, p. 102, 139.

Wiktionnaire

Adjectif - français

critique \kʁi.tik\ masculin et féminin identiques

  1. (Médecine) Qui annonce une crise, qui a rapport à la crise.
    • Phénomènes critiques.
    • Signes critiques.
    • Jour critiques, jour où il arrive ordinairement quelque crise, dans certaines maladies. On le dit aussi des jours où les femmes ont leurs règles.
    • Le septième et le neuvième sont des jours critiques.
    • Temps, âge critique, celui où une modification importante se produit dans le tempérament.
  2. (Par extension) Qui doit amener un changement en bien ou en mal.
    • L’instant critique est venu.
    • Les moments critiques de la vie.
    • Les temps, les circonstances sont critiques.
    • Se trouver dans une position critique.
  3. De nature analytique, propre à juger quelque chose. Qui a pour objet de distinguer dans un ouvrage d’esprit, une production d’art, etc., ce qui ne répond pas aux idées que l’on se fait du beau, à ce que l’on juge la vérité, etc.
    • Elle développe une vision critique.
    • Dissertation critique.
    • Esprit critique, tendance à examiner les doctrines, les théories, les assertions historiques pour s’assurer si elles sont fondées sur la vérité.
  4. Essentiel, déterminant.
    • Il a pris la parole au moment critique.
    • La gestion des évènements critiques.
  5. (Thermodynamique) Qui appartient à, qui a rapport à un point critique d’un diagramme de phase, où deux phases en équilibre deviennent indistinctes.
  6. (Thermodynamique) (En particulier) Qui a rapport au point critique de l’équilibre liquide - gaz, au delà duquel ces deux états se confondent.
  7. (Physique des réacteurs nucléaires) Se dit d’un milieu où s’entretient une réaction de fission en chaîne au cours de laquelle apparaissent autant de neutrons qu’il en disparaît.
    • Alors qu’il essayait d’empiler une autre brique autour de l’assemblage, Daghlian la lâcha accidentellement sur le cœur et de ce fait mit celui-ci en état critique. — (Demon core sur l’encyclopédie Wikipédia Wikipedia-logo-v2.svg)
  8. (Mécanique des fluides) Se dit d'une caractéristique géométrique ou d'un nombre de Reynolds qui peut déclencher une certaine crise (comme la crise de traînée, par exemple).

Nom commun 1 - français

critique \kʁi.tik\ féminin

  1. Art de juger les œuvres de l’esprit.
    • Partout on discutait, on discutaillait, on ergotait et on “ergotisait”, c'étaient contre tout et contre tous de perpétuels “harcèlements”. La critique hypercritique s’en donnait à cœur joie. — (Ferdinand Brunot, Histoire de la langue française des origines à 1900, Éditions Armand Colin, 1937, p. 807)
    • La critique est aisée, l’art est difficile. — (Destouches)
    • La critique sans bonté trouble le goût et empoisonne les saveurs. — (Joseph Joubert. Pensées, tome 2)
    • La seule critique définitive, c’est la création. — (Maurice Lemaître)
  2. (Journalisme) Article donnant les appréciations de son auteur sur un livre, un film, etc.
    • — Oh, pour la fausse Impression, je ne dirai rien dans Le Figaro, d'ailleurs ma critique est déjà faite. Je la rédige toujours avant de venir aux vernissages. Comme ça je ne suis pas influencé par les œuvres. C'est un métier, vous savez… — (Adrien Goetz, Intrigue à Giverny: roman, Paris : chez Grasset, 2014, chap. 2)
    • ARIANE- Tenez, je vais vous lire la critique de Guillaume Marin. Il n’a jamais vu mes tableaux, il s'est permis de juger de leur qualité d’après mon site sur internet ! Il a écrit: "Ariane Heulot est une ravissante petite artiste qui compose des pastels extrêmement réussis, agréables à l’œil et qui orneraient avec bonheur bien de salles à manger." Vous voyez: la cause des femmes avance. Aujourd'hui nous sommes capables de tapisser les murs! — (Peter Bu, Toutes ces âneries sur les femmes, pièce de théâtre, acte 1)
  3. (Par extension) Ensemble des commentateurs littéraires, cinématographiques, etc.
    • On se rejettera avec ivresse dans la musique simple et mélodieuse : on voudra jouir machinalement, sans aucune intervention de l'esprit. Ce seront là, nous n'en doutons pas, des jours de deuil et de consternation pour la critique. Les hommes spéciaux protesteront et railleront amèrement la vulgarité toute béotienne de cette réaction. Mais le public, heureux de se divertir enfin sans fatigue, la saluera comme une délivrance. — (Albert Lefaivre, La critique musicale en Allemagne, chap. 7, dans la Revue contemporaine, Paris, 1860, série 2, vol. 16, p. 62)
  4. Jugement négatif à propos de quelque chose ou quelqu’un.
    • Tel un ravi de la crèche, Alain Lancelot, professeur, mais aussi sondeur et doxosophe de son état, put écrire, voilà trente ans : « Les principales critiques formulées à l'encontre des sondages d'opinion peuvent être également utilisées contre le suffrage universel » — (Jean Salem, Élections, piège à cons ?: Que reste-t-il de la démocratie ?, Éditions Flammarion, 2012)
    • Lorsque quelqu'un se venge violemment d'une critique qui a porté atteinte à son image, le fait de punir cet affront ne prouve pas pour autant que la critique était injustifiée. — (Mathieu Ricard, Plaidoyer pour l'altruisme, NiL, Paris, 2013, p. 391)
  5. (Philosophie) Détermination des limites d’un concept ou d’une faculté.
    • Nous sommes arrivés, de critique en critique, à cette triste conclusion : que le juste et l'injuste, dont nous pensions jadis avoir le discernement, sont termes de convention, vagues, indéter­minables ; que tous ces mots Droit, Devoir, Morale, Vertu, etc., dont la chaire et l'école font tant de bruit, ne servent à couvrir que de pures hypothèses, de vaines utopies, d'indémontrables préjugés; […]. — (Joseph Proudhon, De la Justice dans la Révolution et dans l’Église, tome I, p. 70.)
  6. Examen raisonné et objectif qui s'attache à relever les qualités et les défauts d'actes et donne lieu à un jugement de valeur positif ou négatif.
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Dictionnaire de l’Académie française, huitième édition (1932-1935)

CRITIQUE. adj. des deux genres
. T. de Médecine. Qui annonce une crise, qui a rapport à la crise. Phénomènes critiques. Signes critiques. Jour critique, Jour où il arrive ordinairement quelque crise, dans certaines maladies. Le septième et le neuvième sont des jours critiques. On le dit aussi des Jours où les femmes ont leurs règles. Temps, âge critique, Celui où une modification importante se produit dans le tempérament. Il se dit spécialement des Femmes. Il signifie par extension et d'une manière plus générale, Qui doit amener un changement en bien ou en mal. L'instant critique est venu. Les moments critiques de la vie. Les temps, les circonstances sont critiques. Se trouver dans une position critique. Il signifie aussi Qui a pour objet de distinguer dans un ouvrage d'esprit, une production d'art, etc., ce qui ne répond pas aux idées que l'on se fait du beau, à ce que l'on juge la vérité, etc. Observations, notes critiques. Dissertation critique. Édition critique, Celle dont le texte a été soigneusement établi d'après les manuscrits ou des éditions originales. Esprit critique, Tendance à examiner les doctrines, les théories, les assertions historiques pour s'assurer si elles sont fondées sur la vérité. Cet historien manque d'esprit critique. Esprit critique signifie aussi Esprit de libre examen. À certaines époques, l'esprit critique domine. Humeur critique, Disposition à faire ressortir les défauts des choses, des personnes. Il s'emploie aussi comme nom pour désigner Tout écrivain qui juge les productions littéraires ou artistiques. Critique judicieux, sévère. Critique littéraire. Critique dramatique. Critique d'art. Un grand critique.

Littré (1872-1877)

CRITIQUE (kri-ti-k') adj.
  • 1Qui a rapport à la critique en fait d'ouvrages d'esprit ou d'art. Observations critiques. Dissertations critiques. Je me suis abstenu de toucher à leurs personnes, pour ne parler que de leurs ouvrages dont j'ai fait des éloges critiques plus ou moins étendus, La Bruyère, Disc. à l'Acad. fr. Préface.
  • 2Porté à la censure. Ce greffier [le père de Boileau] doux et pacifique, De ses enfants au sang critique N'eut point le talent redouté, Boileau, Poésies div. 10. Toute parole libre leur paraît critique et séditieuse, Fénelon, Tél. XI.

    Un esprit critique, homme qui voit tout par les endroits faibles et qui s'en explique librement. Gardez-vous, dira l'un, de cet esprit critique ; On ne sait bien souvent quelle mouche le pique, Boileau, Sat. IX.

    Terme de philosophie sociale. L'esprit critique, l'esprit qui se développe à certaines époques de transition, qui s'occupe d'examiner les doctrines et les institutions, d'en rechercher les bases, et qui rejette celles qui n'ont pas résisté à cet examen. L'esprit critique est l'avant-coureur de l'esprit de révolution.

    Age, époque critique, par opposition à époque organique, celle où l'esprit critique domine. Une période critique de cinq siècles a précédé la révolution française.

  • 3 Terme de médecine. Qui indique une crise. Phénomènes critiques. Pouls critique.

    Temps ou âge critique, époque de la vie des femmes à laquelle cesse la menstruation, ainsi nommé à cause des indispositions ou des maladies plus ou moins graves qui y sont fréquentes. Les femmes galantes échappent difficilement au péril du temps critique ; le dépit d'un abandon qui les menace achève de vicier le sang et les humeurs dans un moment ou le calme qui naît de la conscience d'une vie honnête serait salutaire, Raynal, Hist. phil. XIX, 14.

    Jour critique, jour dans lequel, suivant les remarques des médecins hippocratiques, une crise survient d'ordinaire.

    Jour critique se dit aussi du jour où une femme a ses règles.

  • 4 Par extension, difficile, dangereux, décisif. L'instant critique est venu. Les moments critiques de la vie. Se trouver dans une position critique. Vous êtes dans l'âge critique où l'esprit s'ouvre à la certitude, où le cœur reçoit sa forme et son caractère et où l'on se détermine pour toute la vie, Rousseau, Ém. IV. On voit par là que c'est dans le moment critique où les républiques se corrompent, qu'on y a besoin de l'éloquence, Marmontel, Élém. de litt. t. VI, p. 388, dans POUGENS. Un entretien digne de remarque qu'on entendit cette même nuit montrera tout ce qu'avait de critique sa position, et comment il la supportait, Ségur, Hist. de Nap. XI, 2.

HISTORIQUE

XVIe s. Quelquefois aussi les fistules sont critiques de plusieurs autres maladies, Paré, XI, 22.

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Encyclopédie, 1re édition (1751)

CRITIQUE, s. m. (Belles-lett.) auteur qui s’adonne à la critique. On comprend sous ce nom divers genres d’écrivains dont les travaux & les recherches embrassent diverses parties de la Littérature, tels 1° que ceux qui se sont appliqués à rassembler & à faire le dénombrement des ouvrages de chaque auteur ; à en faire le discernement, afin de ne point attribuer à l’un ce qui appartient à l’autre ; à juger de leur style & de leur maniere d’écrire ; à apprendre le succès qu’ils ont eu dans le monde, & le fruit qu’on doit tirer de leurs écrits. Tels ont été Photius, Erasme, le P. Rapin, M. Huet, M. Baillet, &c. 2°. Ceux qui par des dissertations particulieres ont éclairci des points obscurs de l’histoire ancienne ou moderne, tels que Meursius, Ducange, M. de Launoy, & la plûpart de nos savans de l’académie des Belles-lettres. 3°. Ceux qui se sont occupés à recueillir d’anciens manuscrits, à mettre ces collections en ordre, à donner des éditions des anciens, comme les Bollandistes, les Bénédictins, & entre autres le P. Mabillon, M. Baluze, Grævius, Gronovius, &c. 4°. Ceux qui ont fait des traités historiques & philologiques des plus célebres bibliotheques, tels que Juste Lipse, Gallois, &c. 5°. Ceux qui ont composé des bibliotheques ou catalogues raisonnés d’auteurs, soit ecclésiastiques, soit profanes, comme M. Dupin, &c. 6°. Les commentateurs ou scholiastes des auteurs anciens, comme Dacier, Bentley, le P. Jouvenci ; tous les auteurs dont on a recueilli les notes sous le titre de variorum, & ceux qui sont connus sous celui de critiques dauphins. Enfin, dit M. Baillet, on comprend sous le nom de critiques, tous les auteurs qui ont écrit de la Philologie, sous les titres extraordinaires & bisarres de diverses leçons, leçons antiques, leçons nouvelles, leçons suspectes, leçons mémorables ; mélanges, nommés par les uns symmictes, par les autres miscellanées ; cinnes, schediasmes ou cahiers, adversaires ou recueils, collectanées, philocalies, observations ou remarques, animadversions ou corrections, scholies ou notes, commentaires, expositions, soupçons, conjectures, conjectanées, lieux communs, éclogues ou électes, extraits ou florides, parergues, vraissemblables, novantiques, saturnales, sémestres, nuits, veilles, journées, heures subcesives ou successives, précidanées, succidanées, centurionats : en un mot, ajoûte-t-il, tous ceux qui ont écrit des Belles-lettres, qui ont travaillé sur les anciens auteurs pour les examiner, les corriger, les expliquer, les mettre au jour ; ceux qui ont embrassé cette Littérature universelle qui s’étend sur toutes sortes de sciences & d’auteurs, & qui faisoit anciennement la principale & la plus belle partie de la Grammaire, avant que les mauvais grammairiens l’eussent obligée de changer son nom en celui de Philologie, qui embrasse bien les principales parties de la Littérature & quelques-unes des sciences, mais qui regardant essentiellement les mots de chacune, n’en traite les choses que rarement & par accident : tels ont été chez les anciens Varron, Athénée, Macrobe, &c. & parmi les modernes les deux Scaliger, Lambin, Turnebe, Casaubon, MM. Pithou, Saumaise, les PP. Sirmond & Pétau, Bayle, &c. On peut encore ajoûter aux critiques ceux qui ont écrit contre certains ouvrages. Voyez Philologie, & sur-tout l’article suivant Critique. (G)

Critique, Censure, (Synonymes.) Critique s’applique aux ouvrages littéraires ; censure aux ouvrages théologiques, ou aux propositions de doctrine, ou aux mœurs. Voyez Censure. (O)

Critique, s. f. (Belles-lettres.) On peut la considérer sous deux points de vûe généraux : l’une est ce genre d’étude à laquelle nous devons la restitution de la Littérature ancienne. Pour juger de l’importance de ce travail, il suffit de se peindre le cahos où les premiers commentateurs ont trouvé les ouvrages les plus précieux de l’antiquité. De la part des copistes, des caracteres, des mots, des passages altérés, défigurés, obmis ou transposés dans les divers manuscrits : de la part des auteurs, l’allusion, l’ellipse, l’allégorie, en un mot, toutes ces finesses de langue & de style qui supposent un lecteur à demi instruit ; quelle confusion à démêler dans un tems où la révolution des siecles & le changement des mœurs sembloient avoir coupé toute communication aux idées !

Les restituteurs de la Littérature ancienne n’avoient qu’une voie, encore très-incertaine ; c’étoit de rendre les auteurs intelligibles l’un par l’autre, & à l’aide des monumens. Mais pour nous transmettre cet or antique, il a fallu périr dans les mines. Avoüons-le, nous traitons cette espece de critique avec trop de mépris, & ceux qui l’ont exercée si laborieusement pour eux & si utilement pour nous, avec trop d’ingratitude. Enrichis de leurs veilles, nous faisons gloire de posséder ce que nous voulons qu’ils ayent acquis sans gloire. Il est vrai que le mérite d’une profession étant en raison de son utilité & de sa difficulté combinées, celle d’érudit a dû perdre de sa considération à mesure qu’elle est devenue plus facile & moins importante ; mais il y auroit de l’injustice à juger de ce qu’elle a été par ce qu’elle est. Les premiers laboureurs ont été mis au rang des dieux avec bien plus de raison que ceux d’aujourd’hui ne sont mis au-dessous des autres hommes. Voy. Manuscrit, Erudition, Texte.

Cette partie de la critique comprendroit encore la vérification des calculs chronologiques, si ces calculs pouvoient se vérifier ; mais le peu de fruit qu’ont retiré de ce travail les sçavans illustres qui s’y sont exercés, prouve qu’il seroit desormais aussi inutile que pénible de revenir sur leurs recherches. Il faut savoir ignorer ce qu’on ne peut connoître ; or il est vraissemblable que ce qui n’est pas connu dans l’histoire des tems, ne le sera jamais, & l’esprit humain y perdra peu de chose. Voyez Chronologie.

Le second point de vûe de la critique, est de la considérer comme un examen éclairé & un jugement équitable des productions humaines. Toutes les productions humaines peuvent être comprises sous trois chefs principaux ; les Sciences, les Arts libéraux, & les Arts méchaniques : sujet immense que nous n’avons pas la témérité de vouloir approfondir, sur-tout dans les bornes d’un article. Nous nous contenterons d’établir quelques principes généraux que tout homme capable de sentiment & de réflexion est en état de concevoir ; & s’il en est qui manquent de justesse ou de clarté, à quelque sévere examen que nous ayons pû le soûmettre, le lecteur trouvera dans les articles relatifs auxquels nous aurons soin de le renvoyer, de quoi rectifier ou développer nos idées.

Critique dans les Sciences. Les sciences se réduisent à trois points : à la démonstration des vérités anciennes, à l’ordre de leur exposition, à la découverte des nouvelles vérités.

Les vérités anciennes sont ou de fait ou de spéculation. Les faits sont ou moraux ou physiques. Les faits moraux composent l’histoire des hommes, dans laquelle souvent il se mêle du physique, mais toûjours relativement au moral.

Comme l’histoire sainte est révelée, il seroit impie de la soûmettre à l’examen de la raison ; mais il est une maniere de la discuter pour le triomphe même de la foi. Comparer les textes, & les concilier entr’eux ; rapprocher les évenemens des prophéties qui les annoncent ; faire prévaloir l’évidence morale à l’impossibilité physique ; vaincre la répugnance de la raison par l’ascendant des témoignages ; prendre la tradition dans sa source, pour la présenter dans toute sa force ; exclure enfin du nombre des preuves de la vérité tout argument vague, foible ou non concluant, espece d’armes communes à toutes les religions, que le faux zele employe & dont l’impiété se joüe : tel seroit l’emploi du critique dans cette partie. Plusieurs l’ont entrepris avec autant de succès que de zele, parmi lesquels Pascal doit occuper la premiere place, pour la céder à celui qui exécutera ce qu’il n’a fait que méditer.

Dans l’histoire profane, donner plus ou moins d’autorité aux faits, suivant leur degré de possibilité, de vraissemblance, de célébrité, & suivant le poids des témoignages qui les confirment : examiner le caractere & la situation des historiens ; s’ils ont été libres de dire la vérité, à portée de la connoître, en état de l’approfondir, sans intérêt de la déguiser : pénétrer après eux dans la source des évenemens, apprécier leurs conjectures, les comparer entr’eux & les juger l’un par l’autre : quelles fonctions pour un critique ; & s’il veut s’en acquitter, combien de connoissances à acquérir ! Les mœurs, le naturel des peuples, leurs intérêts respectifs, leurs richesses & leurs forces domestiques, leurs ressources étrangeres, leur éducation, leurs lois, leurs préjugés & leurs principes ; leur politique au-dedans, leur discipline au-dehors ; leur maniere de s’exercer, de se nourrir, de s’armer & de combattre ; les talens, les passions, les vices, les vertus de ceux qui ont présidé aux affaires publiques ; les sources des projets, des troubles, des révolutions, des succès & des revers ; la connoissance des hommes, des lieux & des tems ; enfin tout ce qui en morale & en physique peut concourir à former, à entretenir, à changer, à détruire & à rétablir l’ordre des choses humaines, doit entrer dans le plan d’après lequel un sçavant discute l’histoire. Combien un seul trait dans cette partie ne demande-t-il pas souvent, pour être éclairci, de réflexions & de lumieres ? Qui osera décider si Annibal eut tort de s’arrêter à Capoue, & si Pompée combattoit à Pharsale pour l’empire ou pour la liberté ? Voyez Histoire, Politique, Tactique, &c.

Les faits purement physiques composent l’histoire naturelle, & la vérité s’en démontre de deux manieres : ou en répetant les observations & les expériences ; ou en pesant les témoignages, si l’on n’est pas à portée de les vérifier. C’est faute d’expérience qu’on a regardé comme des fables une infinité de faits que Pline rapporte, & qui se confirment de jour en jour par les observations de nos Naturalistes.

Les anciens avoient soupçonné la pésanteur de l’air, Toricelli & Pascal l’ont démontrée. Newton avoit annoncé l’applatissement de la terre, des philosophes ont passé d’un hémisphere à l’autre pour la mesurer. Le miroir d’Archimede confondoit notre raison, & un physicien, au lieu de nier ce phénomene, a tenté de le reproduire, & le prouve en le répetant. Voilà comme on doit critiquer les faits. Mais suivant cette méthode les sciences auront peu de critiques. Voyez Expérience. Il est plus court & plus facile de nier ce qu’on ne comprend pas ; mais est-ce à nous de marquer les bornes des possibles, à nous qui voyons chaque jour imiter la foudre, & qui touchons peut-être au secret de la diriger ? Voy. Electricite.

Ces exemples doivent rendre un critique bien circonspect dans ses décisions. La crédulité est le partage des ignorans ; l’incrédulité décidée, celui des demi-sçavans ; le doute méthodique, celui des sages. Dans les connoissances humaines, un philosophe démontre ce qu’il peut ; croit ce qui lui est démontré ; rejette ce qui y répugne, & suspend son jugement sur tout le reste.

Il est des vérités que la distance des lieux & des tems rend inaccessibles à l’expérience, & qui n’étant pour nous que dans l’ordre des possibles, ne peuvent être observées que des yeux de l’esprit. Ou ces vérités sont les principes des faits qui les prouvent, & le critique doit y remonter par l’enchaînement de ces faits ; ou elles en sont des conséquences, & par les mêmes degrés il doit descendre jusqu’à elles. Voyez Analyse, Synthese.

Souvent la vérité n’a qu’une voie par où l’inventeur y est arrivé, & dont il ne reste aucun vestige : alors il y a peut-être plus de mérite à retrouver la route, qu’il n’y en a eu à la découvrir. L’inventeur n’est quelquefois qu’un aventurier que la tempête a jetté dans le port ; le critique est un pilote habile que son art seul y conduit : si toutefois il est permis d’appeller art une suite de tentatives incertaines & de rencontres fortuites où l’on ne marche qu’à pas tremblans. Pour réduire en regles l’investigation des vérités physiques, le critique devroit tenir le milieu & les extrémités de la chaîne ; un chaînon qui lui échappe, est un échelon qui lui manque pour s’élever à la démonstration. Cette méthode sera long-tems impraticable. Le voile de la nature est pour nous comme le voile de la nuit, où dans une immense obscurité brillent quelques points de lumiere ; & il n’est que trop prouvé que ces points lumineux ne sauroient se multiplier assez pour éclairer leurs intervalles. Que doit donc faire le critique ? observer les faits connus ; en déterminer, s’il se peut, les rapports & les distances ; rectifier les faux calculs & les observations défectueuses ; en un mot, convaincre l’esprit humain de sa foiblesse, pour lui faire employer utilement le peu de force qu’il épuise envain ; & oser dire à celui qui veut plier l’expérience à ses idées : Ton métier est d’interroger la nature, non de la faire parler. (Voyez les pensées sur l’interp. de la nat. ouvrage que nous réclamons ici, comme appartenant au dictionnaire des connoissances humaines, pour suppléer à ce qui manque aux nôtres de profondeur & d’étendue).

Le desir de connoître est souvent stérile par trop d’activité. La vérité veut qu’on la cherche, mais qu’on l’attende ; qu’on aille au-devant d’elle, mais jamais au-delà. C’est au critique, en guide sage, d’obliger le voyageur à s’arrêter où finit le jour, de peur qu’il ne s’égare dans les ténebres. L’éclipse de la nature est continuelle, mais elle n’est pas totale ; & de siecle en siecle elle nous laisse appercevoir quelques nouveaux points de son disque immense, pour nourrir en nous, avec l’espoir de la connoître, la constance de l’étudier.

Lucrece, S. Augustin, Boniface, & le pape Zacharie, étoient debout sur notre hémisphere, & ne concevoient pas que leurs semblables pussent être dans la même situation sur un hémisphere opposé : ut per aquas quæ nunc rerum simulacra videmus, dit Lucrece, (De rer. nat. lib. I.) pour exprimer qu’ils auroient la tête en bas. On a reconnu la tendance des graves vers un centre commun, & l’opinion des Antipodes n’a plus révolté personne. Les anciens voyoient tomber une pierre, & les flots de la mer s’élever ; ils étoient bien loin d’attribuer ces deux effets à la même cause. Le mystere de la gravitation nous a été révélé : ce chaînon a lié les deux autres ; & la pierre qui tombe & les flots qui s’élevent, nous ont paru soûmis aux mêmes lois. Le point essentiel dans l’étude de la nature, est donc de découvrir les milieux des vérités connues, & de les placer dans l’ordre de leur enchaînement : tels faits paroissent isolés, dont le nœud seroit sensible s’ils étoient mis à leur place. On trouvoit des carrieres de marbre dans le sein des plus hautes montagnes ; on en voyoit former sur les bords de l’Océan par le ciment du sel marin ; on connoissoit le parallélisme des couches de la terre : mais répandus dans la Physique, ces faits n’y jettoient aucune lumiere ; ils ont été rapprochés, & l’on reconnoît les monumens de l’immersion totale ou successive de ce globe. C’est à cet ordre lumineux que le critique devroit sur-tout contribuer.

Il est pour les découvertes un tems de maturité avant lequel les recherches semblent infructueuses. Une vérité attend pour éclore la réunion de ses élémens. Ces germes ne se rencontrent & ne s’arrangent que par une longue suite de combinaisons : ainsi ce qu’un siecle n’a fait que couver, s’il est permis de le dire, est produit par le siecle qui lui succede ; ainsi le problème des trois corps proposé par Newton, n’a été résolu que de nos jours, & l’a été par trois hommes en même tems. C’est cette espece de fermentation de l’esprit humain, cette digestion de nos connoissances, que le critique doit observer avec soin : suivre pas à pas la science dans ses progrès, marquer les obstacles qui l’ont retardée, comment ces obstacles ont été levés, & par quel enchaînement de difficultés & de solutions elle a passé du doute à la probabilité, de la probabilité à l’évidence. Par-là il imposeroit silence à ceux qui ne font que grossir le volume de la science sans en augmenter le thrésor. Il marqueroit le pas qu’elle auroit fait dans un ouvrage ; ou renverroit l’ouvrage au néant, si l’auteur la laissoit où il l’auroit prise. Tels sont dans cette partie l’objet & le fruit de la critique. Combien cette réforme nous restitueroit d’espace dans nos bibliotheques ! Que deviendroit cette foule épouvantable de faiseurs d’élémens en tout genre, ces prolixes démonstrateurs de vérités dont personne ne doute ; ces physiciens romanciers qui prenant leur imagination pour le livre de la nature, érigent leurs visions en découvertes, & leurs songes en systèmes suivis ; ces amplificateurs ingénieux qui délayent un fait en 20 pages de superfluités puériles, & qui tourmentent à force d’esprit une vérité claire & simple, jusqu’à ce qu’ils l’ayent rendue obscure & compliquée ? Tous ces auteurs qui causent sur la science au lieu d’en raisonner, seroient retranchés du nombre des livres utiles : on auroit beaucoup moins à lire, & beaucoup plus à recueillir.

Cette réduction seroit encore plus considérable dans les sciences abstraites, que dans la science des faits. Les premieres sont comme l’air qui occupe un espace immense lorsqu’il est libre de s’étendre, & qui n’acquiert de la consistance qu’à mesure qu’il est pressé.

L’emploi du critique dans cette partie seroit donc de ramener les idées aux choses, la Métaphysique & la Géométrie à la Morale & à la Physique ; de les empêcher de se répandre dans le vuide des abstractions, & s’il est permis de le dire, de retrancher de leur surface pour ajoûter à leur solidité. Un métaphysicien ou un géometre qui applique la force de son génie à de vaines spéculations, ressemble à ce luteur que nous peint Virgile :

Alternaque jactat
Brachia protendens, & verberat ictibus auras.

Æn. lib. V.

M. de Fontenelle qui a porté si loin l’esprit d’ordre, de précision, & de clarté, eût été un critique supérieur, soit dans les sciences abstraites, soit dans celle de la nature ; & Bayle (que nous considérons ici seulement comme littérateur) n’avoit besoin pour exceller dans sa partie, que de plus d’indépendance, de tranquillité, & de loisir. Avec ces trois conditions essentielles à un critique, il eût dit ce qu’il pensoit, & l’eût dit en moins de volumes.

Critique dans les Arts libéraux ou les beaux Arts. Tout homme qui produit un ouvrage dans un genre auquel nous ne sommes point préparés, excite aisément notre admiration. Nous ne devenons admirateurs difficiles que lorsque les ouvrages dans le même genre venant à se multiplier, nous pouvons établir des points de comparaison, & en tirer des regles plus ou moins séveres, suivant les nouvelles productions qui nous sont offertes. Celles de ces productions où l’on a constamment reconnu un mérite supérieur, servent de modeles. Il s’en faut beaucoup que ces modeles soient parfaits ; ils ont seulement chacun en particulier une on plusieurs qualités excellentes qui les distinguent. L’esprit faisant alors ce qu’on nous dit d’Apelle, se forme d’une multitude de beautés éparses un tout idéal qui les rassemble. C’est à ce modele intellectuel au dessus de toutes les productions existantes, qu’il rapportera les ouvrages dont il se constituera le juge. Le critique supérieur doit donc avoir dans son imagination autant de modeles différens qu’il y a de genres. Le critique subalterne est celui qui n’ayant pas dequoi se former ces modeles transcendans, rapporte tout dans ses jugemens aux productions existantes. Le critique ignorant est celui qui ne connoît point, ou qui connoît mal ces objets de comparaison. C’est le plus ou le moins de justesse, de force, d’étendue dans l’esprit, de sensibilité dans l’ame, de chaleur dans l’imagination, qui marque les degrés de perfection entre les modeles & les rangs parmi les critiques. Tous les Arts n’exigent pas ces qualités réunies dans une égale proportion ; dans les uns l’organe décide, l’imagination dans les autres, le sentiment dans la plûpart ; & l’esprit qui influe sur tous, ne préside sur aucun.

Dans l’Architecture & l’Harmonie, le type intellectuel que le critique est obligé de se former, exige une étude d’autant plus profonde des possibles, & pour en déterminer le choix, une connoissance d’autant plus précise du rapport des objets avec nos organes, que les beautés physiques de ces deux arts n’ont pour arbitre que le goût, c’est-à-dire ce tact de l’ame, cette faculté innée ou acquise de saisir & de préférer le beau, espece d’instinct qui juge les regles & qui n’en a point. Il n’en a point en harmonie : la résonnance du corps sonore indique les proportions ; mais c’est à l’oreille à nous guider dans le mêlange des accords. Il n’en a point en Architecture : tant qu’elle s’est bornée à nos besoins, elle a pû se modeler sur les productions naturelles ; mais dès qu’on a voulu joindre la décoration à la solidité, l’imagination a créé les formes, & l’œil en a fixé le choix. La premiere cabane, qui ne fut-elle même qu’un essai de l’industrie éclairée par le besoin, avoit si l’on veut pour appuis quelques pieux enfoncés dans la terre, ces pieux soûtenoient des traverses, & celles-ci portoient des chevrons chargés d’un toît. Mais de bonne-foi peut-on tirer de ce modele brute les proportions des colonnes, de l’entablement & du fronton ?

Le sentiment du beau physique, soit en Architecture, soit en Harmonie, dépend donc essentiellement du rapport des objets avec nos organes ; & le point essentiel pour le critique, est de s’assûrer du témoignage de ses sens. Le critique ignorant n’en doute jamais. Le critique subalterne consulte ceux qui l’environnent, & croit bien voir & bien entendre lorsqu’il voit & entend comme eux. Le critique supérieur consulte le goût des différens peuples ; il les trouve divisés sur des ornemens de caprice ; il les voit réunis sur des beautés essentielles qui ne vieillissent jamais, & dont les débris ont le charme de la nouveauté ; il se replie sur lui-même, & par l’impression plus ou moins vive qu’ont faite sur lui ces beautés, il s’assûre ou se défie du rapport de ses organes. Dès-lors il peut former son modele intellectuel de ce qui l’affecte le plus dans les modeles existans, suppléer au défaut de l’un par les beautés de l’autre, & se disposer ainsi à juger non-seulement des faits par les faits, mais encore par les possibles. Dans l’Architecture, il dépouillera le gothique de ses ornemens puériles, mais il adoptera la coupe hardie, majestueuse, & legere de ses voûtes, qu’il revêtira des beautés simples & mâles du grec : dans celui-ci, il joindra la frise ionique à la colonne dorique, la base dorique au chapiteau corinthien, à ce chapiteau si élégant, si noble, & si contraire à la vraissemblance. Il aura recours au compas & au calcul pour proportionner les hauteurs aux bases, & les supports aux fardeaux ; mais dans le détail des ornemens, il jugera d’un coup-d’œil les rapports de l’ensemble, sans exiger qu’on fasse du triglif un quarré long, du metope un quarré parfait, &c. bisarrerie d’usage, tyrannie de l’habitude, que la stérilité & la paresse ont érigée en inviolable loi.

Il usera de la même liberté dans la composition de son modele en Harmonie ; il tirera du phénomene donné par la nature, l’origine des accords ; il les suivra dans leur génération, il observera leurs progrès, il développera leur mêlange, il appliquera la théorie à la pratique ; & soûmettant l’une & l’autre au jugement de l’oreille, il sacrifiera les détails à l’ensemble, & les regles au sentiment. L’Harmonie ainsi réduite à la beauté physique des accords, & bornée à la simple émotion de l’organe, n’exige donc, comme l’Architecture, qu’un sens exercé par l’étude, éprouvé par l’usage, docile à l’expérience, & rebelle à l’opinion.

Mais dès que la mélodie vient donner de l’ame & du caractere à l’Harmonie, au jugement de l’oreille se joint celui de l’imagination, du sentiment, de l’esprit lui-même. La Musique devient un langage expressif, une imitation vive & touchante : dès-lors c’est avec la Poésie que ses principes lui sont communs, & l’art de les juger est le même. Des sons articulés dans l’une, dans l’autre des sons modulés, dans toutes les deux le nombre & le mouvement, concourent à peindre la nature. Et si l’on demande quelle est la Musique & la Poésie par excellence, c’est la poésie ou la musique qui peint le plus & qui exprime le mieux. Voyez Accord, Accompagnement, Harmonie, Musique, Mélodie, Mesure, Modulation, Mouvement, &c.

Dans la Sculpture & la Peinture, c’est peu d’étudier la nature en elle-même, modele toûjours imparfait ; c’est peu d’étudier les productions de l’art, modeles toûjours plus froids que la nature. Il faut prendre de l’un ce qui manque à l’autre, & se former un ensemble des différentes parties où ils se surpassent mutuellement. Or, sans parler des sources où l’artiste & le connoisseur doivent puiser l’idée du beau, relative au choix des sujets, au caractere des passions, à la composition & à l’ordonnance ; combien la seule étude du physique dans ces deux arts ne suppose-t-elle pas d’épreuves & d’observations ? que d’études pour la partie du dessein ! Qu’on demande à nos prétendus connoisseurs où ils ont observé, par exemple, le méchanisme du corps humain, la combinaison & le jeu des nerfs, le gonflement, la tension, la contraction des muscles, la direction des forces, les points d’appui, &c. Ils seront aussi embarrassés dans leur réponse, qu’ils le sont peu dans leurs décisions. Qu’on leur demande où ils ont observé tous les reflets, toutes les gradations, tous les contrastes des couleurs, tous les tons, tous les coups de lumiere possibles, étude sans laquelle on est hors d’état de parler du coloris. Un peintre aussi connu par les sacrifices qu’il a faits à la perfection de son art ; que par la force & la vérité qui caractérisent ses ouvrages, M. de la Tour vouloit exprimer dans un de ses tableaux l’application d’un homme absorbé dans l’étude. Il a imaginé de le peindre éclairé par deux bougies, dont l’une fond & s’éteint sans qu’il s’en apperçoive. Combien, de l’aveu même de l’artiste, pour saisir cet accident il a fallu voir couler de bougies ? Or si un homme accoûtumé à épier & à surprendre la nature a tant de peine à l’imiter, quel est le connoisseur qui peut se flatter de l’avoir assez bien vûe pour en critiquer l’imitation ? C’est une chose étrange que la hardiesse avec laquelle on se donne pour juge de la belle nature dans quelque situation que le peintre ou le sculpteur ait pû l’imaginer & la saisir. Celui-ci après avoir employé la moitié de sa vie à l’étude de son art, n’ose se fier aux modeles que sa mémoire a recueillis, & que son imagination lui retrace ; il a cent fois recours à la nature pour se corriger d’après elle : il vient un critique plein de confiance, qui le juge d’un coup-d’œil : ce critique a-t-il étudié l’art ou la nature ? aussi peu l’un que l’autre : mais il a des statues & des tableaux, & avec eux il prétend avoir acquis le talent de s’y connoître. On voit de ces connoisseurs se pâmer devant un ancien tableau dont ils admirent le clair-obscur : le hasard fait qu’on leve la bordure ; le vrai coloris mieux conservé se découvre dans un coin ; & ce ton de couleur si admiré se trouve une couche de fumée.

Nous savons qu’il est des amateurs versés dans l’étude des grands maîtres, qui en ont saisi la maniere, qui en connoissent la touche, qui en distinguent le coloris : c’est beaucoup pour qui ne veut que joüir, mais c’est bien peu pour qui ose juger : on ne juge point un tableau d’après des tableaux. Quelque plein qu’on soit de Raphael, on sera neuf devant le Guide. Bien plus, les Forces du Guide, malgré l’analogie du genre, ne seront point une regle sûre pour critiquer le Milon du Puget, ou le Gladiateur mourant. La nature varie sans cesse : chaque position, chaque action différente la modifie diversement : c’est donc la nature qu’il faut avoir étudiée sous telle & telle face pour en juger l’imitation. Mais la nature elle-même est imparfaite ; il faut donc aussi avoir étudié les chefs-d’œuvres de l’art, pour être en état de critiquer en même tems & l’imitation & le modele.

Cependant les difficultés que présente la critique dans les Arts dont nous venons de parler, n’approchent pas de celles que réunit la critique littéraire.

Dans l’histoire, aux lumieres profondes que nous avons exigées du critique pour la partie de l’érudition, se joint pour la partie purement littéraire, l’étude moins étendue, mais non moins refléchie, de la majestueuse simplicité du style, de la netteté, de la décence, de la rapidité de la narration ; de l’apropos & du choix des réflexions & des portraits, ornemens puériles dès qu’on les affecte & qu’on les prodigue ; enfin de cette éloquence mâle, précise, & naturelle, qui ne peint les grands hommes & les grandes choses que de leurs propres couleurs, qualités qui mettent si fort Tacite & Saluste au-dessus de Tite Live & de Quinte-Curce. Ce n’est que de cet assemblage de connoissances & de goût que se forme un critique supérieur dans le genre historique : que seroit-ce si le même homme prétendoit embrasser en même tems la partie de l’Eloquence & celle de la Morale ?

Ces deux genres, soit que renfermés en eux-mêmes, ils se nourrissent de leur propre substance, soit qu’ils se pénetrent l’un l’autre & s’animent mutuellement, soit que répandus dans les autres genres de littérature comme un feu élémentaire, ils y portent la vie & la fécondité ; ces deux genres dans tous les cas, ont pour objet de rendre la vérité sensible & la vertu aimable.

C’est un talent donné à peu de personnes, & que peu de personnes sont en état de critiquer. L’esprit n’en est qu’un demi-juge. Il connoît l’art de convaincre, non celui de persuader ; l’art de séduire, non celui d’émouvoir. L’esprit peut critiquer un rhéteur subtil ; mais le cœur seul peut juger un philosophe éloquent. Le critique en éloquence & en morale doit donc avoir en lui ce principe de sensibilité & de droiture, qui fait concevoir & produire avec force les vérités dont on se pénetre : ce principe de noblesse & d’élévation qui excite en nous l’enthousiasme de la vertu, & qui seul embrasse tous les possibles dans l’art d’intéresser pour elle. Si la vertu pouvoit se rendre visible aux hommes, a dit un philosophe, elle paroîtroit si touchante & si belle, que personne ne pourroit lui résister : c’est ainsi que doit la concevoir & celui qui la peint & celui qui en critique la peinture.

La fausse éloquence est également facile à professer & à pratiquer : des figures entassées, de grands mots qui ne disent rien de grand, des mouvemens empruntés, qui ne partent jamais du cœur & qui n’y arrivent jamais, ne supposent ni dans l’auteur ni dans le connoisseur aucune élevation dans l’esprit, aucune sensibilité dans l’ame : mais la vraie éloquence étant l’émanation d’une ame à la fois simple, forte, grande, & sensible, il faut réunir toutes ces qualités pour y exceller, & pour savoir comment on y excelle. Il s’ensuit qu’un grand critique en éloquence, doit être éloquent lui-même. Osons le dire à l’avantage des ames sensibles, celui qui se pénetre vivement du beau, du touchant, du sublime, n’est pas loin de l’exprimer ; & l’ame qui en reçoit le sentiment avec une certaine chaleur, peut à son tour le produire. Cette disposition à la vraie éloquence ne comprend ni les avantages de l’élocution, ni cette harmonie entre le geste, le ton, & le visage qui compose l’éloquence extérieure (Voyez Déclamation). Il s’agit ici d’une éloquence interne, qui se fait jour à-travers le langage le plus inculte & la plus grossiere expression ; il s’agit de l’éloquence du paysan du Danube, dont la rustique sublimité fait si peu d’honneur à l’art, & en fait tant à la nature ; de cette éloquence sans laquelle l’orateur n’est qu’un déclamateur, & le critique qu’un froid Aristarque.

Par la même raison un critique en Morale doit avoir en lui, sinon les vertus pratiques, du moins le germe de ces vertus. Il n’arrive que trop souvent que les mœurs d’un homme éclairé sont en contradiction avec ses principes, quelquefois avec ses sentimens. Il n’est donc pas essentiel au critique en Morale d’être vertueux, il suffit qu’il soit né pour l’être ; mais alors, quel métier que celui du critique ? avoir à se condamner sans cesse en approuvant les gens de bien ! Cependant il ne seroit pas à souhaiter que le critique en Morale fût exempt de passions & de foiblesses : il faut juger les hommes en homme vertueux, mais en homme ; se connoître, connoître ses semblables, & savoir ce qu’ils peuvent avant d’examiner ce qu’ils doivent ; se mettre à la place d’un pere, d’un fils, d’un ami, d’un citoyen, d’un sujet, d’un roi lui-même, & dans la balance de leurs devoirs peser les vices & les vertus de leur état ; concilier la nature avec la société, mesurer leurs droits & en marquer les limites, rapprocher l’intérêt personnel du bien général, être enfin le juge non le tyran de l’humanité : tel seroit l’emploi d’un critique supérieur dans cette partie ; emploi difficile & important, sur-tout dans l’examen de l’Histoire.

C’est-là qu’il seroit à souhaiter qu’un philosophe aussi ferme qu’éclairé, osât appeller au tribunal de la vérité, des jugemens que la flaterie & l’intérêt ont prononcé dans tous les siecles. Rien n’est plus commun dans les annales du monde, que les vices & les vertus contraires mis au même rang. La modération d’un roi juste, & l’ambition effrénée d’un usurpateur ; la sévérité de Manlius envers son fils, & l’indulgence de Fabius pour le sien ; la soûmission de Socrate aux lois de l’aréopage, & la hauteur de Scipion devant le tribunal des comices, ont eu leurs apologistes & leurs censeurs. Par-là l’Histoire, dans sa partie morale, est une espece de labyrinthe où l’opinion du lecteur ne cesse de s’égarer ; c’est un guide qui lui manque : or ce guide seroit un critique capable de distinguer-la vérité de l’opinion, le droit de l’autorité, le devoir de l’intérêt, la vertu de la gloire elle-même ; en un mot de réduire l’homme, quel qu’il fût, à la condition de citoyen ; condition qui est la base des lois, la regle des mœurs, & dont aucun homme en société n’eut jamais droit de s’affranchir. Voyez Citoyen.

Le critique doit aller plus loin contre le préjugé ; il doit considérer non-seulement chaque homme en particulier, mais encore chaque république comme citoyenne de la terre, & attachée aux autres parties de ce grand corps politique, par les mêmes devoirs qui lui attachent à elle-même les membres dont elle est formée : il ne doit voir la société en général, que comme un arbre immense dont chaque homme est un rameau, chaque république une branche, & dont l’humanité est le tronc. De-là le droit particulier & le droit public, que l’ambition seule a distingués, & qui ne sont l’un & l’autre que le droit naturel plus ou moins étendu, mais soumis aux mêmes principes. Ainsi le critique jugeroit non-seulement chaque homme en particulier suivant les mœurs de son siecle & les lois de son pays, mais encore les lois & les mœurs de tous les pays & de tous les siecles, suivant les principes invariables de l’équité naturelle.

Quelle que soit la difficulté de ce genre de critique, elle seroit bien compensée par son utilité : quand il seroit vrai, comme Bayle l’a prétendu, que l’opinion n’influât point sur les mœurs privées, il est du moins incontestable qu’elle décide des actions publiques. Par exemple, il n’est point de préjugé plus généralement ni plus profondément enraciné dans l’opinion des hommes, que la gloire attachée au titre de conquérant ; toutefois nous ne craignons point d’avancer que si dans tous les tems les Philosophes, les Historiens, les Orateurs, les Poëtes, en un mot les dépositaires de la réputation & les dispensateurs de la gloire, s’étoient réunis pour attacher aux horreurs d’une guerre injuste le même opprobre qu’au larcin & qu’à l’assassinat, on eût peu vû de brigands illustres. Malheureusement les Philosophes ne connoissent pas assez leur ascendant sur les esprits : divisés, ils ne peuvent rien ; réunis, ils peuvent tout à la longue : ils ont pour eux la vérité, la justice, la raison, & ce qui est plus fort encore, l’intérêt de l’humanité dont ils défendent la cause.

Montagne moins irrésolu, eût été un excellent critique dans la partie morale de l’Histoire : mais peu ferme dans ses principes, il chancelle dans les conséquences ; son imagination trop féconde, étoit pour sa raison ce qu’est pour les yeux un crystal à plusieurs faces, qui rend douteux l’objet véritable à force de le multiplier.

L’auteur de l’esprit des lois est le critique dont l’Histoire auroit besoin dans cette partie : nous le citons quoique vivant ; car il est trop pénible & trop injuste d’attendre la mort des grands hommes pour parler d’eux en liberté.

Quoique le modele intellectuel d’après lequel un critique supérieur juge la Morale & l’Eloquence, entre essentiellement dans le modele auquel doit se rapporter la Poésie, il s’en faut bien qu’il suffise à la perfection de celui-ci : combien le modele de la Poésie en général n’embrasse-t-il pas de genres différens & de modeles particuliers ? Bornons-nous au poëme dramatique & à l’épopée.

Dans la comédie, quel usage du monde, quelle connoissance de tous les états ! combien de vices, de passions, de travers, de ridicules à observer, à analyser, à combiner, dans tous les rapports, dans toutes les situations, sous toutes les faces possibles ! combien de caracteres ! combien de nuances dans le même caractere ! combien de traits à recueillir, de contrastes à rapprocher ! quelle étude pour former le seul tableau du Misantrope ou du Tartuffe ! quelle étude pour être en état de le juger ! Ici les regles de l’art sont la partie la moins importante : c’est à la vérité de l’expression, à la force des touches, au choix des situations & des oppositions, que le critique doit s’attacher ; il doit donc juger la comédie d’après les originaux ; & ses originaux ne sont pas dans l’art, mais dans la nature. L’avare de Moliere n’est point l’avare de Plaute ; ce n’est pas même tel avare en particulier, mais un assemblage de traits répandus dans cette espece de caractere ; & le critique a dû les recueillir pour juger l’ensemble, comme l’auteur pour le composer. Voyez Comédie.

Dans la tragédie, à l’observation de la nature se joignent dans un plus haut degré que dans la comédie, l’imagination & le sentiment ; & ce dernier y domine. Ce ne sont plus des caracteres communs ni des évenemens familiers que l’auteur s’est proposé de rendre ; c’est la nature dans ses plus grandes proportions, & telle qu’elle a été quelquefois lorsqu’elle a fait des efforts pour produire des hommes & des choses extraordinaires. Voyez Tragédie. Ce n’est point la nature reposée, mais la nature en contraction, & dans cet état de souffrance où la mettent les passions violentes, les grands dangers, & l’excès du malheur. Où en est le modele ? Est-ce dans le cours tranquille de la société ? Un ruisseau ne donne point l’idée d’un torrent, ni le calme l’idée de la tempête. Est-ce dans les tragédies existantes ? Il n’en est aucune dont les beautés forment un modele générique : on ne peut juger Cinna d’après Œdipe, ni Athalie d’après Cinna. Est-ce dans l’Histoire ? Outre qu’elle nous présenteroit en vain ce modele, si nous n’avions en nous dequoi le reconnoître & le saisir ; tout évenement, toute situation, tout personnage héroïque ne peut avoir qu’un caractere de beauté qui lui est propre, & qui ne sauroit s’appliquer à ce qui n’est pas lui ; à moins cependant que rempli d’un grand nombre de modeles particuliers, l’imagination & le sentiment n’en généralisent en nous l’idée. C’est de cette étude consommée que s’exprime, pour ainsi dire, le chyle dont l’ame du critique se nourrit, & qui changé en sa propre substance, forme en lui ce modele intellectuel, digne production du génie. C’est sur-tout dans cette partie que se ressemblent l’orateur, le poëte, le musicien, & par conséquent les critiques superieurs en Eloquence, en Poésie, & en Musique : car on ne sauroit trop insister sur ce principe, que le sentiment seul peut juger le sentiment ; & que soumettre le pathétique au jugement de l’esprit, c’est vouloir rendre l’oreille arbitre des couleurs, & l’œil juge de l’harmonie.

Le même modele intellectuel auquel un critique supérieur rapporte la tragédie, doit s’appliquer à la partie dramatique de l’épopée : dès que le poëte épique fait parler ses personnages, l’épopée ne différant plus de la tragédie que par le tissu de l’action, les mœurs, les sentimens, les caracteres, sont les mêmes que dans la tragédie, & le modele en est commun. Mais lorsque le poëte paroît & prend la place de ses personnages, l’action devient purement épique : c’est un homme inspiré aux yeux duquel tout s’anime ; les êtres insensibles prennent une ame ; les abstraits, une forme & des couleurs ; le soufle du génie donne à la nature une vie & une face nouvelle ; tantôt il l’embellit par ses peintures, tantôt il la trouble par ses prestiges & en renverse toutes les lois ; il franchit les limites du monde ; il s’éleve dans les espaces immenses du merveilleux ; il crée de nouvelles spheres : les cieux ne peuvent le contenir ; & il faut avoüer que le génie de la Poésie considéré sous ce point de vûe, est le moins absurde des dieux qu’ait adoré l’antiquité payenne. Qui osera le suivre dans son enthousiasme, si ce n’est celui qui l’éprouve ? Est-ce à la froide raison à guider l’imagination dans son ivresse ? Le goût timide & tranquille viendra-t-il lui présenter le frein ? O vous qui voulez voir ce que peut la Poésie dans sa chaleur & dans sa force, laissez bondir en liberté ce coursier fougueux ; il n’est jamais si beau que dans ses écarts ; le manége ne feroit que rallentir son ardeur, & contraindre l’aisance noble de ses mouvemens : livré à lui même, il se précipitera quelquefois ; mais il conservera, même dans sa chûte, cette fierté & cette audace qu’il perdroit avec la liberté. Prescrivez au sonnet & au madrigal des regles gênantes ; mais laissez à l’épopée une carriere sans bornes ; le génie n’en connoît point : c’est en grand qu’on doit critiquer les grandes choses, il faut donc les concevoir en grand, c’est-à-dire avec la même force, la même élevation, la même chaleur qu’elles ont été produites. Pour cela il faut en puiser le modele, non dans les beautés de la nature, non dans les productions de l’art, mais dans l’un & l’autre savamment approfondies, & sur-tout dans une ame vivement pénétrée du beau, dans une imagination assez active & assez hardie pour parcourir la carriere immense des possibles dans l’art de plaire & de toucher.

Il suit des principes que nous venons d’établir, qu’il n’y a de critique universellement supérieur que le public, plus ou moins éclairé suivant les pays & les siecles, mais toûjours respectable en ce qu’il comprend les meilleurs juges dans tous les genres, dont les opinions préponderantes l’emportent, & se réunissent à la longue pour former l’avis général. Le public est comme un fleuve qui coule sans cesse, & qui dépose son limon. Le tems vient où ses eaux pures sont le miroir le plus fidele que puissent consulter les Arts.

A l’égard des particuliers qui n’ont que des prétentions pour titres, la liberté de se tromper avec confiance est un privilége auquel ils doivent se borner, & nous n’avons garde d’y porter atteinte.

On peut nous opposer que l’on nait avec le talent de la critique. Oui, comme on naît poëte, historien, orateur, c’est-à-dire avec des dispositions à le devenir par l’exercice & l’étude.

Enfin l’on peut nous demander, si sans toutes les qualités que nous exigeons, les Arts & la Littérature n’ont pas eu d’excellens juges. C’est une question de fait sur les Arts ; nous nous en rapportons aux artistes. Quant à la Litterature, nous osons répondre qu’elle a eu peu de critiques supérieurs, & moins encore qui ayent excellé en différentes parties.

On n’entreprend point d’en marquer les classes. Nous avons indiqué les principes ; c’est au lecteur à les appliquer : il sait à quel poids il doit peser Cicéron, Longin, Petrone, Quintilien, en fait d’éloquence ; Aristote, Horace, & Pope, en fait de Poésie : mais ce que nous aurons le courage d’avancer, quoique bien sûrs d’être contredits par le bas peuple des critiques, c’est que Boileau, à qui la versification & la langue sont en partie redevables de leur pureté, Boileau, l’un des hommes de son siecle qui avoit le plus étudié les anciens, & qui possedoit le mieux l’art de mettre leurs beautés en œuvre ; Boileau n’a jamais bien jugé que par comparaison. De-là vient qu’il a rendu justice à Racine, l’heureux imitateur d’Euripide, & qu’il a méprisé Quinault, & loüé froidement Corneille, qui ne ressembloient à rien, sans parler du Tasse qu’il ne connoissoit point ou qu’il n’a jamais bien senti. Et comment Boileau qui a si peu imaginé, auroit-il été un bon juge dans la partie de l’imagination ? Comment auroit-il été un vrai connoisseur dans la partie du pathétique, lui à qui il n’est jamais échappé un trait de sentiment dans tout ce qu’il a pû produire ? Qu’on ne dise pas que le genre de ses œuvres n’en étoit pas susceptible. Le sentiment & l’imagination savent bien s’épancher quand ils abondent dans l’ame. L’imagination qui dominoit dans Malebranche, l’a entraîné malgré lui dans ce qu’il appelloit la recherche de la vérité, & il n’a pû s’empêcher de s’y livrer dans le genre d’écrit où il étoit le plus dangereux de la suivre. C’est ainsi que les fables de la Fontaine (cet auteur dont Boileau n’a pas dit un mot dans son Art poétique) sont semées de traits aussi touchans que délicats, de ces traits qui échappent naturellement à l’auteur sans qu’il s’en appercoive & qu’on s’y attende, & qui sont moins des émanations du sujet, que des saillies de caractere & des élancemens de génie.

Les critiques qui n’en ont pas eu le germe en eux-mêmes, trop foibles pour se former des modeles intellectuels, ont tout rapporté aux modeles existans ; c’est ainsi qu’on a jugé Virgile, Lucain, le Tasse, & Milton, sur les regles tracées d’après Homere : Racine & Corneille sur les regles tracées d’après Euripide & Sophocle. Les premiers ont réuni les suffrages de tous les siecles. On en conclut qu’on ne peut plaire qu’en suivant la route qu’ils ont tenue : mais chacun d’eux a suivi une route différente ; qu’ont fait les critiques ? Ils ont fait, dit l’auteur de la Henriade, comme les Astronomes, qui inventoient tous les jours des cercles imaginaires, & créoient ou anéantissoient un ciel ou deux de crystal à la moindre difficulté. Combien l’esprit didactique, si on vouloit l’en croire, ne retréciroit-il pas la carriere du génie ? « Allez au grand, vous dira un critique supérieur, il n’importe par quelle voie », non qu’il permette de négliger l’étude des modeles anciens dans la composition, ni qu’il la néglige lui-même dans sa critique ; il vous dira avec Horace,

Vos exemplaria graca
Nocturnâ versate manu, versate diurnâ.

Mais avec Horace il vous dira aussi,

O imitatores, servum pecus.

Il ajoûtera, « que votre narration soit claire & noble ; que le tissu de votre poëme n’ait rien de forcé ; que les extrémités & le milieu se répondent ; que les caracteres annoncés se soûtiennent jusqu’au bout. Ecartez de votre action tout détail froid, tout ornement superflu. Intéressez par la suspension des évenemens ou par la surprise qu’ils causent : parlez à l’ame, peignez à l’imagination ; pénétrez-vous pour nous toucher ». Il ne vous dira pas « qu’elle soit importante ou non, pourvû que vos personnages soient illustres ; car Horace n’exclud que la bassesse des personnages, & dans les deux poëmes d’Homere l’action en elle-même n’a rien de grand (le P. le Bossu, l. II. c. xjx.). Que l’action de votre poëme ne dure pas moins de 40 jours, ni plus d’un an ; car celle de l’Iliade dure 40 jours, & l’on peut borner à un an celle de l’Odissée & de l’Enéide ; que celle de vos tragédies soit supposée se passer dans une même enceinte ; car c’est ainsi que Sophocle & Euripide l’ont pratiqué quelquefois. Gardez-vous de faire un poëme sans merveilleux ; car au défaut du merveilleux, le poëme de Lucain n’est pas un poëme épique : mais il vous dira, puisez dans ces modeles & dans la nature l’idée & le sentiment du vrai, du grand, du pathétique, & employez-les suivant l’impulsion de votre génie, & la disposition de vos sujets. Dans la tragédie, l’illusion & l’intérêt, voilà vos regles ; sacrifiez tout le reste à la noblesse du dessein & à la hardiesse du pinceau ; ne méprisez pas les regles tracées d’après les anciens ; car elles renferment des moyens de toucher & de plaire : mais n’en soyez pas esclave ; car elles ne renferment que quelques-uns de ces moyens ; elles sont bonnes, mais elles ne sont pas exclusives. Le Cid n’est point suivant les regles d’Aristote, & n’en est pas moins une très-belle tragédie. Les unités ne sont observées ni dans Machbet ni dans Otello. Les Anglois n’y pleurent & n’y frémissent pas moins ; leur théatre a des grossieretés barbares, mais il a des traits de force & de chaleur qu’une vaine délicatesse & une séverité mal entendue ne nous permettent que d’envier.

Dans le poëme épique, passez-vous du merveilleux comme Lucain, si comme lui vous avez de grands hommes à faire parler & agir. Imitez l’élevation de ce poëte, évitez son enflure, & laissez donner à votre poëme le nom qu’il plaira à ceux qui disputent sur les mots. Faites durer votre action le tems qu’elle a dû naturellement durer ; pourvû qu’elle soit une, pleine, & intéressante, elle finira trop tôt. Fondez la grandeur de vos personnages sur leur caractere, & non sur leurs titres ; un grand nom n’annoblit point une action, comme une action héroïque annoblira le nom le plus obscur. En un mot, touchez comme Euripide, étonnez comme Sophocle, peignez comme Homere, & composez d’après vous. Ces maîtres n’ont point eu de regles, ils n’en ont été que plus grands, & ils n’ont acquis le droit de commander, que parce qu’ils n’ont jamais obéi. Il en est tout autrement en Littérature qu’en Politique, le talent qui a besoin de subir des lois n’en donnera jamais ».

C’est ainsi que le critique supérieur laisse au génie toute sa liberté ; il ne lui demande que de grandes choses, & il l’encourage à les produire. Le critique subalterne l’accoûtume au joug des regles, il n’en exige que l’exactitude, & il n’en tire qu’une obéissance froide & qu’une servile imitation. C’est de cette espece de critique, qu’un auteur que nous ne saurions assez citer en fait de goût, a dit, ils ont laborieusement écrit des volumes sur quelques lignes que l’imagination des poëtes a créées en se jouant.

Qu’on ne soit donc plus surpris, si à mesure que le goût devient plus difficile, l’imagination devient plus timide & plus froide, & si presque tous les grands génies depuis Homere jusqu’à Lucrece, depuis Lucrece jusqu’à Milton & à Corneille, semblent avoir choisi, pour s’élever, les tems où l’ignorance leur laissoit une libre carriere. Nous ne citerons qu’un exemple des avantages de cette liberté. Corneille eût sacrifié la plûpart des beautés de ses pieces, & eût même abandonné quelques-uns de ses plus beaux sujets, tels que celui des Horaces, s’il eût été aussi severe dans sa composition qu’il l’a été dans ses examens ; mais heureusement il composoit d’après lui, & se jugeoit d’après Aristote. Le bon goût, nous dira-t-on, est donc un obstacle au génie ? Non, sans doute ; car le bon goût est un sentiment courageux & mâle qui aime sur-tout les grandes choses, & qui échauffe le génie en même tems qu’il l’éclaire. Le goût qui le gêne & qui l’amollit, est un goût craintif & puérile qui veut tout polir & qui affoiblit tout. L’un veut des ouvrages hardiment conçus, l’autre en veut de scrupuleusement finis ; l’un est le goût du critique supérieur, l’autre est le goût du critique subalterne.

Mais autant que le critique supérieur est au-dessus du critique subalterne, autant celui-ci l’emporte sur le critique ignorant. Ce que celui-ci sait d’un genre, est à son avis tout ce qu’on en peut savoir ; renfermé dans sa sphere, sa vûe est pour lui la mesure des possibles ; dépourvû de modeles & d’objets de comparaison, il rapporte tout à lui même ; par-là tout ce qui est hardi lui paroît hasardé, tout ce qui est grand lui paroît gigantesque. C’est un nain contrefait qui juge d’après ses proportions une statue d’Antinoüs ou d’Hercule. Les derniers de cette derniere classe sont ceux qui attaquent tous les jours ce que nous avons de meilleur, qui louent ce que nous avons de plus mauvais, & qui font, de la noble profession des Lettres, un métier aussi lâche & aussi méprisable qu’eux-mêmes (M. de Voltaire dans les Mensonges imprimés). Cependant comme ce qu’on méprise le plus, n’est pas toûjours ce qu’on aime le moins, on a vû le tems où ils ne manquoient ni de lecteurs ni de Mecenes. Les magistrats eux-mêmes cédant au goût d’un certain public, avoient la foiblesse de laisser à ces brigands de la Litterature une pleine & entiere licence. Il est vrai qu’on accordoit aux auteurs poursuivis, la liberté de se défendre, c’est-à-dire d’illustrer leurs critiques, & de s’avilir, mais peu d’entre les hommes célebres ont donné dans ce piége. Le sage Racine disoit de ces petits auteurs infortunés (car il y en avoit aussi de son tems), ils attendent toûjours l’occasion de quelqu’ouvrage qui réussisse, pour l’attaquer ; non point par jalousie, car sur quel fondement seroient-ils jaloux ? mais dans l’espérance qu’on se donnera la peine de leur répondre, & qu’on les tirera de l’obscurité où leurs propres ouvrages les auroient laissés toute leur vie. Sans doute ils seront obscurs dans tous les siecles éclairés ; mais dans les tems où regnera l’ignorance orgueilleuse & jalouse, ils auront pour eux le grand nombre & le parti le plus bruyant ; ils auront sur-tout pour eux cette espece de personnages stupides & vains, qui regardent les gens de lettres comme des bêtes féroces destinées à l’amphitéatre pour l’amusement des hommes ; image qui, pour être juste, n’a besoin que d’une inversion. Cependant si les auteurs outragés sont trop au-dessus des insultes pour y être sensibles, s’ils conservent leur réputation dans l’opinion des vrais juges ; au milieu des nuages dont la basse envie s’efforce de l’obscurcir, la multitude n’en recevra pas moins l’impression du mépris qu’on aura voulu répandre sur les talens, & l’on verra peu-à-peu s’affoiblir dans les esprits cette considération universelle, la plus digne récompense des travaux littéraires, le germe & l’aliment de l’émulation.

Nous parlons ici de ce qui est arrivé dans les différentes époques de la Littérature, & de ce qui arrivera sur-tout, lorsque le beau, le grand, le sérieux en tout genre, n’ayant plus d’asyle que dans les bibliotheques & auprès d’un petit nombre de vrais amateurs, laisseront le public en proie à la contagion des froids romans, des farces insipides, & des sottises polémiques.

Quant à ce qui se passe de nos jours, nous y tenons de trop près pour en parler en liberté ; nos loüanges & nos censures paroîtroient également suspectes. Le silence nous convient d’autant mieux à ce sujet, qu’il est fondé sur l’exemple des Fontenelle, des Montesquieu, des Buffon, & de tous ceux qui leur ressemblent. Mais si quelque trait de cette barbarie que nous venons de peindre, peut s’appliquer à quelques-uns de nos contemporains, loin de nous retracter, nous nous applaudirons d’avoir présenté ce tableau à quiconque rougira ou ne rougira point de s’y reconnoître. Peut-être trouvera-t-on mauvais que dans un ouvrage de la forme de celui-ci, nous soyons entrés dans ce détail ; mais la vérité vient toûjours à-propos dès qu’elle peut être utile. Nous avoüerons, si l’on veut, qu’élle eût pû mieux choisir sa place ; mais par malheur elle n’a point à choisir.

Qu’il nous soit permis de terminer cet article par un souhait que l’amour des Lettres nous inspire, & que nous avons fait autrefois pour nous-mêmes. On voyoit à Sparte les vieillards assister aux exercices de la jeunesse, l’animer par l’exemple de leur vie passée, la corriger par leurs reproches, & l’instruire par leurs leçons. Quel avantage pour la république littéraire, si les auteurs blanchis dans de sçavantes veilles, après s’être mis par leurs travaux au-dessus de la rivalité & des foiblesses de la jalousie, daignoient présider aux essais des jeunes gens, & les guider dans la carriere ; si ces maîtres de l’art en devenoient les critiques ; si, par exemple, les auteurs de Rhadamiste & d’Alzire vouloient bien examiner les ouvrages de leurs éleves qui annonceroient quelque talent : au lieu de ces extraits mutilés, de ces analyses seches, de ces décisions ineptes, où l’on ne voit pas même les premieres notions de l’art, on auroit des jugemens éclairés par l’expérience & prononcés par la justice. Le nom seul du critique inspireroit du respect, l’encouragement seroit à côté de la correction ; l’homme consommé verroit d’où le jeune homme est parti, où il a voulu arriver ; s’il s’est égaré dès le premier pas ou sur la route, dans le choix ou dans la disposition du sujet, dans le dessein ou dans l’exécution : il lui marqueroit le point où a commencé son erreur, il le rameneroit sur ses pas ; il lui feroit appercevoir les écueils où il s’est brisé, & les détours qu’il avoit à prendre ; enfin il lui enseigneroit non-seulement en quoi il a mal fait, mais comment il eût pû mieux faire, & le public profiteroit des leçons données au poëte. Cette espece de critique, loin d’humilier les auteurs, seroit une distinction flateuse pour leurs talens & pour leurs ouvrages ; on y verroit un pere qui corrigeroit son enfant avec une tendre sévérité, & qui pourroit écrire à la tête de ses conseils :

Disce puer virtutem ex me, verumque laborem.

Cet article est de M. Marmontel.

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France Terme

Se dit d'un milieu où s'entretient une réaction de fission en chaîne au cours de laquelle apparaissent autant de neutrons qu'il en disparaît.

Notes : Le facteur de multiplication est alors strictement égal à 1 et la réaction est exactement entretenue.

FranceTerme, Délégation générale à la langue française et aux langues de France

Étymologie de « critique »

Κριτιϰὸς, de ϰρίνειν, juger (voy. CRISE).

Version électronique créée par François Gannaz - http://www.littre.org - licence Creative Commons Attribution

Du latin criticus, issu du grec ancien κριτικός kritikos (« capable de discernement, de jugement ») apparenté à κρίσις crisis (« crise ») ; dérivé du verbe krinein (« séparer », « choisir », « décider », « passer au tamis »).
Wiktionnaire - licence Creative Commons attribution partage à l’identique 3.0

Phonétique du mot « critique »

Mot Phonétique (Alphabet Phonétique International) Prononciation
critique kritik

Évolution historique de l’usage du mot « critique »

Source : Google Books Ngram Viewer, application linguistique permettant d’observer l’évolution au fil du temps du nombre d'occurrences d’un ou de plusieurs mots dans les textes publiés.

Citations contenant le mot « critique »

  • Tout critique de profession, homme médiocre par nature. De Joseph Joubert / Carnets , 
  • La critique constructive est un levier du progrès. De Anonyme , 
  • Ayez le culte de l'esprit critique. De Louis Pasteur , 
  • « La critique littéraire est une activité à risque », estime la sociologue Phillipa Chong. Elle parle en connaissance de cause, puisqu’elle a enquêté auprès de quarante critiques qui publient dans de grands quotidiens américains comme The New York Times ou The Washington Post. Elle les a interrogés sur l’origine de leur vocation, leur vision du rôle de la critique et leur éthique professionnelle. Books,  Profession : critique littéraire
  • La critique est aisée et le critique dans l’aisance. De Jules Renard / Journal , 
  • Le corbeau critique la noirceur. De William Shakespeare , 
  • La seule critique définitive est la création. De Maurice Lemaître , 
  • La critique est la puissance des impuissants. De Alphonse de Lamartine , 
  • Savetier, borne ta critique à la chaussure ! De Apelle , 
  • Aux auteurs la critique est utile. De Destouches / Le glorieux , 
  • La parodie est une forme de critique. De Patrick Rambaud / Evene.fr - Septembre 2006 , 
  • La critique a toujours eu mauvaise presse ; le critique, bonne conscience. De Pierre Descaves / Le Théâtre , 
  • Le critique de livres ne lit plus que sa critique, que lui rédige son secrétaire. De Jules Renard / Journal 1893 - 1898 , 
  • On dit : La critique est aisée..., parfois on aimerait pouvoir dire : Si la critique se taisait.... De Vincent Roca / La Ford vous siéra , 
  • Le critique insulte l'auteur : on appelle cela de la critique. L'auteur insulte le critique : on appelle cela de l'insulte. De Henry de Montherlant / Carnets , 
  • Tout critique de profession, homme médiocre par nature. De Joseph Joubert / Carnets , 
  • La critique constructive est un levier du progrès. De Anonyme , 
  • Ayez le culte de l'esprit critique. De Louis Pasteur , 
  • Elle les a interrogés sur l’origine de leur vocation, leur vision du rôle de la critique et leur éthique professionnelle. Books,  Profession : critique littéraire
  • La critique est aisée et le critique dans l’aisance. De Jules Renard / Journal , 

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Traductions du mot « critique »

Langue Traduction
Anglais critical
Espagnol crítico
Italien critico
Allemand kritisch
Chinois 危急
Arabe حرج
Portugais crítico
Russe критический
Japonais クリティカル
Basque kritikoa
Corse criticu
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Synonymes de « critique »

Source : synonymes de critique sur lebonsynonyme.fr

Antonymes de « critique »

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Nombre de points du mot critique au scrabble : 19 points

Critique

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