La langue française

Accueil > Dictionnaire > Définitions du mot « devoir »

Devoir

Variantes Singulier Pluriel
Masculin devoir devoirs

Définitions de « devoir »

Trésor de la Langue Française informatisé

DEVOIR1, verbe.

I.− Verbe trans.
A.− Emploi trans.
1. [Il marque l'obligation; le compl. d'obj. désigne ce dont le suj. est tenu de s'acquitter envers qqn ou envers qqc.]
a) [L'obj. de la créance est de l'argent]
α) [À la forme active, le suj. désigne une pers.; le compl. d'obj. dir. désigne]
[la nature ou le montant de la dette] Avoir à payer (une somme), à fournir (quelque chose) (à quelqu'un). Devoir de l'argent, ses impôts, cent mille francs. Ravier. − Voici ce que je vous dois. Je vous donne moins que l'autre fois, selon votre désir (Montherl., Celles qu'on prend,1950, p. 775).Il va exiger les huit mille roubles que je lui dois (Camus, Possédés,1959, 1repart., 2etabl., p. 951):
1. Or, mon père mourut pauvre; on lui devait vingt-huit mille francs de solde arriérée, on ne les paye pas à sa veuve; on devait à sa veuve une pension, on ne la lui donna pas. Dumas père, Napoléon Bonaparte,1831, préf. p. 2.
Loc. proverbiales. Devoir plus d'argent qu'on n'est gros, (vx) de l'argent plus qu'on n'est gros. Devoir énormément d'argent (cf. Hautel t. 1 1808). Qui terme a ne doit rien. L'acquittement d'une dette n'est pas exigible avant le terme fixé. Le prix!... c'est une affaire que vous réglerez plus tard!... qui a terme ne doit rien (Dumas père, Intrigue et amour,trad. de Schiller, 1847, III, 1, p. 244).
SYNT. Devoir des mille et des cents, des sommes folles, plus qu'on ne peut payer.
[le dédommagement que l'on est tenu d'acquitter] Devoir réparation. Devoir une somme d'argent en compensation d'un dommage que l'on a causé. Le dommage dont il sera dû réparation.
[P. méton. du nom obj.]
[Un obj. au règlement duquel on n'a pas encore satisfait] :
2. Fantine fut atterrée. Elle ne pouvait s'en aller du pays, elle devait son loyer et ses meubles. Cinquante francs ne suffisaient pas pour acquitter cette dette. Hugo, Les Misérables,t. 1, 1862, p. 223.
[la durée d'échéance d'une dette] :
3. ... on devait plus de quinze jours à Lestiboudois, deux trimestres à la servante, quantité d'autres choses encore, et Bovary attendait impatiemment l'envoi de M. Derozerays, qui avait coutume, chaque année, de le payer vers la Saint-Pierre. Flaubert, Madame Bovary,t. 2, 1857, p. 28.
β) En emploi abs. Être obéré d'une ou de plusieurs dettes d'argent. Ils [Paul et sa femme] devaient partout dans le quartier (Maupass., Une Vie,1883, p. 248).Et l'embêtant, dans la vie, vois-tu, ça n'est pas de devoir, c'est de payer (Toulet, J. fille verte,1918, p. 269):
4. [Gobseck :] − Si le roi me devait, madame, et qu'il ne me payât pas, je l'assignerais encore plus promptement... Balzac, Gobseck,1830, p. 394.
SYNT. Devoir partout, de tous les côtés, dans tout le quartier.
Loc. Devoir de reste. Avoir à acquitter un surplus de dette. Au fig., proverbial, vx. Il croit toujours qu'on lui en doit de reste. Il n'est jamais satisfait de ce qu'on fait pour lui (cf. Hautel t. 1 1808).
Loc. et proverbes, souvent au fig., vieillis. Devoir à Dieu et à Diable, à Dieu et au monde, au tiers et au quart, de tous côtés, à tout le monde. Être criblé de dettes (cf. Hautel t. 1 1808 et Ac. 1878).Qui doit a tort. Le tort est toujours du côté du débiteur (cf. Hautel t. 1 1808 et Ac. 1878).Quand on doit, il faut payer ou agréer. S'acquitter en espèces ou, à défaut, en bonnes paroles, en promesses (Ac. 1878). Qui nous doit nous demande. ,,Se dit lorsqu'on a sujet de se plaindre de la personne même qui se plaint`` (Ac. 1878). En devoir à qqn. L'avoir offensé et s'exposer à une vengeance (cf. Hautel t. 1 1808 et Ac. 1878).N'en devoir guère. Ne pas céder, en qualité, à quelqu'un ou à quelque chose (cf. Ac. 1878). Ils ne s'en doivent guère. Sous le rapport des défauts ils se valent (Ac. 1878).
γ) [À la forme passive; le compl. d'obj. devenu suj. désigne]
[la somme que l'on est tenu d'acquitter, l'obj. dont le montant est à acquitter] [Cession] faite à un créancier en paiement de ce qui lui est dû (Code civil,1804, art. 1701, p. 310).Il a beau refuser à son père la moindre reconnaissance, trouver que cette pension lui est bien due (Nizan, Conspir.,1938, p. 109):
5. Il faut que vous sachiez qu'en demandant le bouton au duc de Brécé, vous ne ferez que réclamer ce qui m'est dû... parfaitement... ce qui m'est dû. France,L'Anneau d'améthyste,1899,p. 131.
[qqn dont la pers. physique est tenue comme servant à l'acquittement d'une dette symbolique] Au fig. :
6. Une quantité de Socrates est née avec moi, d'où peu à peu se détacha le Socrate qui était dû aux magistrats et à la ciguë. Valéry, Eupalinos,1923, p. 96.
b) [L'obj. de la créance est autre chose que de l'argent; en parlant d'une pers.] Être tributaire d'une chose dont la morale, l'usage exigent que l'on s'acquitte.
α) [En constr. double] Devoir qqc. à qqn.Vous me devez une explication. La Comtesse. − Vous l'aurez. Nous l'aurons tous (Anouilh, Répét.,1950, III, p. 66).Je parlais peu, me réfugiant derrière le prétexte du rapport que je devais d'abord à la Seigneurie (Gracq, Syrtes,1951, p. 312):
7. − Tu sais, dit-il, je te dois des excuses pour hier soir. Je t'ai frappé bien malgré moi, je voulais t'empêcher de me faire une confidence que tu regretterais ensuite et dont tu me tiendrais rigueur, peut-être. Green, Moïra,1950, p. 147.
Locutions
Devoir une belle, une fière chandelle à qqn (p. allus. au fait d'offrir un cierge en vue d'appeler une bénédiction sur la pers. à qui l'on est redevable de qqc.). Cf. chandelle B 2.
Je lui dois bien ça (fam.). Il mérite cela pour le bienfait qu'il m'a témoigné. Tu dois bien ça à tes hommes. Tu les fais assez marcher depuis un mois (Maupass., Contes et nouv.,t. 2, Rois, 1887, p. 1293):
8. L'assassin lui donne la cigarette et la victime dit Je vous en prie c'est la moindre des choses dit l'assassin je vous dois bien ça... Prévert, Paroles,Événements, 1946, p. 58.
β) En emploi abs. Ainsi que dû (cf. dû, due).
SYNT. a) Libres (le compl. est déterminé par un article). Devoir des égards, des excuses, de la gratitude, de la reconnaissance, des remerciements à qqn; je vous dois cet avis, cette justice; le respect dû à sa personne; la justice qui lui est due; l'obéissance due à l'Église, etc. b) De caractère locutionnel (le compl. n'est pas déterminé par un article). Devoir compte de qqc. (en fournir l'état, la raison); je vous dois compte de sa conduite; devoir obéissance, protection, réparation à qqn.
[P. personnif. du suj. désignant l'œuvre ou l'expression de la volonté de pers. morales] Être tenu à. La loi doit protection à la veuve et à l'orphelin.
[En ce sens l'obj. du verbe peut être de + inf.] Devoir à qqn de + inf.J'ai cru vous devoir, monsieur, lui répondis-je [au ministre] de vous écouter en silence (Constant, Adolphe,1816, p. 68).
Rem. Vouloir est associé à devoir dans la mesure où ce verbe, exprimant une intention délibérée, ne marque pas cependant que l'obj. soit matière d'une obligation. Oui, je vais vous aimer, je le veux (je le dois En outre) (Verlaine, Œuvres compl., t. 1, Jadis, 1884, p. 327).
2. [Le compl. d'obj. désigne ce qui motive une obligation à laquelle le suj. est tenu vis-à-vis de qqn ou de qqc.] Être redevable de quelque chose à quelqu'un ou à quelque chose, tenir quelque chose par son action, initiative, entremise, etc.
a) Devoir qqc. à qqn.
α) [Le suj. désigne une pers. ou une collectivité] Il lui doit tout; il veut ne rien devoir à personne. Je t'ai pris au soleil aussi nu qu'un reptile; C'est à moi que tu dois pain, vêtements, asile, Esclave (Dumas père, Charles VII,1831, I, 1, p. 235).Le riche cousin à qui papa devait sa situation organisa une fête pour ses enfants et leurs amis (Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 103):
9. ... Quand j'étais en province au lycée [dit le malade au docteur citoyen] (...) un professeur âgé, blanc, honorable (...) nous enseignait. Nous lui devons plus pour nous avoir donné l'exemple d'une longue et sérieuse vie universitaire que pour nous avoir préparés patiemment au baccalauréat. Péguy, De la Grippe II,1900, p. 6.
Loc. verbale. Devoir la vie à qqn.
Avoir reçu la vie de, être né de quelqu'un. Et tu veux que j'hésite et que je sois avare De mes jours, que je dois aux ombres du Ténare? (Moréas, Iphigénie à Aulis,1903, p. 251).
Avoir été sauvé par quelqu'un. Da Silva. − Mieux valait mourir que de devoir la vie à cet homme (Dumas père, Darlington,1832, prol., p. 20):
10. don fernando. − Qu'est ceci? Rodrigo, seul! Qu'y a-t-il? don rodrigo. − Une chute malheureuse, un malheureux échec! Mais tout est malheur, et par-dessus tout que je doive la vie au rival dont je veux la mort. Camus, Le Chevalier d'Olmedo,1957, 3ejourn., 8, p. 793.
SYNT. Devoir son existence à, sa fortune à, le jour à, sa naissance à, son origine à, sa situation à.
β) [Le suj. désigne une chose] Au fig. Devoir son nom à, son succès à (qqn ou qqc.). Qui peut dire ce que le chauvinisme et le militarisme français doivent à Corneille, Béranger, Hugo, Déroulède? (Aymé, Confort,1949, p. 19).Et cet instinct d'ordre, de mesure, ce refus des extrêmes, que je dois à mon hérédité (Martin du G., Souv. autobiogr.,1955, p. LXXX):
11. L'on sert d'abord une soupe grasse, qui diffère de la nôtre en ce qu'elle a une teinte rougeâtre qu'elle doit au safran dont on la saupoudre pour lui donner du ton. Gautier, Tra los montes,Voyage en Espagne, 1843, p. 23.
Spéc., à la forme passive. [Le verbe exprime une relation de conséquence à cause] Être dû à. Être causé par, provoqué par :
12. En outre, elles refusent d'avoir des enfants. Leur carence est due à leur éducation, au féminisme, à un égoïsme mal compris. Elle est due aussi aux conditions économiques, à l'instabilité du mariage, à leur déséquilibre nerveux... Carrel, L'Homme, cet inconnu,1935, p. 363.
b) [L'obj. désigne un procès] Être redevable (en bonne ou en mauvaise part).
Devoir à qqn de + inf. :
13. ... le vieux bonhomme [Renan] à qui je dois d'avoir appris beaucoup de choses avec plaisir et facilité. C'était un professeur de génie; il avait le don de communiquer son savoir avec la simplicité d'une source qui se laisse couler. Green, Journal,1949, p. 302.
Devoir à qqc. de + inf.Mais ils devaient à leur origine parisienne (...) de partager avec leurs concitoyens le préjugé, presque la vénération du Théâtre (Verlaine, Œuvres compl.,t. 4, L. Leclercq, 1886, p. 95).C'est à ma mauvaise chance que je dois d'en être là (Camus, Dév. croix,1953, 1rejourn., p. 537):
14. ... ce sont les maîtres que j'ai fréquentés aux Chartes qui m'ont révélé ce que sont, chez un chercheur scrupuleux, la conscience scientifique et les exigences de l'honneur professionnel. (...). Un tel contact m'a pour toujours marqué. Je dois à leur exemple de m'être perpétuellement défié des besognes impromptues. Martin du Gard, Souvenirs autobiographiques,1955, p. LI.
B.− Emploi pronom.
1. Pronom. réfl.
a) Réfl. dir. Être tenu de se dévouer à (quelqu'un ou quelque chose). Vous vous devez à Camille qui vous adore (Balzac, Béatrix,1839-45, p. 185).Désormais les Français ne s'appartiennent plus; ils se doivent à la révolution qui va changer le monde (France, Étui nacre,Aube, 1892, p. 250):
15. ... la France de demain sera au premier rang des nations qui sont grandes et qui se doivent d'autant plus au droit et à la liberté de tous. De Gaulle, Mémoires de guerre,1956, p. 516.
SYNT. Se devoir aux siens, à sa famille, à sa patrie; se devoir à son travail, à sa tâche.
b) Réfl. indir.
α) [Le compl. d'obj. (subst. ou pron.), construit directement, désigne ce que l'on est tenu de faire sien en vertu de la morale ou de l'usage] Le roi ne manqua certes à rien de ce qu'il se devait à lui-même (Balzac, Cath. de Médicis, Introd., 1843, p. 40).Les noirs ne plaisent jamais aux blanches, et, quoique ma fille ne soit pas créole, elle a les principes qu'elle se doit (Sand, M. Sylvestre,1866, p. 54):
16. J'ai restitué la visite par billet, sans demander s'il y était, mais en personne; c'est un mezzo termine qui accorde ce qu'on doit avec ce qu'on se doit. J. de Maistre, Correspondance,1811-14, p. 3.
β) [Pour désigner ce que l'on se croit tenu d'accomplir en vertu de la morale ou de l'usage]
Se devoir + de + inf.Il [l'Opéra] se doit à lui-même d'étendre et de varier un répertoire lamentablement insignifiant (P. Lalo, Mus.,1899, p. 304).On veut que je sois l'ennemi de Claudel. Qu'il se doive d'être le mien, ce n'est pas du tout la même chose (Gide, Ainsi soit-il,1951, p. 1223):
17. Alors, (...) songeant qu'il se devait de prendre seul désormais le soin de ses habits, dont il s'était remis jusqu'à ce jour à madame Bergeret, il alla droit chez le savetier. France, Le Mannequin d'osier,1897, p. 129.
2. Pronom. réciproque indir. Être tenu mutuellement à (quelque chose) (en parlant de deux ou plusieurs personnes). Les époux se doivent assistance et fidélité. Mon Dieu! Je ne dis pas, je ne me fais pas meilleur qu'un autre. Mais on se doit des honnêtetés entre camarades, quand on n'est pas des sauvages, et un petit verre par-ci par-là, ça ne fait de tort à personne (Bloy, Femme pauvre,1897, p. 27):
18. Les hommes (...) sont tous, les uns à l'égard des autres, dans un état de société mutuelle, qui met, entre eux tous, des rapports de service, d'affection, de dépendance : unique raison, non seulement de l'assistance réciproque, mais même des signes extérieurs d'honnêteté et de bienveillance que les hommes se doivent les uns aux autres dans le commerce de la vie. Bonald, Législ. primitive,t. 2, 1802, p. 67.
3. Pronom. passif. [Le suj. est un pronom neutre ou le mot chose avec un sens équivalent] Être dû. C'est une chose qui se doit; ce qui se doit. Comme il se doit. Comme il convient, comme il le faut. Comme il se doit dans la bonne société française, les hommes parlaient entre eux (Aragon, Beaux quart.,1936, p. 411).Mes amitiés sont demeurées aussi chastes qu'il se devait (Gide, Ainsi soit-il,1951, p. 1242).Fam. Comme cela devait arriver.
Ça se doit (fam.). C'est une chose due (pour respecter les convenances). Et ça coûte pas beaucoup, les grand'mercis, et ça montre qu'on est bien élevé, et puis ça se doit (Giono, Regain,1930, p. 210):
19. Ce bain [à Mayence] m'avait rendu faible, et je sentais toutes mes fatigues, sans compter les plus atroces douleurs, que j'ai décrites à Nacquart-Esculape, et qui m'ont fait revenir dare dare à Paris, ne voulant être tué que de sa main. Cela se doit. Balzac, Lettres à l'Étrangère,t. 2, 1850, p. 244.
Ça ne se doit pas (fam.). Cela ne se fait pas. Les maires de Couches, de Cerneux et de Soulanges nous ont envoyé leurs pauvres, dit Groison, qui avait vérifié les certificats, ça ne se devait pas (Balzac, Paysans,1850, p. 354):
20. ... elle [ma grand'tante] qui brouillée depuis des années avec une nièce à qui elle ne parlait jamais ne modifia pas pour cela le testament où elle lui laissait toute sa fortune, parce que c'était sa plus proche parente et que cela « se devait ». Proust, Du côté de chez Swann,1913, p. 93.
II.− Devoir, auxil. de mode. Devoir + inf., périphrase verbale de mode ou de temps.
A.− Devoir + inf. a une valeur modale; devoir explicite une nécessité plus ou moins pressante à laquelle sont soumis et l'agent d'un procès et le procès lui-même (à la différence de falloir, impersonnel, dont la modalité n'affecte que le procès).
1. La modalité affecte l'agent (explicite ou implicite) du procès; elle définit sa situation, son état, par rapport à l'action exprimée par l'infinitif; devoir traduit ainsi
a) une nécessité inéluctable à laquelle le sujet est soumis, indépendamment de sa volonté, en vertu de l'ordre des choses ou de la pression des circonstances. Tout doit sur terre mourir un jour. Synon. être dans la nécessité de, être obligé de, être contraint à, en être réduit à; il faut (que).En continuant tout droit sa descente, elle devait nécessairement rejoindre la route de Dombasles, presque parallèle à celle qu'elle venait de quitter (Bernanos, Mauv. rêve,1948, p. 1013).Le cœur lui battait si fort qu'il dut s'arrêter pour reprendre haleine (Green, Moïra,1950, p. 247):
21. ... on prit l'habitude, (...), de se sacrifier pour quelque chose dont on ne savait rien, sinon qu'il fallait mourir pour qu'elle soit. Jusque-là, ceux qui devaient mourir s'en remettaient à Dieu contre la justice des hommes. Camus, L'Homme révolté,1951, p. 207.
Loc. usuelle. Cela (ça) devait arriver; cela (ça) devait finir comme cela (ça). C'était inéluctable, inévitable.
[l'agent est implicite] Un chemin dut être frayé → on dut frayer un chemin.
Rem. Il a dû partir ayant d'autre part le sens de « il est vraisemblable qu'il est parti » (cf. infra I A 2), on recommande, pour prévenir une ambiguïté éventuelle, d'utiliser être obligé de (il fut obligé de partir) quand une nécessité est en cause; la restriction ne porte que sur l'emploi du passé composé.
SYNT. Devoir forcément, immanquablement, inévitablement, infailliblement, nécessairement (+ inf.).
b) une obligation, non nécessairement contraignante, à laquelle le sujet est et se sent soumis en vertu d'un principe moral ou d'une règle tirée de l'expérience.
α) À la forme active. [L'agent est explicite] Les enfants doivent obéir à leurs parents; les choses qu'on doit savoir. « Fais ce que tu veux, tu es assez grand pour savoir ce que tu dois faire » (Proust, Guermantes 2,1921, p. 347).La Sœur Angélique. − Les hommes qui nous persécutent doivent être l'objet spécial de notre tendresse et de nos prières (Montherl., Port-Royal,1954, p. 1040):
22. « ... En attendant, aussi longtemps que mon vote n'aura pas réussi à chasser du pouvoir ceux qui, jusque-là, y représentent la volonté du plus grand nombre, (...), mon devoir est simple. Et indiscutable. Je suis engagé par le pacte social. Je dois plier. Je dois obéir. » Martin du Gard, Les Thibault,L'Été 1914, 1936, p. 532.
23. ... une dame « comme il faut » ne devait ni se décolleter abondamment, ni porter des jupes courtes, ni teindre ses cheveux, ni les couper, ni se maquiller, (...) si elle transgressait ces règles, elle avait mauvais genre. Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 82.
Rem. En constr. littér. archaïsante, le pron. réfl. peut précéder l'auxil. Qu'est-ce que vous m'enseignez? Que chacun pour son compte se doit tirer d'affaire! (Barrès, Déracinés, 1897, p. 478).
Loc. proverbiale. Fais ce que dois (advienne que pourra). Agis comme tu dois le faire, en conscience :
24. Heurtebise ne t'écarte Plus de mon âme, j'accepte; Fais ce que dois, beauté. Cocteau, Poèmes,1916-23, p. 220.
β) À la forme passive. [L'agent est implicite] La vérité doit être cherchée → on doit chercher la vérité. Les tensions entre quantités désirées et quantités effectives, qui sont, en fin de compte, les moteurs de la croissance et du progrès, ne peuvent ni ne doivent être éliminées mais aménagées (Perroux, Écon. XXes.,1964, p. 552).
γ) À la forme négative. [Pour exprimer une défense, une interdiction] Synon. ne pas avoir le droit, la permission de.Elle ne devait recevoir aucune visite : si la fièvre ne tombait pas, elle était perdue (Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 357):
25. ... à mon approche, ils [mes parents] baissaient la voix ou se taisaient. Il y avait donc des choses que j'aurais pu comprendre et que je ne devais pas savoir : lesquelles? Pourquoi me les cachait-on? Beauvoir, Mém. j. fille,1958p. 23.
[Ou pour exprimer une obligation, à la forme négative → je ne dois pas + inf.] Non, ma sœur, je crois que je ne dois pas le dire. C'est si vilain, de dénoncer (Montherl., Port-Royal,1954, p. 985).
Assoc. paradigm. En ce sens, devoir est associé à pouvoir dans la mesure où ce verbe traduit
soit une puissance, c'est-à-dire la disposition de moyens propres à réaliser la chose que le sujet doit accomplir. Pouvoir et devoir. − Je manque de courage, gémit-il. Je devrais te parler, mais je ne peux pas (Green, Moïra,1950, p. 82).
soit une éventualité non soumise nécessairement à une obligation. Pouvoir ou devoir. En préparant la guerre, en réarmant, elle [l'avarice des nations] touche pour une œuvre de mort, aux procédés mêmes qu'elle pourrait et devrait employer à l'œuvre de vie (Perroux, Écon. XXes.,1964, p. 355).
c) une intention délibérée du suj.; celui-ci affecte son projet d'un caractère accusé de certitude. Synon. penser, avoir l'intention de; c'est dans son intention (que) de.
À l'actif. [L'agent est explicite] La moisson doit commencer bientôt → on doit bientôt commencer la moisson. Vous feriez peut-être mieux de me laisser me coucher maintenant. Je dois me lever tôt demain pour les enfants (Anouilh, Répét.,1950, IV, p. 101).Cette semaine, je dois aller à Cape Cod chez des amis, j'ai promis (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 309):
26. tello. − Nous avons trop attendu. Il est dangereux maintenant de prendre la route. don alonso. − Non, Tello. Je dois partir malgré l'heure. Je veux épargner toute inquiétude à mes parents. Camus, Le Chevalier d'Olmedo,1957, 3ejournée, 10, p. 796.
Rem. 1. L'auxil. peut dans ce cas être synon. de il est convenu que, et se rapproche d'un ordre. J'ai fini par m'adresser à l'association des hôtels. Je dois les rappeler un peu plus tard (Beauvoir, op. cit., p. 313). 2. En ce sens, dans le discours dir., devoir ne s'emploie qu'au prés. (je dois y aller) ou à l'imp. (je devais y aller); dans le discours indir. le verbe s'emploie à l'imp. (il devait y aller). a) [Style indir.] Il travaillait à ce motet qu'on devait jouer à la fête de Mmed'Épinay le mois suivant (Guéhenno, Jean-Jacques, Roman et vérité, 1950, p. 200). Je croyais que vous deviez travailler à votre livre ce matin (Camus, Possédés, 1959, 1repart., 1ertabl., p. 927). b) [Style indir. libre] Anne ne devait pas arriver avant une semaine. Je profitais de ces derniers jours de vraies vacances (Sagan, Bonjour tristesse, 1954, p. 22).
d) une convenance de caractère social, de nécessité pratique, à laquelle le suj. se sent soumis. Vous devriez dormir, à l'heure qu'il est; vous auriez dû y penser plus tôt. Il [Berryer] m'a dit que je devais l'aller trouver à la campagne quelquefois; je l'aime beaucoup (Delacroix, Journal,1853, p. 140).
α) [avec une nuance de conseil, de suggestion, d'invitation; souvent au cond. prés.] C'est vrai qu'elle a l'air triste. Vous devriez l'inviter à danser (Beauvoir, Mandarins,1954p. 54).
β) [avec une nuance de reproche, de regret; au cond. passé] Vous auriez dû me dire que je devais les mettre en ordre (Gide, Ansi soit-il,1951, p. 1208).
Rem. On rencontre l'emploi class. de l'imp. de l'ind. pour le cond. passé. Argante. − Il devait donc aller aussitôt protester de violence chez un notaire. Scapin. − C'est ce qu'il n'a pas voulu faire. Argante. − Cela m'aurait donné plus de facilité à rompre ce mariage (Claudel, Raviss. Scapin, 1952, p. 1324).
γ) [Dans des formules locutionnelles de politesse (affirmation atténuée : je dois avouer = j'avoue (que)] Je dois dire, je dois reconnaître (que), j'en dois convenir. « Je dois dire que les voyages, ça me semble un mythe », dit Paule (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 15):
27. l'abbé. − (...). Je dois dire que je viens de trouver Sevrais très compréhensif. Je redoutais un éclat. Comme il est agréable de se trouver devant quelqu'un d'intelligent! Alors les choses s'arrangent toujours. Montherlant, La Ville dont le prince est un enfant,1951, p. 919.
e) une capacité, logiquement ou naturellement prévisible, que l'on prête au sujet. Synon. être en état de, être en mesure de, avoir la capacité de :
28. Un observateur initié aux secrets des discordes civiles qui agitaient alors la France aurait pu facilement reconnaître le petit nombre de citoyens sur la fidélité desquels la République devait compter dans cette troupe... Balzac, Les Chouans,1829, p. 6.
2. La modalité affecte le procès; par le moyen de cette périphrase l'auteur du propos traduit l'aspect sous lequel la réalisation d'un procès est conçue par lui.
a) [La réalisation du procès est envisagée sous l'aspect d'une nécessité ou d'une obligation inhérente] Ça devait (doit, devra, devrait) arriver un jour ou l'autre. − Nous nous sommes disputés et je l'ai poussé à bout. − Ça devait finir comme ça! (Beauvoir, Mandarins,1954p. 485).Au fond la meilleure garantie qu'une chose doive arriver, c'est qu'elle nous apparaisse vitalement nécessaire (Teilhard de Ch., Phénom. hum.,1955, p. 259):
29. − Fichu malagauche, dit Croquebol, comment diable qu't'as fait ton compte? − Eh! Je l'sais t'y! gémit l'infortuné. Ah misère! pourriture de sort; ça d'vait finir comme ça, vois-tu, nous avions eu trop de malheur! Courteline, Le Train de 8 h 47,1888, 2epart., 8, p. 192.
Rem. 1. Cette modalité est fréq. traduite au moyen de la tournure impers. il doit. Il doit se passer qqc.; il devait bien y avoir qqn qui le savait. Ou se prosterner le front contre la dalle, comme il se doit faire au moment de l'élévation du sacré corps de Jésus-Christ (France, Puits ste Claire, 1895, p. 131). Sur le balcon, je trouvai une porte vitrée abritée par un store jaune : ça devait être là (Beauvoir, Mandarins, 1954, p. 303). 2. En ce sens le caractère de nécessité ou d'obligation peut être souligné par un adv. (cf. supra I A 1). En peignant le recteur tel qu'il a dû certainement être (Lamennais, Lettres Cottu, 1830, p. 217).
b) La réalisation du procès est envisagée sous l'aspect d'une éventualité hypothétique
α) après la conj. si. Si cela doit (devait) se produire un jour. Je les en ferai sortir, même si je devais mettre le feu (Camus, Esprits,1953, p. 465).
ou après quoique, bien que, quelque ... que [Pour exprimer le fut. au subj.] :
30. la sœur angélique. − Quelque traitement que nous devions souffrir par la puissance séculière, ce nous sera une consolation, Monseigneur, si notre sang ne retombe pas sur vous. Montherlant, Port-Royal,1954, p. 1028.
β) après la conj. quand, quand même, quand bien même suivie du cond. Quand je devrais y laisser des plumes. « Quand je devrais m'user les doigts jusqu'aux jointures à essuyer les plats... » (Green, Moïra,1950, p. 185).Je vais enlever ce baudrier quand même je devrais grelotter (Camus, Dév. croix,1953, p. 583).
γ) En partic., littér. [Au subj. imp. avec l'inversion du suj.] Dussé-je, dût-il, dussent... Synon. quand (bien) (même) (suivi du cond.).Dussé-je en mourir :
31. Oh! dussé-je, coupable aussi moi d'innocence, Reprendre l'habitude austère de l'absence, Dût se refermer l'âpre et morne isolement, Dussent les cieux, que l'aube a blanchis un moment, Redevenir sur moi dans l'ombre inexorables, Que du moins un ami vous reste, ô misérables! Hugo, L'Année terrible,1872, p. 329.
Rem. Le tour littér. dût + inf. ne se rencontre guère que dans la lang. écrite avec une valeur oratoire ou, parfois, comme recours plaisant à un archaïsme. Dût rugir de honte le canon, Te voilà, nain immonde [Napoléon III], accroupi sur ce nom [Napoléon Ier]! (Id., Châtim., 1853, p. 291).
c) La réalisation du procès est envisagée sous l'aspect d'une éventualité qui s'est trouvée effectivement réalisée. C'était l'homme le plus grand par l'intelligence que j'eusse connu et que je dusse connaître durant ma longue vie (France, Vie fleur,1922, p. 927).
Rem. Dans cette phrase la relation entre pouvoir implicite (que j'eusse connu = que j'aie pu connaître) et un devoir marquant une obligation se retrouve en A 1.
d) La réalisation du procès est envisagée sous l'aspect de la probabilité; elle est présentée comme vraisemblable soit en raison d'indices sûrs, soit en vertu d'une opinion raisonnable fondée sur l'expérience. Les choses ont dû se passer comme ça; je dois m'être trompé; ça doit venir du foie. Dora, (...). − Assieds-toi, Stepan. Tu dois être fatigué, après ce long voyage (Camus, Justes,1950, p. 309).Ce sont des noyaux instables qui devaient vraisemblablement exister au moment des bouleversements cosmiques accompagnant la formation du système solaire (Goldschmidt, Avent. atom.,1962, p. 20):
32. Les rêves dans Aurélia doivent être rarement identiques à ceux dont le sommeil de Nerval était rempli. Ils m'apparaissent presque toujours comme l'interprétation de ces rêves par la rêverie, la méditation et l'art. Durry, Gérard de Nerval et le mythe,1956, p. 143.
En partic.
[Pour exprimer une déduction] Mon arrière-grand-père, (...) dut léguer à ses fils une honnête fortune puisque le cadet put vivre de ses rentes (Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 34):
33. Ah! ça, elle est donc bien riche, mon garçon? dit le vieux vigneron en se rapprochant de son fils d'un air câlin; car si tu épouses une fille de l'Houmeau, elle doit en avoir des mille et des cent! Balzac, Les Illusions perdues,1843, p. 126.
[Pour exprimer une estimation approximative] Je devais avoir à peu près quatorze ans lorsque je fis la connaissance de l'« horreur » (Gide, Ainsi soit-il,1951, p. 1163).Les cigales chantaient. Elles devaient être des milliers (Sagan, Bonjour tristesse,1954, p. 17):
34. Si certaines mesures (encore indirectes, il est vrai) sont admises comme correctes, c'est par millions peut-être que doivent s'estimer les poids moléculaires de certaines substances protéiques naturelles, telles que les « virus »... Teilhard de Chardin, Le Phénomène humain,1955, p. 83.
Rem. Noter l'équivalence entre je dois m'être trompé et j'ai dû me tromper.
En partic. [Formule de politesse, pour atténuer la brutalité d'une affirmation désagréable] Vous devez vous tromper; vous devez faire erreur. − Il doit y avoir une erreur dans vos calculs (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 231).
B.− [Devoir + inf. a une valeur temporelle (et modale)]
1. [Pour exprimer la relation historique de faits passés (discours d'où l'emploi du fut. est exclu)]
La réalisation d'un procès ayant été effective (et pouvant comme telle être exprimée simplement par un verbe à un temps personnel), la périphrase marque
a) que le procès a eu lieu postérieurement à un point du passé pris comme repère. Le ministère obtint la confiance à une voix de majorité. « Encore, devait me dire plus tard M. Herriot (...) je ne suis pas très sûr qu'il l'ait eue » (De Gaulle, Mém. guerre,1954, p. 25).
b) que la réalisation du procès était soumise à une sorte de nécessité-fatalité. Clérambard. − En 1182, naissait à Assise celui qui devait être saint François (Aymé, Cléramb.,1950, I, 10, p. 62):
35. Jésus paraît être resté étranger à ces raffinements de théologie qui devaient bientôt remplir le monde de disputes stériles. Renan, Hist. des orig. du Christianisme,Vie de Jésus, 1863, p. 239.
Rem. 1. Comparer qui remplirent bientôt : énonciation pure et simple du fait; qui rempliraient bientôt; qui allaient bientôt remplir : la périphrase verbale aller + inf. ne marque que la postériorité prochaine du procès; devoir ajoute à l'éventuel la nuance que ces disputes étaient inéluctables. 2. La périphrase devoir + inf. reste de mise dans les phrases où la relation est faite au prés. historique. Cette scarlatine qui devait, peu de jours après, l'emporter (Gide, Ainsi soit-il, 1951, p. 1209).
2. [Pour exprimer le fut. proche ou immédiat, notamment avec les auxil. sembler, paraître] Il doit venir demain, d'un moment à l'autre. La nuit semblait devoir ne pas finir (Gracq, Syrtes,1951, p. 232).Il n'est pas prouvé que le monde doive devenir américain ou russe (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 35):
36. Ce nom de révolution auquel l'aventure hitlérienne ne peut prétendre, le communisme russe l'a mérité, et quoiqu'il ne le mérite apparemment plus, prétend devoir le mériter un jour, et à jamais. Camus, L'Homme révolté,1951, p. 232.
Rem. Dans ces cas, la valeur temporelle est presque toujours renforcée par un adv. de temps : bientôt, demain, incessamment, d'un jour à l'autre, prochainement, etc.
En partic. [Au cond., avec idée de probabilité et de nécessité] :
37. − (...) Monsieur Prial, Soubrier sort de chez moi à l'instant. Je l'ai envoyé se débarbouiller à la fontaine. Il devrait être rentré en étude dans huit, dix minutes au plus tard. Vous noterez exactement, je vous prie, l'heure à laquelle il est rentré. Merci. Montherlant, La Ville dont le prince est un enfant,1951, I, 2, p. 863.
3. [Dans l'énoncé d'une vérité gén.] :
38. ... devenir consiste plutôt à devoir être l'autre, (...) à couver l'être futur; promesse ou espoir, être et non-être à la fois, le devenir est un être en instance d'avenir. Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien,1957, p. 27.
Prononc. et Orth. : [d(ə)vwa:ʀ], (je) dois [dwa]. Ds Ac. 1694-1932. Homon. devant (prép.), dois, doit, doigt. Étymol. et Hist. A. Devoir + inf., rôle d'auxil. 1. 842 marque l'obligation, la nécessité (Serments de Strasbourg ds Henry, p. 1 : dift [3epers. du sing. de l'ind. prés.]); fin xes. deveir (Passion de Clermont, ibid., p. 4, 33); 2. ca 1050 marque le futur (Alexis, éd. Chr. Storey, 279); 3. ca 1100 devoir marque la probabilité (Roland, éd. J. Bédier, 389 : Li soens orgoilz le devreit bien confondre); 4. id. marque un souhait (ibid., 1149 : Li emperere nos devreit bien venger); 5. id. marque l'intention (ibid., 333). B. Devoir + compl. d'obj. dir. ca 1155 « être tenu, légalement ou moralement, de donner ou de restituer quelque chose à quelqu'un » (Wace, St Nicolas, éd. E. Ronsjö, 808); av. 1188 « être redevable de quelque chose » (Partonopeus de Blois, éd. J. Gildea, 6891). C. Devoir (à qqn ou à qqc.) de + inf. 1784 « être redevable de » (Beaumarchais, Mère coupable, I, 8 ds Littré). Du lat. class. debĕre, de mêmes sens. Bbg. Cohen 1946, p. 24, 35. − Cornulier (B. de). Sur une règle de déplacement de négation. Fr. mod. 1973, t. 41, pp. 44-56; 1974, t. 42, p. 213. − Gottsch. Redens. 1930, p. 218, 352. − Henkel (W.), Muller (C.). [À propos de l'emploi du verbe devoir]. Praxis. 1969, t. 16, no4, pp. 453-454. − Huot (H.). Le Verbe devoir. Paris, 1974, passim.Miljukova (G. V.). On one meaning of the combination « devoir + inf. ». In : KOORDINACIONNOE SOVES̆C̆ANTE PO SRAVNITEL'NOMU I TIPOLOGIC̆ESKOMU IZUC̆ENIJU ROMANSKIH JAZYKOV. Leningrad, 1964. − Todorov (C.). La Hiérarchie des liens ds le récit. Semiotica. 1971, t. 3, no2, pp. 121-139.

DEVOIR2, subst. masc.

A.− Au sing. princ. Impératif de conscience, considéré dans sa généralité, qui impose à l'homme − sans l'y contraindre nécessairement − d'accomplir ce qui est prescrit en vertu d'une obligation de caractère religieux, moral ou légal. Le droit et le devoir; le sentiment du devoir; accomplir son devoir. Synon. obligation, impératif, loi (morale).Le devoir, fils du droit, sous nos toits domestiques Habite comme un hôte auguste et sérieux (Hugo, Voix intér.,1837, p. 206).La victoire cornélienne du devoir sur la passion (Choizy, Psychanal.?1950, p. 12).Le sentiment austère et noble du devoir dignement accompli (Gide, Ainsi soit-il,1951, p. 1226):
1. Issue d'une austère bourgeoisie qui croyait fermement en Dieu, au travail, au devoir, au mérite, elle exigeait qu'un écolier remplît parfaitement ses tâches d'écolier : chaque année Georges remportait au collège Stanislas le prix d'excellence. Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 35.
SYNT. La conscience, le sens du devoir; agir par devoir, selon son devoir; la satisfaction du devoir accompli (lieu commun).
Rem. Infra rem. B 1 d.
P. compar. Et il restait debout dans l'encadrement de la porte, rigide et grand comme le devoir (A. Daudet, Tartarin de T.,1872, p. 43).
Homme, femme de devoir. Dont la conduite, en toutes circonstances, est dictée par le sentiment du devoir :
2. Homme de travail, il [le maître de café] est à l'œuvre de six heures du matin à minuit; homme de devoir, (...) il a écumé sur sa bière un très-beau pâturage où ses vieux parents goûtent les joies d'une vie pure... Veuillot, Les Odeurs de Paris,1866, p. 158.
Devoir de conscience. Obligation dictée par la conscience morale. Votre Altesse Royale accueillera-t-elle la prière d'un inconnu pour un inconnu? Je n'ose l'espérer; cependant je croirai avoir rempli mon devoir de conscience en essayant (Hugo, Corresp.,1848, p. 543).Permettez-moi de remplir auprès de vous, dans l'intérêt d'un homme trop longtemps privé de sa liberté, un devoir de conscience et d'honneur (Chateaubr., Mém.,t. 4, 1848, p. 100).
Morale du devoir. Morale d'inspiration stoïcienne définie en termes de devoir, d'obligation, de préceptes. Le ministère a inventé une morale nouvelle, la morale des intérêts; celle des devoirs est abandonnée aux imbéciles (Chateaubr., Mém.,t. 3, 1848, p. 31).
Devoir (kantien). Tel que la notion en a été définie par Kant. Devoir catégorique (cf. catégorique A 2 b).L'idée du devoir est le centre de la morale de Kant, et sa morale est le centre de sa philosophie (Cousin, Philos. Kant,1857, p. 17).
P. méton. Celui, celle dont le ressort principal est la conscience du devoir. Être le Devoir en personne, être l'incarnation du Devoir :
3. Je suis celui que rien n'arrête, (...) Je suis le poëte farouche, L'homme devoir, ... Hugo, Les Contemplations,t. 2, 1856, p. 188.
Loc. et expr. La déclaration des Droits et des Devoirs, à tout droit répond un devoir, comme de droit et de devoir (conformément à ce qui relève du droit et du devoir); je manque à tous mes devoirs; le devoir m'appelle; c'est un droit et même un devoir.
SYNT. L'amour, le culte, l'idée, la religion, le respect, le sens du devoir; l'accomplissement du devoir; le manquement, l'obéissance, la fidélité, la soumission au devoir; les chemins, la voie du devoir; s'affranchir du devoir; faillir, manquer à son devoir; rentrer dans le devoir; sortir du devoir; faire qqc. par devoir.
Rem. Dans cette accept., devoir s'écrit parfois avec un D majuscule.
B.− Au sing. ou au plur. Dans une circonstance donnée, toute conduite à tenir, tout acte à accomplir en vertu d'une obligation de caractère religieux, moral ou légal. Remplir les devoirs de sa charge. Synon. mission, obligation, tâche, responsabilité.Méfions-nous de tout ce qui pourrait nous détourner de la prière, (...). La prière est un devoir, le martyre est une récompense (Bernanos, Dialog. Carm.,1948, 3etabl., 2, p. 1615).Le Roi. − Rendre la justice est mon devoir. Ce sceptre en est le symbole (Camus, Chev. Olmedo,1957, 3ejournée, 25, p. 815):
4. Je visitais souvent, et avec beaucoup d'attention, le pupitre de Soubrier; (...). Oh! évidemment, je n'aime pas ces méthodes. Nous y sommes pourtant non dans notre droit, mais dans notre devoir le plus strict. Soubrier est interne : nous remplaçons sa famille. Montherlant, La Ville dont le prince est un enfant,1951, I, 8, p. 879.
1. En partic., au sing. ou au plur. [En ce sens, le terme est déterminé par un adj. ou un compl. déterminatif qui précise la nature des devoirs]
a) [Selon qu'ils s'attachent à un état] Devoirs professionnels; devoirs du chef; devoirs du sacerdoce.
Devoir d'état. Il [Kermelle] était très pauvre; mais il le dissimulait par devoir d'état (Renan, Souv. enf.,1883, p. 27).La thèse, si chère au christianisme, de la sanctification par le devoir d'état (Teilhard de Ch., Milieu divin,1955, p. 55):
5. ... l'influence générale et pratique de l'Église s'est toujours exercée pour dignifier, exalter, transfigurer en Dieu le devoir d'état, la recherche de la vérité naturelle, le développement de l'action humaine. Teilhard de Chardin, Le Milieu divin,1955, p. 33.
P. compar. :
6. D'ailleurs, dans cette maison si gaiement causeuse, où le bavardage semblait un devoir d'état, il y avait quantité de ces mystères sans chuchotements, d'absolu silence. J. de La Varende, Le Centaure de Dieu,1938, p. 54.
Devoir d'honnête homme :
7. Votre conduite envers madame de Grandlieu, dit le comte, est au-dessus de tout éloge. (...) Je m'inclinai respectueusement, et répondis que je n'avais fait que remplir un devoir d'honnête homme. Balzac,Gobseck,1830,p. 419.
Devoirs d'une charge :
8. Mais tu étais assez dépourvu de sens moral pour me faire part de tous les manquements au devoir de la fonction et pour me les présenter comme de bonnes affaires. Aymé, La Tête des autres,1952, p. 224.
b) [Selon qu'ils relèvent de la morale relig.]
Devoirs du chrétien. Pourvu qu'on accomplisse fidèlement ses devoirs de chrétien (...) le salut m'y paraît une chose aussi facile (Dumas père, Tour Nesle,1832, V, 1, p. 82).
Devoir pascal. Obligation de communier une fois l'an lors de la célébration des fêtes de Pâques. Cf. faire ses Pâques.Le doyen allocutionnant ses paroissiens pour exhorter les retardataires au devoir pascal (Bloy, Journal,1902, p. 90).
Devoirs religieux. Mais je n'ai pas encore eu le temps d'accomplir mes devoirs religieux... mon intention est d'accomplir tous mes devoirs de chrétien (Dumas père, Henri III,1829, IV, 7, p. 187).
c) [Selon qu'ils relèvent de la morale pers.] Devoir de dignité et d'honnêteté; devoirs envers soi-même; devoirs envers autrui. Clotilde, c'est moi qui ai conduit ces hommes à la révolte. J'ai des devoirs envers eux (Aymé, Vogue,1944, p. 142).
Devoirs réciproques. Que l'on se doit mutuellement l'un à l'autre, les uns aux autres. ,,Devoirs réciproques des époux. Fidélité, secours et assistance`` (Barr. 1974).
Devoirs des époux. Fidélité et soutien que se doivent réciproquement les époux. M'en revenant de guerre à l'automne, j'ai détourné la reine de ses devoirs d'épouse (Aymé, Nain,1934, p. 211):
9. − Vous ne vous rendez pas compte (...). Qu'elle se félicite de sa vie parce qu'elle a le sentiment d'avoir fait son devoir et... − Mais c'est vrai, dit Anne. Elle a rempli ses devoirs de mère et d'épouse, suivant l'expression... Sagan, Bonjour tristesse,1954, p. 49.
Devoir (conjugal). Relations intimes que se doivent réciproquement les époux. O ma femme, entrons donc joyeux, c'est notre droit, Dans le bonheur heureux... et le devoir qu'on doit (Verlaine, Poèmes divers,1896, p. 817).Le visage de l'enfant est pour Gisèle le symbole des devoirs conjugaux (Janet, Obsess. et psychasth.,1903, p. 121):
10. ... je faisais allusion très discrètement à la cessation de ses rapports avec Popelin, remontant à une dizaine d'années, (...), il a mis ce refus du devoir conjugal sur le compte de la littérature, sur le soin de faire de belles œuvres... Goncourt, Journal,1889, p. 923.
Devoir de l'hospitalité. Je t'ai pris pour l'esclave chargé par son maître d'exercer les devoirs de l'hospitalité (Chateaubr., Martyrs,t. 1, 1910, p. 157).
Devoirs de justice, de charité (Marcel 1938).
Devoirs de politesse, mondains. C'est un homme qui a le plus grand sens du devoir mondain. Nos premiers invités seront là ce soir (Anouilh, Répét.,1950, V, p. 121).
d) [Selon qu'ils relèvent de la morale pol. ou soc.]
Devoir du citoyen, devoir civique. Remplir ses devoirs de citoyen, faire son devoir de citoyen (cf. citoyen A 2).
Devoir militaire. Le devoir militaire est de se battre. La France libre, c'est le combat, l'honneur et la victoire (De Gaulle, Mém. guerre,1954, p. 408):
11. De René II à Drouot, en passant par Jeanne, une des formes du désintéressement, le devoir militaire a paru ici sous son plus bel aspect. Barrès, Un Homme libre,1889, p. 121.
Devoir national. La connaissance naturelle du devoir national (L'Œuvre,14 févr. 1941).
Devoir patriotique. Je suis d'une époque [dit Didier] où l'on ne transigeait pas sur le devoir patriotique (Aymé, Uranus,1948, p. 129).
Devoir social, de société. Un commerçant qui a compris son devoir social (L'Œuvre,17 janv. 1941).
Faire son devoir. Se conformer en tout point à une obligation morale dans une circonstance donnée. Et quand on ne fait pas son devoir est-on heureuse? (Anouilh, Répét.,1950II, p. 48):
12. La campagne fait le pain La colline fait le vin C'est une sainte besogne (...) Le citoyen fort et farouche Porte son verre à sa bouche Mais la poule pousse affairée Sa poulaille au poulailler Tout le monde a fait son devoir En voilà jusqu'à ce soir. Claudel, Poésies diverses,Paysage français, 1952, p. 871.
Spéc. Se conduire vaillamment au combat. Ils ont tous magnifiquement fait leur devoir; deux d'entre eux ont été tués (Joffre, Mém.,t. 1, 1931, p. 16):
13. Ils attendirent, pour reprendre du service, la rentrée de l'Afrique du Nord dans la guerre et, dès lors, comme beaucoup d'autres, firent vaillamment leur devoir. De Gaulle, Mémoires de guerre,1954, p. 117.
Rentrer dans son devoir. Se remettre à obéir. Ramener qqn à son devoir; rappeler qqn au devoir; remettre qqn dans le devoir. Je rappelle la nuit, le gouffre, le ciel noir, Et les événements farouches, au devoir (Hugo, Art d'être gd-père,1877, p. 272):
14. Il le faut bien [frapper] quand ces gaillards-là se prennent à rêver et qu'ils en oublient la cadence, un bon coup de gourdin les a bientôt remis dans le devoir. Aymé,Vogue la Galère,1944,p. 44.
[Par menace] Je lui apprendrai son devoir; je lui ferai entendre où est son devoir. Les hommes de la chiourme ont confiance en moi. Je saurai leur faire entendre où est leur devoir (Aymé,Vogue la Galère,1944,p. 21).
Se faire un devoir de (+ inf.). S'obliger moralement à.
Croire de son devoir de (+ inf.). Se croire moralement obligé de. Synon. croire bon de, juger nécessaire de.Tartarin de Tarascon, en effet, avait cru de son devoir, allant en Algérie, de prendre le costume algérien (A. Daudet, Tartarin de T.,1872, p. 46).On s'habitue aux défauts des autres quand on ne croit pas de son devoir de les corriger (Sagan, Bonjour tristesse,1954, p. 126).
Il est de mon devoir de (+ inf.). Ma conscience morale me pousse à (dans un cas particulier). Il peut y avoir des choses mauvaises dans le cachot d'un condamné à mort. Il est de mon devoir d'entrer et de votre devoir d'ouvrir (Hugo, Choses vues,1885, p. 159):
15. Louis lui représentait vainement qu'il était de son devoir d'assister à la cérémonie et que l'absence d'une personne de qualité ne manquerait pas d'être commentée avec malveillance. Aymé, Uranus,1948, p. 297.
Spéc. [Le sens du subst. est affaibli]
Se mettre en devoir de (+ inf.). Se préparer, se disposer à. Lorsque, revenue de sa surprise,... elle se mit en devoir de repousser l'agresseur, il descendait tranquillement la rue (France, Mir. gd St Nic.,1909, p. 109).Sans doute, depuis 1939, les États-Unis s'étaient-ils mis en devoir d'édifier une puissance militaire de premier rang (De Gaulle, Mém. guerre,1956, p. 4):
16. Cependant me saisissant familièrement par la main, il [le duc de Guermantes] se mit en devoir de me guider et de m'introduire dans les salons. Proust, Le Côté de Guermantes 2,1921, p. 417.
Être en devoir de (+ inf.), (vx). Être prêt à (être en service, être en faction).
Autres loc. C'est mon devoir de + inf.; faire un devoir à qqn de + inf.; se faire un devoir de + inf.; avoir le devoir de + inf.; pousser le devoir jusqu'à + inf.
Rem. La plupart de ces syntagmes pourraient être aussi bien classés sous A, dont ils représentent la projection dans une situation donnée.
Autres synt. :
Devoir + adj. Devoir élémentaire, le plus élémentaire des devoirs; saint devoir, le plus saint des devoirs; devoirs positifs (qui prescrivent l'accomplissement de qqc.); devoirs négatifs (qui interdisent l'accomplissement de qqc.); devoir absolu, abstrait, ardu, aride, austère, fastidieux, grand, héroïque, humble, humain, inflexible, impérieux, pénible, pressant, primordial, quotidien, rigoureux, sacré, tyrannique.
Synt. verbaux. Accomplir, assumer, se créer, dicter, bâcler, négliger, tracer, violer un devoir; s'attacher, se conformer, se dérober, faillir, manquer à un devoir; s'affranchir d'un devoir; sortir de son devoir.
Rem. En ce sens devoirs s'associe a) À droits dans la mesure où les obligations auxquelles on est tenu ont pour contrepartie des avantages reconnus à l'individu en vertu d'une règle mor. ou jur. [Les puissances quelconques] dont elle [la doctrine catholique] proclamait hautement les droits absolus, sans avoir désormais la force d'insister aussi sur leurs devoirs (Comte, Philos. posit., 1839-42, p. 527). Au nom de notre foi, nous avons le droit et le devoir de nous passionner pour les choses de la terre (Teilhard de Ch., Milieu divin, 1955, p. 61). b) À pouvoirs dans la mesure où ce terme désigne une disponibilité, une liberté d'accomplir qqc. Tout le bien possible que procure l'arrangement des pouvoirs et des devoirs étant acquis, c'est maintenant que l'on peut jouir des premiers relâchements du système (Valéry, Variété II, 1929, p. 61).
P. méton. Chose (tâche) ou ensemble de choses (tâches) imposée(s).
HIST. Redevance, prestation due.
FÉOD. Devoir féodal (du vassal envers son seigneur). Obligations particulières qui dans la société féodale liaient le vassal au suzerain. Devoirs seigneuriaux, devoir d'ost.
Vx, région. [Dans les pays à métayage] Dons en nature apportés en certaines occasions par les métayers au propriétaire du domaine (cf. Fén. 1970) :
17. Antoine Rabelais avait hérité le domaine... et tous les droits de fiefs, justice... rentes et devoirs, prés, pêcheries... appartenant à la défunte. France, Rabelais,1924, p. 2.
En partic. (domaine techn.). Choses dues en raison des usages.
ARMÉE, vx. Être à son devoir. Être à son poste (Ac. 1798-1932).
FAUCONN., vx. Devoirs de l'oiseau. Part de la curée qui revient à l'oiseau chasseur (Baudr. Chasses 1834).
2. Au plur. Honneurs dus en raison des usages. Synon. hommages.
a) Vieilli ou style noble. Égards, marques de civilité, de politesse dus, en vertu de l'usage, à quelqu'un qui mérite le respect ou y a droit. Présenter ses devoirs à qqn, rendre des/ses devoirs à qqn. Vous voulez rendre vos devoirs à votre saint parent [Jean Mauprat], à ce trappiste, modèle d'édification, que Dieu nous ramène (Sand, Mauprat,1837, p. 270).Ils [les de la Haye] allaient le voir [l'enfant] deux fois par jour... ils lui rendaient simplement leurs devoirs (La Varende, Manants du Roi,1938, p. 88):
18. ... si je ne l'avais pas vu rendre ses devoirs à ma mère qui était trop simple et trop timide pour encourager les belles manières... France,La Vie en fleur,1922,p. 339.
b) Usuel. Rendre à qqn les derniers devoirs. Rendre à un défunt les derniers témoignages d'affection et de respect; assister à ses obsèques :
19. Lorsque les gens... sont revenus me dire que vous l'aviez trouvée morte, et que tu étais resté pour lui rendre les derniers devoirs, ... Dumas père, Catherine Howard,1834, III, 3, p. 243.
C.− Usuel
1. [Vie scol.] Tâche écrite, de dimension limitée, variant suivant les matières, imposée à des élèves ou à des étudiants en cours de scolarité. Leçons et devoirs; devoir sur table; faire, finir, corriger un devoir. Synon. copie, composition, épreuve écrite, exercice, pensum, rédaction.Il [Chazel] venait seul (sans domestique) vers les dix heures, faisait mal son devoir latin et filait à midi et demi (Stendhal, H. Brulard,t. 1, 1836, p. 98).Il [Félix] conservait aussi l'habitude d'écrire son nom avant son prénom au coin de ses longs devoirs calligraphiés (Malègue, Augustin,1933, p. 165):
20. Son oncle, ..., le plaça comme externe au collège Stanislas. Hélène gâtait Georges... Elle lui faisait quitter ses devoirs le soir pour l'emmener au concert... France, Jocaste,1879, p. 58.
Devoirs de vacances. Programme d'exercices progressifs dont l'élève doit s'acquitter durant la période des grandes vacances. Le petit bureau d'écolier sur lequel il faisait ses devoirs de vacances (Anouilh, Sauv.,1938, II, p. 186).
Devoirs à la maison. ,,La suppression des devoirs à la maison pour les cours élémentaire et moyen a été décidée en 1956`` (Pédag.1972).
Rem. Les dict. attestent le synt. hors d'usage cahier de beaux devoirs. Cahier de belle facture où les élèves qui avaient le mieux réussi leur devoir le recopiaient d'une écriture appliquée.
SYNT. Devoir de français, de mathématiques, etc.; devoir à faire chez soi; sujet de devoir; donner un devoir; faire des/ses devoirs; bâcler, soigner, recopier un devoir.
2. P. plaisant. ou iron. Œuvre artistique entachée d'un caractère scolaire qui la prive d'une partie de sa portée; propos sur un thème donné qui se prête à être traité scolairement. Que demande-t-on aux candidats prix de Rome »]?... un bon devoir fait de souvenirs de musées et d'ateliers, anachroniquement (Mauclair, De Watteau à Whistler,1905, p. 68).Hier soir, vu la Maria Stuart de Schiller... La pièce nous a paru longue et laborieuse dans son exposition. C'est un devoir trop bien fait (Green, Journal,1950, p. 2):
21. Le sujet [de la Semaine des Écrivains catholiques], non choisi par moi, et commun à tous les orateurs, est le mystère. Je l'ai abordé comme un pensum. Mais le devoir est très vite devenu une méditation écrite. Mauriac, Le Nouveau Bloc-Notes,1961, p. 267.
Prononc. et Orth. : [d(ə)vwa:ʀ]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Ca 1275 devoir « obligation » (Adenet Le Roi, Enfances Ogier, éd. A. Henry, 8193); 2. 1636 devoirs « hommages, marques de respect » (Corneille, Cid, II, 1 ds Littré). Substantivation de devoir1*.

DEVOIR3, subst. masc.

Association d'ouvriers unis par les liens du compagnonnage. Les sociétés du Devoir; les Compagnons du Devoir. Les Devoirs furent des formations éminemment françaises (E. Cornaert, Les Compagnonnages en France, Paris, 1966, p. 143).Au début du XIXesiècle toutes les sociétés de compagnons existantes se rattachaient à l'une ou l'autre de ces deux grandes fédérations : le Devoir de Liberté (Enfants de Salomon); le Devoir ou Saint Devoir de Dieu (Martin Saint-Léon, Compagn.,1901, p. 88):
1. ... une grande partie de la classe ouvrière est constituée en diverses sociétés secrètes, non avouées par les lois, mais tolérées par la police, et qui prennent le titre de Devoirs. Sand, Le Compagnon du Tour de France,1840, p. 14.
Compagnon du Devoir. Ouvrier compagnon affilié à un Devoir. Je suis beaucoup plus fort que vous; mais sans doute vous êtes compagnon de quelque Devoir, et vous connaissez la canne (Sand, Meunier d'Angib.,1845, p. 157):
2. Mon oncle Joseph, (...) est un paysan qui s'est fait ouvrier... Il est compagnon du devoir, il a une grande canne avec de longs rubans, et il m'emmène quelquefois chez la Mère des menuisiers. J. Vallès, Jacques Vingtras,L'Enfant, 1879, p. 18.
Cérémonie qui célébrait le départ d'un compagnon pour son tour de France. Chez les compagnons boulangers (...) lorsque le devoir est terminé (c'est-à-dire à la fin de la cérémonie), le partant se met à genoux (Martin Saint-Léon, Compagn.,1901p. 256).
Étymol. et Hist. 1276 lat. médiév. deverium « juridiction commune à un groupe d'artisans ou compagnons » (Bailliage de Troyes d'apr. E. Cornaert, op. cit., p. 27), attest. isolée; 1804 Devoir de Liberté (6 avr., date de création d'un compagnonnage de charpentiers d'apr. Id., ibid., p. 23). Orig. obsc.; peut-être emploi méton. de devoir2au sens de « code d'obligations » dans la lang. juridique.
DÉR.
Dévoirant oudévorant2, subst. masc.Ouvrier, membre de l'association des Compagnons du Devoir. Dévorant, terme du compagnonnage, qui nous a légué une petite ménagerie assez intéressante, il y avait le singe, le lapin, le renard de liberté, le loup, etc., c'est assez logique d'avoir le dévorant (Poulot, Sublime,1872, p. 92).[Chez Balzac Dévorants s'applique aux membres d'une société secrète imaginée par l'auteur. Il la met en parallèle avec l'association des Compagnons du Devoir tout en l'y opposant. ] Il y aurait beaucoup de choses curieuses à dire sur les « Compagnons du Devoir », les rivaux des Dévorants, et sur toutes les différentes sectes d'ouvriers (Balzac, Hist. des treize,1833, préf., p. 13).Comme le remarque l'éditeur : ,,il est visible, d'ailleurs, que Balzac songe au sens du verbe dévorer : son « chef des Dévorants » (...) sera un homme de proie``.Rem. On rencontre en outre l'adj. dévorantesque forgé par Balzac sur Dévorants. Ferragus est, suivant une ancienne coutume, un nom pris par un chef de Dévorants. Le jour de leur élection, ces chefs continuent celles des dynasties dévorantesques dont le nom leur plaît le plus (Id., ibid., p. 12). [devwaʀ ɑ ̃], [devɔ ʀ ɑ ̃]. La majorité des dict. enregistre les 2 formes en soulignant que dévorant est une altération de dévoirant. Cf. Lar. 19equi ajoute : ,,on dit plus ordinairement mais moins bien dévorant``, Nouv. Lar. ill., Lar. 20e, Littré qui note que la forme dévorant donne au mot une coloration péj., Quillet 1965. Ds Guérin 1892 la forme dévoirant est qualifiée de rare. Ds DG et Lar. encyclop. c'est la forme dévorant qui est enregistrée comme vedette, dévoirant ne justifiant plus qu'une rem. ou une vedette de renvoi. 1resattest. av. 1850 subst. devorant « ouvrier compagnon du devoir » (Ch. de Bernard, La Peau du lion, XII ds Littré); 1864 devoirant ou devorant (Littré); de devoir3au sens de « association d'ouvriers compagnons »; suff. -ant*; écrit dévorant par attraction paronymique de dévorant adj., peut-être en raison des banquets qui les réunissaient périodiquement ou de l'âpreté avec laquelle ils défendaient le quasi-monopole de l'emploi pour leurs membres.
STAT. − Devoir1, 2 et 3. Fréq. abs. littér. : 86 963. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 139 075, b) 116 267; xxes. : a) 107 122, b) 124 451. Devoirs. Fréq. abs. littér. : 2 853. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 5 930, b) 3 604; xxes. : a) 3 357, b) 3 122.

Wiktionnaire

Verbe - français

devoir \də.vwaʁ\ transitif 3e groupe (voir la conjugaison) (pronominal : se devoir)

  1. Avoir à payer une somme d’argent, à rendre ou à donner quelque chose que ce soit.
    • Le moulin de Montgon ayant été supprimé par suite de la création du canal des Ardennes , outre l’indemnité d’expropriation due au propriétaire , il en était dû une au fermier […]. — (Germain Roche & Félix Lebon, Recueil général des arrêts du Conseil d’état, t.5, 1848, page 95)
    • Je vous paierai à la date fixée tout ce que je vous dois.
    • Devoir plus qu’on ne possède.
    • (Absolument) Il doit à tout le monde.
    • (Proverbial) Devoir à Dieu et à diable, au tiers et au quart ; devoir de tous côtés, devoir beaucoup, avoir beaucoup de dettes.
    • (Proverbial) Qui a terme ne doit rien, On ne peut être obligé de payer avant que le terme soit échu.
  2. Être obligé à quelque chose par la morale, par la loi, par sa condition, par l’honneur, par la bienséance, etc.
    • Jamais nous n'avons eu l’ineptie de penser que les catholiques dussent être opprimés, qu'ils dussent être vus avec défaveur par le gouvernement, qu'ils dussent être exclus des emplois publics, qu'ils dussent même être exclus du ministère. — (« Quelques mots à nos contradicteurs passionnée et modérés », dans la Revue nationale de Belgique, Bruxelles : Librairie Polytechnique, 1840, vol. 4, page 85)
    • Si l'un des pèlerins venait à mourir sur le bateau, le capitaine devrait ne point pratiquer aussitôt l’immersion, mais bien atterrir quelque part et faire ensevelir le défunt dans un cimetière. — (« Pèlerinage en Terre Sainte au temps jadis », dans Jérusalem, tome 4, 1911, page 368)
    • Je soulève mon bada, parce qu'un macchab c'est un macchab et qu'on lui doit le respect. Je me tourne vers mon collègue de la police strasbourgeoise. — (Frédéric Dard, San Antonio : Descendez-le à la prochaine, Éditions Fleuve Noir , 1953)
    • Le gouvernement de l’État a estimé qu'elle devait exécuter un plan de redressement à long terme. Ce plan devrait être établi par un échelon gouvernemental inférieur, mais le gouvernement de l’État a fixé un certain nombre de directives. — (Redressement des collectivités locales et régionales en difficulté financière, Conseil de l'Europe : Comité directeur sur la démocratie locale et régionale, 2002, page 19)
    • Vous devriez vous conduire autrement.
    • Il ne devrait pas abandonner ses parents.
    • (Proverbial) Fais ce que dois, advienne que pourra.
    • La loi doit une égale protection à tous les citoyens.
  3. Être dans la nécessité de. — Note : Il est alors suivi d'un infinitif.
    • – Bigre ! — s’écria-t-il, avec un sentiment d’infinie vexation. — Quel idiot je suis ! J’aurais dû leur faire rendre leurs épées…. — (H. G. Wells, La Guerre dans les airs, 1908, traduction d’Henry-D. Davray et B. Kozakiewicz, Mercure de France, Paris, 1910, page 359 de l’édition de 1921)
    • Il préférait la musique classique et les chemisettes à carreaux mais, pour attirer les concupiscences, il devait avoir la tenue wesh-wesh, l'allure racaille, la casquette Nike, visière retournée en prime. — (Antoine Gouguel, Chifoumi !, Éditions du Frigo, 2011, page 77)
    • Le creusement d'un escalier en descente était une opération difficile et pénible, le mineur devant creuser plus bas que ses pieds au marteau et à la cisette, sous le faible éclairage des lampes à huile et avec une aération défectueuse. — (Bulletin de géologie de Lausanne, n° 249-268, Université de Lausanne (Institut de Géologie), 1980, page 352)
  4. Être redevable à, tenir de.
    • Il vous doit son bonheur, son salut, sa fortune.
    • Racine doit beaucoup à Euripide.
    • Corneille doit à Sénèque la belle scène d’Auguste et de Cinna.
    • L’auteur a le succès de sa pièce au talent des acteurs.
    • Cette colline doit son nom à un événement qu’on nous raconta.
    • (Par extension) Je lui dois tous mes maux.
  5. Il se dit aussi pour marquer qu’il y a une espèce de justice, de raison, de nécessité, etc., qu’une chose soit.
    • Un bon ouvrier doit être plus employé qu’un autre.
    • Il me semble que cela devrait les réconcilier.
    • Il devrait y avoir une garnison dans cette ville.
  6. Être inévitable.
    • La vitesse de circulation de la monnaie croissait ainsi de jour en jour et sa répudiation définitive semblait devoir être prochaine. — (Wilfrid Baumgartner, Le Rentenmark (15 Octobre 1923 - 11 octobre 1924), Les Presses Universitaires de France, 1925 (réimpr. 2e éd. revue), p.93)
  7. Suivi d’un infinitif, il joue aussi en quelque sorte le rôle d’un auxiliaire et se dit de ce qui paraît vraisemblable, probable, plus ou moins certain.
    • A peu de distance de Dinant, en Belgique, dans la vallée de la Lesse, il existe un assez grand nombre de ces grottes qui ont dû servir d’habitation ou de refuge à nos ancêtres ; […] — (Edmond Nivoit, Notions élémentaires sur l’industrie dans le département des Ardennes, E. Jolly, Charleville, 1869, page 176)
    • Blandine ne peut s'empêcher de rire.
      — C'est pas dans le calendrier que tu devrais être, dit-elle, c'est dans un musée ! T'es une femme comme il n'y en a pas deux !
      — (Gérard Mordillat, Xenia, éd. Calmann-Lévy, 2014)
    • Une fois réparé de cette façon, cet instrument doit marcher.
    • Le premier homme qui est mort a être drôlement surpris. — (Georges Wolinsky)
  8. Il se dit de ce qu’on croit, ou qu’on présume, ou qu’on suppose qui arrivera.
    • Les comptes nationaux sont une construction sociale, en perpétuelle évolution, reflétant toujours les préoccupations d'une époque. Les chiffres qui en sont issus ne doivent pas être fétichisés. — (Thomas Piketty, Le capital au XXIe siècle, éd. du Seuil, 2013, p. 103)
    • Le courrier doit être ici dans peu de jours.
    • Je dois recevoir cette somme après-demain.
    • Le bonheur que doivent goûter les élus.
    • Quand même je devrais y périr.
    • Il doit y avoir demain une assemblée générale.
  9. À l’imparfait du subjonctif, et en tête de la phrase, il s’emploie dans le sens de quand même.
    • Dussè-je y périr.
    • Dût ma fortune être anéantie.
    • Quand je devrais y périr.
  10. Il se dit aussi pour marquer l’intention qu’on a de faire quelque chose.
    • Je dois aller demain à la campagne.
  11. (Pronominal) Se dit spécialement pour être dans l’obligation morale de se donner, de se dévouer à sa famille, à sa patrie, à ses amis.
    • Vous vous devez à vos enfants.
    • Cela se doit, se dit de ce qui doit être, de ce qu’il convient de faire.

Verbe - ancien français

devoir \Prononciation ?\

  1. Devoir (verbe auxiliaire).
    • Qu'il deüssent venir en ma sale pauvée — (Brun de La Montaigne, anonyme, édition de P. Meyer, publiée en 1875)
  2. Devoir (avoir à rendre quelque chose).
    • Si doit a Dieu merchis et grés — (L’âtre périlleux, anonyme, manuscrit 1433 français de la BnF)

Nom commun - français

devoir \də.vwaʁ\ masculin

  1. Ce à quoi on est obligé par la raison, par la morale, par la loi, par sa condition, par la bienséance, etc.
    • Manquer à ses devoirs.
    • Devoir d'État.
    • Et, pendant qu'on se tue à différer de vivre,
      Le vrai devoir dans l'ombre attend la volonté.

      — (Sully Prudhomme, Les Vaines Tendresses dans le volume 3 des Oeuvres, Alphonse Lemerre, 1900, p. 96)
    • L'iniquité commençait à être connue, mais on la sentait soutenue et défendue par de telles forces publiques et secrètes, que les plus fermes hésitaient. Ceux qui avaient le devoir de parler se taisaient. — (Anatole France, Vers les Temps Meilleurs - Tome II, Édouard Pelletan, 1906, pages 10-11)
    • Rien ne donne la satisfaction du devoir accompli comme une bonne nuit de sommeil, un repas sérieux, une belle passe d'amour. — (Remy de Gourmont, Promenades Philosophiques, Mercure de France , 1905, éd. 1921, page 263)
    • Le service militaire, qui avait été un devoir de la noblesse, était abandonné à ceux qui ne pouvaient faire l'achat d'un remplaçant. — (Général Ambert, Récits militaires : L'invasion (1870), Bloud & Barral, 1883, page 240)
    • Nous connaissons votre loyalisme. Il vous fera un devoir de ne rien révéler des instructions que vous aurez reçues. — (Jules Romains, Les Copains, 1922, réédition Le Livre de Poche, page 131)
  2. Exercices scolaires qu’ont à faire les élèves dans un lycée, un collège, une école.
    • Les maîtres d’école prétendent que ce qu’on écrit se fourre plus avant dans la cervelle que ce qu'on apprend par cœur, et que c'est pour ça qu'ils font faire des devoirs aux enfants, au lieu de se contenter de leur faire réciter des leçons. — (Émile Thirion, La Politique au village, Fischbacher, 1896, page 137)
    • Elle séchait sur son devoir de grammaire. Elle disait qu'elle ne se souvenait plus de la règle des participes. Passés. Les présents ne s'accordent pas. — (Annie Saumont, Koman sa sécri émé, Paris : Julliard, 2005, Robert Laffont, 2011)
    • On s'y installait parfois, quand on n'avait pas de devoirs à faire. Je faisais une partie de billard contre moi-même tandis qu'Amy me mettait la pâtée au flipper. — (Kody Keplinger, MDR - Menteuse Drôlement Raleuse, traduit de l'américain par Aude Gwendoline, Hachette Livres, 2017, chapitre 3)
  3. Témoigner à l’égard de quelqu’un des marques de politesse.
    • Ernest, je te prie, et, au besoin, je t’ordonne de présenter tes devoirs à Mlle Thibaud. — (François Mauriac, Le Drôle, 1933, Gedalge, 1956, page 41)
  4. Honneurs funèbres, cérémonie pour les funérailles de quelqu’un.
    • Rendre à quelqu’un les derniers devoirs, l’accompagner jusqu’à sa dernière demeure.
Wiktionnaire - licence Creative Commons attribution partage à l’identique 3.0

Dictionnaire de l’Académie française, huitième édition (1932-1935)

DEVOIR. (Je dois; nous devons. Je devais. Je dus. J'ai dû. Je devrai. Que je doive. Que je dusse. Devant. Dû.) v. tr.
Avoir à payer une somme d'argent, à rendre ou à donner quelque chose que ce soit. Devoir de l'argent. Devoir tant de sacs de blé. Devoir tant de journées de travail. Je vous paierai à la date fixée tout ce que je vous dois. Devoir plus qu'on ne possède. Les sommes dues par un tel. Absolument, Il doit à tout le monde. En termes de Pratique, Jusqu'à due concurrence, Jusqu'à concurrence de la somme, de la quantité dont un débiteur est tenu. Acte en due forme, Acte rédigé conformément à la loi. Prov., Devoir à Dieu et à diable, au tiers et au quart; devoir de tous côtés, Devoir beaucoup, avoir beaucoup de dettes. Prov., Qui a terme ne doit rien, On ne peut être obligé de payer avant que le terme soit échu. Doit s'emploie comme nom masculin dans les livres de compte, par opposition au mot Avoir, et désigne la Partie d'un compte où l'on porte ce qu'une personne doit, ce qu'elle a reçu. On appelle aussi Doit et avoir Le passif et l'actif.

DEVOIR signifie encore Être obligé à quelque chose par la morale, par la loi, par sa condition, par l'honneur, par la bienséance, etc. Un fils doit respect à son père. Il ne doit compte de ses actions à personne. On doit obéissance aux lois. Devoir une visite à quelqu'un. Vous lui devez des égards, des ménagements. On se doit à soi-même de respecter les bienséances. Je me devais de faire cette démarche. Un honnête homme sait ce qu'il se doit. Un homme d'honneur doit tenir sa parole. Vous devriez vous conduire autrement. Il ne devrait pas abandonner ses parents. Prov., Fais ce que dois, advienne que pourra. On le dit quelquefois des Choses. La loi doit une égale protection à tous les citoyens. La pitié due au malheur.

SE DEVOIR À se dit spécialement pour Être dans l'obligation morale de se donner, de se dévouer à sa famille, à sa patrie, à ses amis. Vous vous devez à vos enfants. Cela se doit, se dit de Ce qui doit être, de ce qu'il convient de faire. Suivi d'un infinitif, il signifie souvent Être dans la nécessité de. Je dois partir à six heures. Je devrai avoir terminé cette tâche demain. Il signifie en outre Être redevable à, tenir de. Il vous doit son bonheur, son salut, sa fortune. Racine doit beaucoup à Euripide. Corneille doit à Sénèque la belle scène d'Auguste et de Cinna. L'auteur a dû le succès de sa pièce au talent des acteurs. Cette colline doit son nom à un événement qu'on nous raconta. Par extension, Je lui dois tous mes maux. Il se dit aussi pour marquer qu'il y a une espèce de justice, de raison, de nécessité, etc., qu'une chose soit. Un bon ouvrier doit être plus employé qu'un autre. Il me semble que cela devrait les réconcilier. Il devrait y avoir une garnison dans cette ville. Il se dit encore pour marquer qu'une chose arrivera infailliblement. Tous les hommes doivent mourir. Le terme de son bail doit expirer dans deux jours.

DEVOIR, suivi d'un infinitif, joue aussi en quelque sorte le rôle d'un auxiliaire et se dit de Ce qui paraît vraisemblable, probable, plus ou moins certain. La campagne doit être belle maintenant. Il a dû partir ce matin. Le législateur doit avoir prévu ce cas. Il doit être bien agréable de... Il doit y avoir entre eux beaucoup de différence. À en juger par le train que mène cet homme, il doit être bien riche. Une fois réparé de cette façon, cet instrument doit marcher. On doit avoir bien froid avec un habit aussi léger. Il se dit pareillement de Ce qu'on croit, ou qu'on présume, ou qu'on suppose qui arrivera. Le courrier doit être ici dans peu de jours. Je dois recevoir cette somme après-demain. Le bonheur que doivent goûter les élus. Quand même je devrais y périr. Il doit y avoir demain une assemblée générale. À l'imparfait du subjonctif, et en tête de la phrase, il s'emploie dans le sens de Quand même. Dussé-je y périr; dût ma fortune être anéantie, Quand je devrais y périr, etc. Il se dit aussi pour marquer l'intention qu'on a de faire quelque chose. Je dois aller demain à la campagne.

Littré (1872-1877)

DEVOIR (de-voir), je dois, tu dois, il doit, nous devons, vous devez, ils doivent ; je devais ; je dus ; je devrai ; je devrais ; que je doive, que tu doives, qu'il doive, que nous devions, que vous deviez, qu'ils doivent ; que je dusse ; devant, dû, due v. a.
  • 1Avoir à payer une somme d'argent, ou à fournir toute autre valeur. Il doit plus qu'il ne possède. Devoir de l'argent, plusieurs journées de travail. Je dois quatre cents francs à mon marchand de vin, Un fripon qui demeure au cabaret voisin, Regnard, le Légat. IV, 6.

    Devoir plus d'argent qu'on n'est gros, être très endetté.

    Devoir du retour, devoir quelque argent en sus, après avoir fait un troc ; et fig. Et d'autant que l'honneur m'est plus cher que la vie, D'autant plus maintenant je te dois de retour, Corneille, Cid, III, 6.

    Absolument. Il doit de tous côtés. Brid'oison : Mais si tu dois et que tu ne payes pas…? - Figaro : Alors, monsieur voit bien que c'est comme si je ne devais pas, Beaumarchais, Mariage, III, 13.

    Devoir à Dieu et à diable, à Dieu et au monde, au tiers et au quart, devoir de l'argent à un très grand nombre de personnes.

    Fig. Devoir tribut, être obligé de se conformer à. Aux usages reçus il faut qu'on s'accommode ; Une femme surtout doit tribut à la mode, Boileau, Sat. X.

    Fig. et familièrement. Il m'en doit, ou je lui en dois, il m'a offensé et je m'en vengerai. C'était moi ; je t'en devais, il y a bien longtemps, Baron, Homme à bonnes fort. V, 8.

    N'en devoir rien, n'en devoir guère, ne pas céder à, ne pas être inférieur. Sans répandre leur sang comme Pyrame et Thisbé, ils ne leur en durent guère en tendresse impétueuse, Scarron, Rom. com. II, ch. 19. Si votre majesté Est curieuse de beauté, Qu'elle fasse venir mon frère : Aux plus charmants il n'en doit guère, La Fontaine, Joc. J'ai vu les beautés de la Seine, ses bords n'en doivent rien à ceux de la Loire, Sévigné, 547.

    Ironiquement. Il ne lui en doit guère, il ne vaut pas mieux que lui. D'Arlincourt est venu à la cour et a dit : Voilà mon Solitaire et mes autres romans qui n'en doivent guère au Christianisme de Chateaubriand, Courier, II, 261.

    Ils ne s'en doivent guère, se dit de gens qui ont des torts réciproques ou qui ne valent pas mieux l'un que l'autre en certaines choses. …Je crois, à parler à sentiments ouverts, Que nous ne nous en devons guères, Molière, Amph. Prologue. Thésée : Ne parlons plus d'amours ; sur ce chapitre honteux, nous ne nous en devons rien [l'un à l'autre, moi et Hercule], Fénelon, t. XIX, p. 129.

    Terme de comptabilité. Doit, par opposition à avoir, partie d'un compte établissant ce qu'une personne doit et ce qu'elle a reçu. Tenir ses comptes par doit et par avoir.

  • 2Être redevable à, avoir obtenu par. Je lui dois tout. Je lui dois la place que j'occupe. On n'aime point à voir ceux à qui l'on doit tant ; Tout ce qu'il a fait parle au moment qu'il m'approche, Et sa seule présence est un secret reproche, Corneille, Nicom. II, 1. L'un imite Sophocle, l'autre doit plus à Euripide, La Bruyère, I. Si Menzikoff fit cette manœuvre de lui-même, la Russie lui dut son salut ; si le czar l'ordonna, il était un digne adversaire de Charles XII, Voltaire, Charles XII, 4. Les chrétiens vous devraient une tête si chère, Voltaire, Zaïre, II, 2. L'un tient de moi la vie, à l'autre je la dois, Voltaire, Alz. III, 5. Si Racine doit à Tacite la belle scène entre Agrippine et son fils, Corneille doit à Sénèque celle d'Auguste et de Cinna, Diderot, Règne de Claude et Néron, II, 51.

    Devoir, avec de et un verbe à l'infinitif, même sens. Nous servions dans le même régiment, dont je vous dois d'être major, Beaumarchais, Mère coup. I, 8.

    Devoir se dit aussi quelquefois en mauvaise part. Je lui dois tous mes maux.

    Être redevable à des choses, avoir obtenu par des choses. Fais devoir à ton roi son salut à ta perte [fais que ton roi doive son salut à ta mort], Corneille, Cid, III, 6. Il y a de certains grands sentiments, de certaines actions nobles et élevées, que nous devons moins à la force de notre esprit qu'à la bonté de notre naturel, La Bruyère, IV. Devrai-je au dépit qui le presse Ce que j'aurais voulu devoir à sa tendresse ? Voltaire, Brutus, III, 4. Les nations avaient déjà donné à Pierre Alexiovitz le nom de grand, qu'une défaite ne pouvait lui faire perdre, parce qu'il ne le devait pas à des victoires, Voltaire, Charles XII, 4.

    En parlant de ce qui a obtenu quelque chose par une certaine circonstance. Cette colline doit son nom à tel événement.

  • 3Être tenu, obligé envers. Il ne doit compte de ses actions à personne. Ne me dites plus rien ; pour vous j'ai tout perdu ; Ce que je vous devais, je vous l'ai bien rendu, Corneille, Cid, III, 6. Je vous devrai beaucoup pour un si bon office, Corneille, Hor. IV, 2. Vous qui devez respect au moindre des Romains, Corneille, Pomp. III, 2. Si vous lui devez tant, ne me devez-vous rien ? Corneille, Sertor. II, 2. Il est temps de montrer cette ardeur et ce zèle Qu'au fond de votre cœur mes soins ont cultivés, Et de payer à Dieu ce que vous lui devez, Racine, Athal. IV, 2. Nous avons beaucoup moins de peine à faire plus que nous ne devons qu'à faire ce que nous devons, Bourdaloue, Sévérité évang. 2e avent, p. 448. Pardonne-moi, mon fils, si je trouble ton récit par les larmes que je dois à ton père, Fénelon, Tél. X. En un mot il [Dieu] doit à toutes ses perfections la punition du péché, Massillon, Car. Pass. Que pouviez-vous ? hélas ! - J'ai fait ce que j'ai dû, Voltaire, Orphel. V, 1.

    Absolument. Je dois à ma maîtresse aussi bien qu'à mon père, Corneille, Cid, I, 10. Ressouvenez-vous que, hors d'ici, je ne dois plus qu'à mon honneur, Molière, Don Juan, III, 5.

    Se devoir à soi-même, être tenu en vertu de sa propre considération. Je sais ce que je suis et ce que je me dois, Corneille, Don Sanche, I, 1. Dieu se devait à lui-même de rendre son image heureuse, Bossuet, Hist. II, 1.

    Je vous dois cet avis, votre intérêt me commande de vous donner cet avis.

  • 4Devoir, suivi d'un verbe à l'infinitif, exprime qu'une chose arrivera infailliblement. Tous les hommes doivent mourir.

    Il exprime une obligation morale. Un bon fils doit respecter son père. Si la bonne foi était exilée du reste de la terre, elle devrait se retrouver dans le cœur des rois, Parole du roi Jean.

    Il marque qu'il y a une sorte de justice ou de raison à ce qu'une chose soit. On devrait planter des arbres le long de cette route. J'ai dû continuer, j'ai dû dans tout le reste… Que sais-je enfin ? j'ai dû vous être moins funeste, J'ai dû craindre du roi les dons empoisonnés, Racine, Mithr. IV, 2. Le zèle de Joad n'a point dû vous surprendre, Racine, Athal. II, 4. À de moindres fureurs je n'ai pas dû m'attendre ; Voilà, voilà les cris que je craignais d'entendre, Racine, ib. IV, 5. Un jour seul perdu devrait donc nous laisser des regrets, mille fois plus vifs et plus cuisants qu'une grande fortune manquée, Massillon, Car. Temps. À ces biens fugitifs votre amour doit survivre, Delavigne, Paria, II, 5.

    On s'en sert pour marquer l'intention. Je dois aller demain à la campagne.

    Il marque aussi un futur indéterminé. Il doit partir demain. Il devait sortir hier. Nous devons chanter ce soir. Il doit y avoir demain une assemblée des actionnaires. Je dois prochainement recevoir de l'argent.

    Devoir exprime quelquefois une supposition. C'est lui qui doit avoir fait cela, on suppose que c'est lui qui a fait cela. Les deux accusateurs que lui-même a produits, Que pour l'assassiner je dois avoir séduits, Corneille, Nicom. III, 8.

    Il indique en d'autres cas une simple croyance. Et Léonce doit être incapable de crime Puisqu'il a mérité l'honneur de ton estime, Rotrou, Bélis, I, 6. Un voile ténébreux Nous dérobe le jour qui doit nous rendre heureux, Racine L. la Grâce, ch. I.

    Ces faits-là doivent être communs, je pense qu'ils sont communs. Des actes d'une nature si sublime doivent être rares, Raynal, Hist. phil. XI, 22.

  • 5L'imparfait du subjonctif, placé en tête de la phrase, s'emploie dans le sens de quand même. Dussé-je être blâmé [quand même je serais blâmé], je vous soutiendrai. Dusses-tu y perdre de l'argent, il faut entrer dans cette affaire. Dût cela mal tourner, nous ne vous quitterons pas. Dussions - nous échouer, dussiez - vous échouer, dussent-ils échouer, nous essayerons. Dût le peuple en fureur pour ses maîtres nouveaux De mon sang odieux arroser leurs tombeaux, Dût le Parthe vengeur me trouver sans défense, Dût le ciel égaler le supplice à l'offense, Trône, à t'abandonner je ne puis consentir, Corneille, Rodog. V, 1. Crois-moi, dût Auzanet t'assurer du succès, Abbé, n'entreprends point même un juste procès, Boileau, Ép. II. Dût tout cet appareil retomber sur ma tête, Racine, Iphig. III, 5. Dût Mme d'Acigné m'accuser d'être injuste, ou M. de Richelieu d'être ingrate, Maintenon, Lett. au card. de Noailles, 10 août 1701.
  • 6Se devoir, v. réfl. Être dû, être obligatoire. Cela se doit.
  • 7Être obligé de se consacrer à. Le sage s'accommode aux changements divers, Et l'homme généreux se doit à l'univers, Brébeuf, Phars. II. Sa mort vous laisse un fils à qui vous vous devez, Racine, Phèd. I, 5. Un roi se doit à tous les hommes qu'il gouverne, Fénelon, Tél. IX. Mon âme tout entière Se doit aux grands objets de ma vaste carrière, Voltaire, Orphel. II, 6.

PROVERBES

Fais ce que dois, advienne que pourra, se dit de celui qui accomplit son devoir, sans se laisser ébranler par la pensée de ce qui peut en arriver.

Quand on doit, il faut payer ou agréer, c'est-à-dire il faut donner à son créancier de l'argent ou du moins de bonnes paroles.

Qui nous doit, nous demande, c'est-à-dire celui dont nous avons sujet de nous plaindre nous accuse.

Il croit toujours qu'on lui en doit de reste, il n'est jamais content de ce qu'on fait pour lui, Dict. de l'Académie.

Il semble que Dieu lui en doive de reste, se dit d'un homme qui fait mal ou grossièrement son devoir.

Qui a terme ne doit rien, c'est-à-dire qu'on ne peut rien lui demander jusqu'au terme.

Qui doit a tort, signifie qu'il faut payer ou être condamné aux dépens.

Va où tu peux, mourir où tu dois, se dit à celui qu'on abandonne à son sort.

REMARQUE

1. Les poëtes du XVIIe siècle et même du XVIIIe ont écrit je doi sans s : La mort a respecté ces jours que je te doi, Pour me donner le temps de m'acquitter vers toi, Voltaire, Alz. II, 2. C'est un archaïsme, dans l'ancien français, la 1re personne n'ayant pas la lettre s, qui était réservée à la 2e personne (comme en latin) ; ce qui était mieux. L'usage irrégulier a prévalu ; mais on peut du moins conser ver aux poëtes la faculté d'employer cet archaïsme.

2. Vous devriez était de deux syllabes : Mais vous devriez, ma fille, en l'âge où je vous voy…, Régnier, Sat. XII. C'est ainsi qu'on faisait de deux syllabes sanglier. C'était aussi un archaïsme, tout à fait tombé en désuétude.

3. Marg. Buffet, Observ. p. 138 (en 1668), dit que quelques-uns prononcent : je dais de l'argent ; il dait beaucoup ; et qu'il faut prononcer : je dois, il doit. C'était la prononciation normande qui n'était pas encore complétement exclue.

HISTORIQUE

IXe s. Si cum om per dreit son fradre [frère] salvar dist [doit], Serment.

Xe s. Chi [qui] sil [ainsi le] feent [font] cum faire lo deent [doivent], Fragm. de Valenc. p. 469.

XIe s. Si hom occit altre, et il seit conusaunt [connaissant], et il deive faire les amendes…, Lois de Guill. 8. Deüz servises et mout grant amistez, Ch. de Rol. III. En France ad Ais s'en deit bien repairer, ib. [Dieu] Le glorius que deüsse [je dusse] aorer, ib. IX. Quant [il] le dut prendre, si lui cheït à terre, ib. XX. Li siens orgueilz le devreit bien confondre, ib. XXVIII. Qui ce jugeat [décida] que doüssiez aller, ib. XXVI.

XIIe s. Bien deüst estre escoutez et oïs, Ronc. p. 24. S'en [quand même] devroie estre occis, ib. Jamais n'iert [ne sera] jor, ne me doiez [que vous ne me deviez] amer, ib. p. 30. Bien l'avez fait, mout [je] vous en doi amer, ib. p. 33. Oncle Girart, quant [je] me dui [dus] esveiller, ib. p. 164. Ma bataille [j']offre, cui qu'en doie peser [à qui qu'il en doive peser, être désagréable], ib. p. 191. Mais à dame de valor Doit on penser nuit et jor, Couci, I. Ore est bien raison et heure Que [je] m'i doie retorner, ib. IV. De mil souspirs que je lui doi par dete, ib. VI. Mais en cel point que dui [je dus] avoir mon don, ib. Jà nel [ne le] deüst ne sofrir ne voloir La douce riens, qui tant est bien aprise, ib. XVII. Onques vers li [elle] [je] n'oi [n'eus] faus cuer ne volage ; Si m'en devroit pour tant mieuz avenir, ib. XI. Chascuns quatre deniers ainsi comparer dot [dut payer], Sax. XVII. Maintenir le devons ; ce [je] temoigne et connois, ib. XVIII. Se [nous] lui devons chevage, coustume ne tonlieu [impôt], ib. XXIV. Ici de Charlemaine [je] me doi ore bien taire, ib. XXX.

XIIIe s. Il voloit aler avec eus por ce qu'il sembloient bien gent qui grant terre doient conquerre, Villehardouin, LX. À l'aïe de Dieu fu desconfis li empereres Marchufles, et il meïsmes i dut estre pris, ib. XCIX. Dame, ce dist Pepins, on ne doit pas douter…, Berte, III. [Il] Assemble ses barons en qui se dut fier, ib. Li jors que ele dut sa voie avoir emprise, ib. VI. L'en doit bien reculer pour le plus loin saillir, ib. XII. Il semble à sa maniere qu'ele doie desver [être folle], ib. XVII. Ma volenté ferez, quoi qu'il doie couster, ib. CXII. Miex me venist estre alé pendre Au jor que ge dui fame prendre, Quant si cointe fame acointai, la Rose, 8878. Sa mere que envieillir [il] voit, Et son pere qui moult devoit [qui avait des dettes], Bl. et Jeh. 71. Et je ne cuit que le defendant puisse chose dire par quoi la court dée esgarder que il ne li dée respondre à cel claim qu'il lors fist…, Ass. de J. I, p. 84. Et ce qu'on dist que voirs est [est vrai] que li sires doit autant foi et loialté à son home come li hons fet à son segneur, ce doit estre entendu en tant comme cascuns est tenus li uns vers l'autre, Beaumanoir, LVIII, 25. Sire, je oi [j'eus] le ceval et dui ces vingt livres ; mais j'en ai fet plain paiement, Beaumanoir, IX, 5.

XIVe s. Onneur crie partout et vuet : Fay que doys, aveingne que puet, Machaut, p. 112. Et aussi nous voulons estre beneurés et disons que devons vouloir avoir felicité, mais nous ne disons pas que nous la doions eslire, Oresme, Eth. 64. Tant lui est deu plus de honneur se elle est bonne, Oresme, ib. 47.

XVe s. Et que voulez-vous, dit le roi, que je fasse ? Il n'est chose que je ne doive faire pour nous sauver, Froissart, III, IV, 76. Seigneurs, vous n'estes mie en arroy ni en ordonnance, que le roi doye maintenant parler à vous, Froissart, II, II, 110. Et puis chevaucherent tout souef jusques adonc qu'ils vinrent au logis du duc. Quand ils durent approcher, ils ferirent chevaux des esperons tous d'une randon et se planterent en l'ost du duc, Froissart, I, I, 111. Je ne pense pas avoir dit ne fait chose dont me doyez savoir mal gré, Louis XI, Nouv. XXIV. Vous en deveriez estre content, Louis XI, ib. XXXVIII. Vous n'estes pas telle que vous deussiez estre, Louis XI, ib. LXVIII.

XVIe s. Là elle veoit une lumiere telle, Que, pour la veoir, mourir devrions vouloir, Marot, III, 301. Laquelle en beauté et bonne grace ne devoit rien à son mari, Marguerite de Navarre, Nouv. II. Le jour mesme qu'elle [la sentence] debvoit estre prononcée, Montaigne, I, 40. Il debvoit plus à la fortune qu'à sa diligence, Montaigne, I, 41. La peur emporta nostre jugement hors de sa deue assiette, Montaigne, I, 61. Tout cela tesmoigne qu'ils ne nous debvoient rien en clarté d'esprit naturelle et en pertinence, Montaigne, IV, 17. Le roy s'en meit en si grande cholere contre luy, que l'on pensoit qu'il ne luy deust jamais pardonner, Amyot, Thém. 53. Bon citoyen et faisant le deu de son office, Amyot, Flamin. 37. Voici le destroit où les poures consciences sont merveilleusement vexées et affligées, quand elles voyent que ceste contrition deue [pleine, entière] leur est imposée, Calvin, Instit. 486.

Version électronique créée par François Gannaz - http://www.littre.org - licence Creative Commons Attribution

Encyclopédie, 1re édition (1751)

DEVOIR, s. m. (Droit nat. Relig. nat. Morale.) en latin officium. Le devoir est une action humaine exactement conforme aux lois qui nous en imposent l’obligation.

On peut considérer l’homme, ou comme créature de Dieu, ou comme doüé par son Créateur de certaines facultés, tant du corps que de l’ame, desquelles l’effet est fort différent, selon l’usage qu’il en fait ; ou enfin comme porté & nécessité même par sa condition naturelle, à vivre en société avec ses semblables.

La premiere relation est la source propre de tous les devoirs de la loi naturelle, qui ont Dieu pour objet, & qui sont compris sous le nom de religion naturelle. Il n’est pas nécessaire de supposer autre chose : un homme qui seroit seul dans le monde, devroit & pourroit pratiquer ces devoirs, du moins les principaux, d’où découlent tous les autres.

La seconde relation nous fournit par elle-même tous les devoirs qui nous regardent nous-mêmes, & que l’on peut rapporter à l’amour propre, ou, pour ôter toute équivoque, à l’amour de soi-même. Le Créateur étant tout sage, tout bon, s’est proposé sans contredit, en nous donnant certaines facultés du corps & de l’ame, une fin également digne de lui, & conforme à notre propre bonheur. Il veut donc que nous fassions de ces facultés un usage qui réponde à leur destination naturelle. De-là naît l’obligation de travailler à notre propre conservation, sans quoi nos facultés nous seroient fort inutiles ; & ensuite de les cultiver & perfectionner autant que le demande le but pour lequel elles nous ont été données. Un homme qui se trouveroit jetté dans une île deserte, sans espérance d’en sortir & d’y avoir jamais aucun compagnon, ne seroit pas plus autorisé par-là à se tuer, à se mutiler ou à s’ôter l’usage de la raison, qu’à cesser d’aimer Dieu & de l’honorer.

La troisieme & derniere relation est le principe des devoirs de la loi naturelle, qui se rapportent aux autres hommes. Quand je pense que Dieu a mis au monde des êtres semblables à moi, qu’il nous a tous faits égaux ; qu’il nous a donné à tous une forte inclination de vivre en société, & qu’il a disposé les choses de telle maniere qu’un homme ne peut se conserver ni subsister sans le secours de ses semblables, j’infere de-là que Dieu, notre créateur & notre pere commun, veut que chacun de nous observe tout ce qui est nécessaire pour entretenir cette société, & la rendre également agréable aux uns & aux autres.

Ce principe de la sociabilité est, je l’avoue, le plus étendu & le plus fécond ; les deux autres même viennent s’y joindre ensuite, & y trouvent une ample matiere de s’appliquer : mais il ne s’ensuit point de-là qu’on doive les confondre & les faire dépendre de la sociabilité, comme s’ils n’avoient pas leur force propre & indépendante. Tout ce qu’on doit dire, c’est qu’ici, comme par-tout ailleurs, la sagesse de Dieu a mis une très-grande liaison entre toutes les choses qui servent à ses fins.

La nature humaine ainsi envisagée, nous découvre la volonté du Créateur, qui est le fondement de l’obligation où nous sommes de suivre les regles renfermées dans ces trois grands principes de nos devoirs. L’utilité manifeste que nous trouvons ensuite dans leur pratique, c’est un motif, & un motif très-puissant pour nous engager à les remplir.

Dans cette espece de subordination qui se rencontre entre les trois grands principes de la loi naturelle, que je viens d’établir, s’il se trouve, comme il arrive quelquefois, qu’on ne puisse pas en même tems s’acquitter des devoirs qui émanent de chacun, voici, ce me semble, la maniere dont on doit régler entre eux la préférence en ces cas-là. 1°. Les devoirs de l’homme envers Dieu l’emportent toûjours sur tous les autres. 2°. Lorsqu’il y a une espece de conflit entre deux devoirs d’amour de soi-même, ou deux devoirs de sociabilité, il faut donner la préférence à celui qui est accompagné d’un plus grand degré d’utilité ; c’est-à-dire qu’il faut voir si le bien que l’on se procurera, ou que l’on procurera aux autres en pratiquant l’un de ces deux devoirs, est plus considérable que le bien qui reviendra ou à nous ou à autrui de l’omission de ce devoir, auquel on ne sauroit satisfaire sur l’heure sans manquer à l’autre. 3°. Si, toutes choses d’ailleurs égales, il y a du conflit entre un devoir d’amour de soi-même, & un devoir de sociabilité, soit que ce conflit arrive par le fait d’autrui, ou non, alors l’amour de soi-même doit l’emporter ; mais s’il s’y trouve de l’inégalité, alors il faut donner la préférence à celui de ces deux sortes de devoirs qui est accompagné d’un plus grand degré d’utilité. Entrons maintenant dans le détail des trois classes générales sous lesquelles j’ai dit que tous nos devoirs étoient renfermés : ce sera faire avec le lecteur un cours abrégé de Morale dans un seul article, il auroit tort de s’y refuser.

Les devoirs de l’homme envers Dieu, autant qu’on peut les découvrir par les seules lumieres de la raison, se réduisent en général à la connoissance & au culte de cet être souverain. Voyez Dieu. Voyez aussi Culte.

Les devoirs de l’homme par rapport à lui-même, découlent directement & immédiatement de l’amour de soi-même, qui oblige l’homme non-seulement à se conserver autant qu’il le peut, sans préjudice des lois de la religion & de la sociabilité, mais encore à se mettre dans le meilleur état qu’il lui est possible, pour acquérir tout le bonheur dont il est capable ; étant composé d’une ame & d’un corps, il doit prendre soin de l’une & de l’autre.

Le soin de l’ame se réduit en général à se former l’esprit & le cœur ; c’est-à-dire à se faire des idées droites du juste prix des choses qui excitent ordinairement nos idées ; à les bien régler, & à les conformer aux maximes de la droite raison & de la religion : e est à quoi tous les hommes sont indispensablement tenus. Mais il y a encore une autre sorte de culture de l’ame, qui, quoiqu’elle ne soit pas absolument nécessaire pour se bien acquitter des devoirs communs à tous les hommes, est très-propre à orner & perfectionner nos facultés, & à rendre la vie plus douce & plus agréable : c’est celle qui consiste dans l’étude des Arts & des Sciences. Il y a des connoissances nécessaires à tout le monde, & que chacun doit acquérir ; il y en a d’utiles à tout le monde ; il y en a qui ne sont nécessaires ou utiles qu’à certaines personnes, c’est-à-dire à ceux qui ont embrassé un certain art ou une certaine science. Il est clair que chacun doit rechercher & apprendre non-seulement ce qui est nécessaire à tous les hommes, mais encore à son métier ou à sa profession.

Les devoirs de l’homme par rapport aux soins du corps, sont d’entretenir & d’augmenter les forces naturelles du corps, par des alimens & des travaux convenables ; d’où l’on voit clairement les excès & les vices qu’il faut éviter à cet égard. Le soin de se conserver renferme les justes bornes de la légitime défense de soi-même, de son honneur & de ses biens. Voyez Défense de soi-même, Honneur.

Je passe aux devoirs de l’homme par rapport à autrui, & je les déduirai plus au long. Ils se réduisent en général à deux classes : l’une de ceux qui sont uniquement fondés sur les obligations mutuelles, où sont respectivement tous les hommes considérés comme tels : l’autre de ceux qui supposent quelque établissement humain, soit que les hommes l’ayent eux-mêmes formé, ou qu’ils l’ayent adopté, ou bien un certain état accessoire, c’est-à-dire un état où l’on est mis en conséquence de quelque acte humain, soit en naissant, ou après être né : tel est, par exemple, celui où est un pere & son enfant, l’un par rapport à l’autre ; un mari & sa femme ; un maître & son serviteur ; un souverain & son sujet.

Les premiers devoirs sont tels que chacun doit les pratiquer envers tout autre, au lieu que les derniers n’obligent que par rapport à certaines personnes, & posé une certaine condition, ou une certaine situation. Ainsi on peut appeller ceux-ci des devoirs conditionnels, & les autres des devoirs absolus.

Le premier devoir absolu, ou de chacun envers tout autre, c’est de ne faire de mal à personne. C’est-là le devoir le plus général : car chacun peut l’exiger de son semblable en tant qu’Homme, & doit le pratiquer ; c’est aussi le plus facile, car il consiste simplement à s’empêcher d’agir, ce qui ne coûte guere, à moins qu’on ne se soit livré sans retenue à des passions violentes qui résistent aux plus vives lumieres de la raison : c’est enfin le plus nécessaire ; car sans la pratique d’un tel devoir, il ne sauroit y avoir de société entre les hommes. De ce devoir suit la nécessité de réparer le mal, le préjudice, le dommage que l’on auroit fait à autrui. Voyez Dommage.

Le second devoir général absolu des hommes, est que chacun doit estimer & traiter les autres comme autant d’êtres qui lui sont naturellement égaux, c’est-à-dire qui sont aussi-bien hommes que lui, car il s’agit ici d’une égalité naturelle ou morale. Voyez Egalité.

Le troisieme devoir général respectif des hommes considérés comme membre de la société, est que chacun doit contribuer autant qu’il le peut commodément à l’utilité d’autrui. On peut procurer l’avantage d’autrui d’une infinité de manieres différentes, & dont plusieurs sont indispensables. On doit même aux autres des devoirs, qui sans être nécessaires pour la conservation du genre humain, servent cependant à la rendre plus belle & plus heureuse. Tels sont les devoirs de la compassion, de la libéralité, de la bénéficence, de la reconnoissance, de l’hospitalité, en un mot, tout ce que l’on comprend d’ordinaire sous le nom d’humanité ou de charité, par opposition à la justice rigoureuse, proprement ainsi nommée, dont les devoirs sont le plus souvent fondés sur quelque convention. Mais il faut bien remarquer que dans une nécessité extrème, le droit imparfait que donnent les lois de la charité, se change en droit parfait ; de sorte qu’on peut alors se faire rendre par force, ce qui, hors un tel cas, devroit être laissé à la conscience & à l’honneur de chacun. Voyez Compassion, Libéralité, Reconnoissance, Hospitalité, Humanité.

Les devoirs conditionnels de l’homme envers ses semblables, sont tous ceux où l’on entre de soi même avec les autres par des engagemens volontaires, exprès, ou tacites. Le devoir général que la loi naturelle prescrit ici, c’est que chacun tienne inviolablement sa parole, ou qu’il effectue ce à quoi il s’est engagé par une promesse ou par une convention. Voyez Promesse, Convention.

Il y a plusieurs établissemens humains sur lesquels sont fondés les devoirs conditionnels de l’homme par rapport à autrui. Les principaux de ces établissemens sont l’usage de la parole, la propriété des biens, & le prix des choses.

Afin que l’admirable instrument de la parole soit rapporté à son légitime usage, & au dessein du Créateur, on doit tenir pour une maxime inviolable de devoir, de ne tromper personne par des paroles, ni par aucun autre signe établi pour exprimer nos pensées. On voit par-là combien la véracité est nécessaire, le mensonge blâmable, & les restrictions mentales, criminelles. Voyez Véracité, Mensonge, Restriction mentale.

Les devoirs qui résultent de la propriété des biens considérée en elle-même, & de ce à quoi est tenu un possesseur de bonne foi, sont ceux-ci, 1°. chacun est indispensablement tenu envers tout autre, excepté le cas de la guerre, de le laisser joüir paisiblement de ses biens, & de ne point les endommager, faire périr, prendre, ou attirer à soi, ni par violence, ni par fraude, ni directement, ni indirectement. Par-là sont défendus le larcin, le vol, les rapines, les extorsions, & autres crimes semblables qui donnent quelque atteinte aux droits que chacun a sur son bien. Voyez Larcin, &c. Si le bien d’autrui est tombé entre nos mains, sans qu’il y ait de la mauvaise foi, ou aucun crime de notre part, & que la chose soit encore en nature, il faut faire ensorte, autant qu’en nous est, qu’elle retourne à son légitime maître. Voyez Propriété, Possesseur.

Les devoirs qui concernent le prix des choses, se déduisent aisément de la nature & du but des engagemens libres où l’on entre, il est donc inutile de nous y arrêter. Voyez Engagement.

Parcourons maintenant en peu de mots les devoirs des états accessoires, & commençons par ceux du mariage qui est la premiere ébauche de la société, & la pépiniere du genre humain. Le but de cette étroite union demande que les conjoints partagent les mêmes sentimens d’affection, les biens & les maux qui leur arrivent, l’éducation de leurs enfans, & le soin des affaires domestiques ; qu’ils se consolent & se soulagent dans leurs malheurs ; qu’ils ayent une condescendance & une déférence mutuelle ; en un mot, qu’ils mettent en œuvre tout ce qui peut perpétuer d’heureuses chaînes, ou adoucir l’amertume d’un hymen mal assorti. Voyez Mariage, Mari, Femme.

Du mariage viennent des enfans ; de-là naissent des devoirs réciproques entre les peres & meres & leurs enfans. Un pere & une mere doivent nourrir & entretenir leurs enfans également & aussi commodément qu’il leur est possible, former le corps & l’esprit des uns & des autres sans aucune préférence, par une bonne éducation qui les rende utiles à leur patrie, gens de bien & de bonnes mœurs. Ils doivent leur faire embrasser de bonne heure une profession honnête & convenable, établir & pousser leur fortune suivant leurs moyens, &c. Voyez Pere, Mere.

Les enfans de leur côté sont tenus de chérir, d’honorer, de respecter des peres & meres auxquels ils ont de si grandes obligations ; leur obéir, leur rendre avec zele tous les services dont ils sont capables, les assister lorsqu’ils se trouvent dans le besoin ou dans la vieillesse ; prendre leurs avis & leurs conseils dans les affaires importantes sur lesquelles ils ont des lumieres & de l’expérience ; enfin, de supporter patiemment leur mauvaise humeur, & les défauts qu’ils peuvent avoir, &c.

Les devoirs accessoires réciproques de ceux qui servent & de ceux qui se font servir, sont de la part des premiers le respect, la fidélité, l’obéissance aux commandemens qui n’ont rien de mauvais ni d’injuste, ce qui se sous-entend toûjours en parlant de l’obéissance que les inférieurs doivent à leurs supérieurs, &c. Le maître doit les nourrir, leur fournir le nécessaire, tant en santé qu’en maladie, avoir égard à leurs forces & à leur adresse naturelle pour ne pas exiger les travaux qu’ils ne sauroient supporter, &c. Voyez Maitre, Serviteur. Pour ce qui est des esclaves, Voyez Esclave.

Il me semble qu’il n’y a point d’avantages ni d’agrémens que l’on ne puisse trouver dans la pratique des devoirs dont nous avons traité jusqu’ici, & dans les trois accessoires dont nous venons d’expliquer la nature & les engagemens réciproques ; mais comme les hommes ont formé des corps politiques, ou des sociétés civiles, qui est le quatrieme des états accessoires, ces sociétés civiles reconnoissent un souverain & des sujets qui ont respectivement des devoirs à remplir.

La regle générale qui renferme tous les devoirs du souverain, est le bien du peuple. Les devoirs particuliers sont, 1°. former les sujets aux bonnes mœurs : 2°. établir de bonnes lois : 3°. veiller à leur exécution : 4°. garder un juste tempérament dans la détermination & dans la mesure des peines : 5°. confier les emplois publics à des gens de probité & capables de les gérer : 6°. exiger les impôts & les subsides d’une maniere convenable, & ensuite les employer utilement : 7°. procurer l’entretien & l’augmentation des biens des sujets : 8°. empêcher les factions & les cabales : 9°. se précautionner contre les invasions des ennemis. Voyez Souverain.

Les devoirs des sujets sont ou généraux, ou particuliers : les premiers naissent de l’obligation commune où sont tous les sujets en tant que soûmis à un même gouvernement, & membres d’un même état. Les devoirs particuliers résultent des divers emplois dont chacun est chargé par le souverain.

Les devoirs généraux des sujets ont pour objet, ou les conducteurs de l’état, ou tout le corps de l’état, ou les particuliers d’entre leurs concitoyens.

A l’égard des conducteurs de l’état, tout sujet leur doit le respect, la fidélité, & l’obéissance que demande leur caractere : par rapport à tout le corps de l’état, un bon citoyen doit préférer le bien public à toute autre chose, y sacrifier ses richesses, & sa vie même s’il est besoin. Le devoir d’un sujet envers ses concitoyens, consiste à vivre avec eux autant qu’il lui est possible en paix & en bonne union. Voyez Sujet.

Les devoirs particuliers des sujets sont encore attachés à certains emplois, dont les fonctions influent, ou sur tout le gouvernement de l’état, ou sur une partie seulement : il y a une maxime générale pour les uns & les autres, c’est de n’aspirer à aucun emploi public, même de ne point l’accepter lorsqu’on ne se sent point capable de le remplir dignement. Mais voici les principaux devoirs qui sont propres aux personnes revétues des emplois les plus considérables.

Un ministre d’état doit s’attacher à connoître les affaires, les intérêts du gouvernement, & en particulier de son district, se proposer dans tous ses conseils le bien public, & non pas son intérêt particulier, ne rien dissimuler de ce qu’il faut découvrir, & ne rien découvrir de ce qu’il faut cacher, &c. Les ministres de la religion doivent se borner aux fonctions de leur charge ; ne rien enseigner qui ne leur paroisse vrai, instruire le peuple de ses devoirs, ne point deshonorer leur caractere, ou perdre le fruit de leur ministere par des mœurs vicieuses, &c. Les magistrats & autres officiers de justice, doivent la rendre aux petits & aux pauvres aussi exactement qu’aux grands & aux riches ; protéger le peuple contre l’oppression, ne se laisser corrompre ni par des présens, ni par des sollicitations ; juger avec mesure & connoissance, sans passion ni préjugé ; empêcher les procès, ou du moins les terminer aussi promptement qu’il leur est possible, &c. Les généraux & autres officiers de guerre doivent maintenir la discipline militaire, conserver les troupes qu’ils commandent, leur inspirer des sentimens conformes au bien public, ne chercher jamais à gagner leur affection au préjudice de l’état de qui ils dépendent, &c. Les soldats doivent se contenter de leur paye, défendre leur poste, préférer dans l’occasion une mort honorable à une fuite honteuse. Les ambassadeurs & ministres auprès des puissances étrangeres doivent être prudens, circonspects, fideles à leur secret & à l’intérêt de leur souverain, inaccessibles à toutes sortes de corruptions, &c.

Tous ces devoirs particuliers des sujets que je viens de nommer, finissent avec les charges publiques, d’où ils découlent : mais pour les devoirs généraux, ils subsistent toûjours envers tel, ou tel état, tant qu’on en est membre.

L’on voit par ce détail qu’il n’est point d’action dans la société civile qui n’ait ses obligations & ses devoirs. & l’on est plus ou moins honnête homme, disoit Cicéron, à proportion de leur observation ou de leur négligence. Mais comme ces obligations ont paru trop gênantes à notre siecle, il a jugé à-propos d’en alléger le poids & d’en changer la nature. Dans cette vue, nous avons insensiblement altéré la signification du mot de devoir pour l’appliquer à des mœurs, des manieres, ou des usages frivoles, dont la pratique aisée nous tient lieu de morale. Nous sommes convenus de substituer des oboles aux pieces d’or qui devroient avoir cours.

Il est arrivé de-là que les devoirs ainsi nommés chez les grands, & qui font chez eux la partie la plus importante de l’éducation, ne consistent guere que dans des soins futiles, des apparences d’égard & de respect pour les supérieurs, des regles de contenance ou de politesse, des complimens de bouche ou par écrit, des modes vaines, des formalités puériles, & autres sottises de cette espece que l’on inculque tant aux jeunes gens, qu’ils les regardent à la fin comme les seules actions recommandables, à l’observation desquelles ils soient réellement tenus. Les devoirs du beau sexe en particulier sont aussi faciles qu’agréables à suivre. « Tous ceux qu’on nous impose (écrivoit-il n’y a pas long-tems l’ingénieuse Zilia, dans ses Lett. Péruv.) se réduisent à entrer en un jour dans le plus grand nombre de maisons qu’il est possible, pour y rendre & y recevoir un tribut de loüanges réciproques sur la beauté du visage, de la coëffure, & de la taille, sur l’exécution du goût & du choix des parures. »

Il falloit bien que les devoirs de ce genre fissent fortune ; parce qu’outre qu’ils tirent leur origine de l’oisiveté & du luxe, ils n’ont rien de pénible ; & sont extrémement loüés : mais les vrais devoirs qui procedent de la loi naturelle & du Christianisme coûtent à remplir, combattent sans cesse nos passions & nos vices ; & pour surcroît de dégoût, leur pratique n’est pas suivie de grands éloges. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Devoir, (Jurispr.) signifie quelquefois office ou engagement. C’est ainsi qu’en Droit on dit, qu’il est du devoir des peres de doter les filles, officium paternum dotate filias. (A)

Devoir, se dit aussi des engagemens du vassal envers son seigneur, comme de lui faire la foi & hommage, fournir son aveu & dénombrement, &c. (A)

Devoir, se prend encore pour redevance seigneuriale ou emphytéotique. On dit, en pays de Droit écrit, qu’un héritage est tenu sous le devoir annuel, cens, & servis d’une telle somme d’argent, ou d’une certaine quantité de grains. Voyez Cens, Servis, Redevance. (A)

Devoir de Montigne, étoit un droit de péage qui se payoit au tablier de la prevôté de Nantes, consistant en huit deniers monnoie de Bretagne, par escafe ou bateau chargé de plus de six muids de sel, venant tant de Bretagne que de Poitou, & arrivant par la riviere de Loire au port de la ville de Nantes. Ce droit étoit ainsi appellé, parce qu’il y en avoit quatre deniers qui se percevoient au profit du seigneur de Montigné. Il fut supprimé par arrêt du conseil du 18 Janvier 1729. (A)

Devoir, v. a. (Com.) c’est être obligé envers quelqu’un par promesses, billets, lettres de change, même seulement de parole, pour l’acquit d’achat de marchandise, prêt d’argent, service rendu, ou autrement. Dict. de Comm. & de Trèv. V. Dette. (G)

Devoir, terme de Commerce & de Teneur de livres : parmi les livres dont les marchands se servent pour leur négoce, il y en a un entre autres qu’on appelle le grand livre, qui se tient en débit & en crédit. Dans ce livre, la page à droite qui est pour le crédit, se marque par le mot avoir, & la page à gauche reservée au débit par le mot doit ; avec cette différence qu’avoir se met à la tête de tout de son côté, & que doit suit du sien le nom du débiteur. Dict. de Commerce. (G)

Devoir, (Com.) on nomme ainsi en Bretagne, particulierement dans la prevôté de Nantes, les droits qui s’y levent pour le Roi, & les octrois qui appartiennent à la ville sur certaines especes de marchandises. Il y en a de plusieurs sortes.

Le devoir du quarantieme est un droit qui se paye sur les marchandises venant de la mer à Nantes, & allant de Nantes à la mer, en passant par Saint-Nazaire.

Le devoir de la vieille coûtume se paye sur les blés.

Le devoir de quillage se leve sur les vaisseaux chargés desdits blés, pourvû qu’il y en ait plus de 10 tonneaux.

Le devoir de brieux est sur les blés amenés de dehors dans le comté de Nantes. Il y a aussi des devoirs de brieux sur les vaisseaux, qui se payent suivant leur charge. Voyez Brieux.

Le devoir de registre ou congé, se leve sur les vins.

Le devoir de guimple sur les sels venant de la mer au port de Nantes. Voyez Guimple.

Les Anglois nomment aussi devoirs tous les droits qui se levent par autorité publique sur les marchandises, vaisseaux, & c. Voyez l’article Droits. Dict. de Comm. & Chambers. (G)

Wikisource - licence Creative Commons attribution partage dans les mêmes conditions 3.0

Étymologie de « devoir »

Bourguig. devoi ; provenç. dever ; catal. deurer ; espagn. deber ; ital. devere ; du latin debere, que les étymologistes regardent comme composé de de habere, ne pas avoir, avoir perdu la possession.

Version électronique créée par François Gannaz - http://www.littre.org - licence Creative Commons Attribution

De l’ancien français deveir, devoir, du latin dēbēre (« devoir »).
Wiktionnaire - licence Creative Commons attribution partage à l’identique 3.0

Phonétique du mot « devoir »

Mot Phonétique (Alphabet Phonétique International) Prononciation
devoir dœvwar

Évolution historique de l’usage du mot « devoir »

Source : Google Books Ngram Viewer, application linguistique permettant d’observer l’évolution au fil du temps du nombre d'occurrences d’un ou de plusieurs mots dans les textes publiés.

Citations contenant le mot « devoir »

  • La vie est un devoir Accomplis-le.
  • Être optimiste est un devoir moral. De Karl Popper , 
  • Un écrivain a le devoir de méchanceté. De Philippe Caubère , 
  • Le devoir est la nécessité volontaire. De Henri-Frédéric Amiel / Journal intime , 
  • Le sourire est un devoir social. De Stéphane Gsell / Notice sur Roland Delachenal , 
  • Vivre est un devoir, rien d’autre. De Régis Jauffret / Les livres ont un visage , 
  • Moins qu’un devoir de mémoire, nous avons davantage un devoir de vigilance quotidienne. De Houda Rouane / Evene.fr - Octobre 2006 , 
  • Devoir ! Ah, je ne puis souffrir ce vilain mot, cet odieux mot ! Il est si pointu, si aigre, si froid. Devoir, devoir, devoir ! On dirait des coups d'épingle. De Henrik Ibsen , 
  • C’est un devoir que de se faire heureux. De André Gide , 
  • Au-dessus du devoir, il y a le bonheur. De Paul Léautaud / Passe-temps , 
  • La bienveillance est sur le chemin du devoir. De Mencius / Livre des livres , 
  • Avec certaines femmes, c'est le devoir des Danaïdes. De Maurice Donnay , 
  • On n'a jamais fini de faire son devoir. De Amiral Touchard , 
  • Le devoir est une série d'acceptations. De Victor Hugo / Les Travailleurs de la mer , 
  • Complétement décimés, les Nets vont devoir faire avec les moyens du bord à Orlando pour tenter de valider leur participation en playoffs. Et comme les deux meneurs Kyrie Irving et Spencer Dinwiddie sont respectivement out et très incertain, le capitaine s’appelle Caris LeVert. L’arrière va se retrouver avec la balle dans les mains et va devoir porter l’attaque de son équipe. Basket Infos, Caris LeVert va devoir porter les Nets à Orlando : "Je savoure ce genre d'opportunités"
  • Le retour à la vie d’avant la pandémie n’est pas encore pour les jours ni les semaines à venir. Face à la situation, de nombreuses mesures sont adoptées par les entreprises pour limiter les risques et continuer à poursuivre les activités. Quels sont les droits des employés et les devoirs des entreprises en ce temps de crise ? Focus sur les obligations et les devoirs des entreprises face à la pandémie. Un Monde d'Aventures, Covid 19 et l'obligation ou non de devoir se rendre au travail si votre patron le demande
  • Comment s’assurer que les entreprises visées par la loi sur le devoir de vigilance établissent, publient et mettent en œuvre un plan de vigilance ? Avec Sherpa et Datactvist, nous avons mis en place un outil de suivi de cette loi, le radar du devoir de vigilance. Résultat, aujourd’hui Yves Rocher, Castorama, Picard, McDonald’s France, France Télévisions, Bigard et d’autres grosses entreprises n’ont pas mis en place de plan de vigilance CCFD-Terre Solidaire, L’application de la loi sur le devoir de vigilance passée au radar : 27% des (...) - CCFD-Terre Solidaire
  • Leurs principales armes étaient au nombre de six, dont nous avons déjà parlé. Le Sénégal et la France sont aujourd’hui des pays amis unis par une langue commune, une histoire commune et une fraternité d’armes ; deux pays partageant une coopération multiforme. Ils sont liés par des intérêts multiples et ont le devoir de préserver cet acquis, parce qu’il constitue un legs majeur pour les générations passées, actuelles et futures. Ils doivent préserver leurs bonnes relations dans le respect de l’égale dignité de leur peuple, le respect de leurs cultures respectives et de leurs valeurs réciproques. Pour réaliser ce noble dessein, nous devons faire preuve de capacité de dépassement. SenePlus, DEVOIR D’INVENTAIRE DE LA PERIODE COLONIALE | SenePlus
  • La vie est un devoir Accomplis-le.
  • Être optimiste est un devoir moral. De Karl Popper , 
  • Un écrivain a le devoir de méchanceté. De Philippe Caubère , 
  • Le devoir est la nécessité volontaire. De Henri-Frédéric Amiel / Journal intime , 
  • Le sourire est un devoir social. De Stéphane Gsell / Notice sur Roland Delachenal , 

Images d'illustration du mot « devoir »

⚠️ Ces images proviennent de Unsplash et n'illustrent pas toujours parfaitement le mot en question.

Traductions du mot « devoir »

Langue Traduction
Anglais duty
Espagnol deber
Italien dovere
Allemand pflicht
Chinois 义务
Arabe مهمة
Portugais dever
Russe обязанность
Japonais 関税
Basque betebeharra
Corse u duveru
Source : Google Translate API

Synonymes de « devoir »

Source : synonymes de devoir sur lebonsynonyme.fr

Antonymes de « devoir »

Combien de points fait le mot devoir au Scrabble ?

Nombre de points du mot devoir au scrabble : 10 points

Devoir

Retour au sommaire ➦

Partager