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Dévorer

Définitions de « dévorer »

Trésor de la Langue Française informatisé

DÉVORER, verbe trans.

A.− Manger avec voracité et rapidité.
1. [Le suj. désigne un animal carnassier] Dévorer un agneau, une proie. Les poissons ne sont mus que par une voracité aveugle et irréfléchie, dévorant sans distinction toute proie vivante (Broussais, Phrénol.,1836, p. 62):
1. Le sanglier est omnivore. Même il ne dédaigne point la chair. Lorsqu'il les peut surprendre, il dévore au gîte les levrauts vagissants, (...) Il ne sort que la nuit pour vaguer et manger. Il mange avec gloutonnerie. Pesquidoux, Chez nous,1923, p. 4.
P. ext. [En parlant d'un animal nuisible] Détruire en rongeant. Les insectes dévorent les plantes (Erckm.Chatr., Ami Fritz,1864, p. 48).Le livre parlementaire le « barodet » (...) était littéralement dévoré par les mites (L. Daudet, Brév. journ.,1936, p. 213).
P. exagér., fam. Piquer, mordre à maintes reprises. Dévoré de poux, par les poux. Une grêle de moustiques qui m'ont dévoré les jambes (Flaub.Corresp.,1850, p. 193).
2. P. anal. [Le suj. désigne une pers.] Dévorer du pain, des fruits; dévorer son dîner; dévorer avec avidité, goulûment :
2. Et elle dévora certes la moitié de la volaille qu'elle dépeçait à grands coups de mâchoires avec des allures de carnivore. Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, Les sœurs Rondoli, 1884, p. 1264.
Emploi abs. Manger beaucoup, avec gros appétit. Il dévora, de l'appétit d'un homme qui ne s'était pas repu depuis deux jours (R. Rolland, J.-Chr.,Foire, 1908, p. 657).
Loc. fig.
a) Dévorer qqn de baisers, de caresses. Le couvrir de baisers, de caresses. La même qui dévore de baisers cet objet répugnant me traiterait de « sadique » si elle me voyait baiser une rose (Montherl., Inf. Castille,1929, p. 590).
b) Dévorer qqc. des yeux, du regard, des oreilles. Regarder intensément, avec convoitise ou avec une vive curiosité; écouter avidement et avec une extrême attention :
3. On vit dans une époque, à la Cour, si c'est une époque de cour; on y passe sa vie à regarder, à écouter, et, quand on est Saint-Simon, à écouter et à regarder avec une curiosité, une avidité sans pareille, à tout boire et dévorer des oreilles et des yeux. Sainte-Beuve,Causeries du lundi,t. 15,1851-62,p. 434.
B.− Au fig.
1. [L'idée dominante est celle d'absorption, de consommation totale et rapide]
a) [L'obj. désigne des biens matériels] Dépenser entièrement avec rapidité et prodigalité des biens personnels ou ce qui constitue les ressources d'une autre personne ou d'une collectivité. Dévorer un capital, un héritage, un patrimoine. Un petit nombre de brigands dévore la multitude; et la multitude se laisse dévorer (Volney, Ruines,1791, p. 96).Vous ne consommez pas, si le mot vous choque vous dévorez quarante mille francs portés au budget de l'État (Stendhal, Rouge et Noir,1830, p. 379):
4. Son capital écorné de moitié, il épousa une fille de belle jambe et de peu de principes qui acheva de dévorer le meuble et l'immeuble. Aymé, La Jument verte,1933, p. 36.
P. anal. [Le suj. désigne une chose] Utiliser quelque chose en totalité, l'épuiser rapidement. [Les] consommations de munitions que le matériel moderne était en mesure de dévorer en peu de temps (Joffre, Mém.,t. 2, 1931, p. 49).
b) [L'obj. désigne une certaine étendue d'espace ou de temps]
[En parlant d'une distance ou d'une surface]
Couvrir une distance, la parcourir avec une extrême rapidité. Il court, il vole, il dévore la distance (Villiers de L'I.-A., Contes cruels,Le Convive des dernières fêtes, 1883, p. 149).Ce bolide dévorait ses 83 kilomètres en 4 heures et demie (P. Rousseau, Hist. techn. et invent.,1967, p. 254).
Envahir, recouvrir la totalité d'une surface. Si la lumière arrive de face et de manière à dévorer les ombres (Ch. Blanc, Gramm. des arts du dessin,1876, p. 553).Ses yeux éblouissants dévoraient toute sa face (Sartre, Nausée,1938, p. 117).
[En parlant d'un espace de temps] Le faire passer rapidement en l'occupant dans sa totalité. Ces menues brimades qui dévorent le temps, occupent l'esprit (Ambrière, Gdes vac.,1946, p. 307):
5. Il a tant à vivre pour lui-même qu'il n'a pas le temps de vivre pour le dehors. Il ne veut rien laisser perdre de cette vie brûlante et multiple, qui lui échappe et qu'il dévore avec précipitation et avidité. Renan, L'Avenir de la sc.,1890, p. 16.
c) [L'obj. désigne un écrit] Le lire en épuisant son contenu avec rapidité et avidité. Dévorer une lettre, un livre, un ouvrage. Son activité brûlante dévorait les dossiers (A. France, Île ping.,1908, p. 370):
6. Heureusement, dans la même année, parut une illustre préface que nous dévorâmes aussitôt, et qui faillit nous convaincre à jamais. Musset, Lettres de Dupuis et Cotonet,1836, p. 661.
d) [L'obj. désigne un phénomène moral pénible, sa cause, ses manifestations] Accepter, subir sans protestation, sans réplique, sans faire apparaître ses réactions. Dévorer un affront, une insulte; dévorer son chagrin, ses larmes. J'avais senti l'injure, et je la dévorais en silence (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène,t. 2, 1823, p. 466).Par fierté elle dévore toutes ses tristesses, ses déconvenues (Gide, Journal1914, p. 439).
2. [L'idée dominante est celle de destruction rapide] Réduire à néant; consumer.
a) [Le suj. désigne une force naturelle] Le crépitement d'une flamme d'incendie qui multipliait ses foyers, dévorait de proche en proche les îlots d'abord préservés (De Voguë, Morts,1899, p. 9).
P. anal. [En parlant du temps] L'irrésistible torrent des heures qui dévorent sans retour notre être instantané (Senancour, Rêveries,1799, p. 231).
b) [Le suj. désigne un mal physique ou social] Dégrader totalement, ruiner. Dévoré par la maladie, par la fièvre. Aussi ne se faisait-il pas faute, (...) de voir dans l'ulcère qui dévore les aristocraties intellectuelles de tous les pays le vice propre de l'art (Rolland, J.-Chr.,Foire, 1908, p. 705).
[En parlant d'une sensation vive, d'un sentiment pénible, d'une passion violente] Tourmenter vivement. Dévoré par la soif, par la passion; dévoré d'amour, de haine, de soucis. La soif inextinguible qui dévora ses compagnons pendant cette journée (Verne, Enf. Cap. Grant,t. 1, 1868, p. 157).L'horrible inquiétude qui torturait ma raison et l'atroce amour qui me dévorait le cœur (Milosz, Amour. initiation,1910, p. 113).
Rem. Dans ce sens dévorer peut être employé à la forme pronom. réfl. Je me ronge, je me dévore d'impatience. Ce qui m'exaspère c'est la stupidité des autorités locales (Flaub. Corresp., 1870, p. 146).
Prononc. et Orth. : [devɔ ʀe], (je) dévore [devɔ:ʀ]. Enq. : /devoʀ/ (il) dévore. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1121-35 devurer « avaler, manger gloutonnement » (d'un animal) (Ph. de Thaon, Bestiaire, 717, 1732 ds T.-L.); 1remoitié xiies. eissi en ire devoret icels [absorbet] « engloutir, anéantir » (Psautier d'Oxford, éd. F. Michel, LVII, 9); début xiies. adj. part. prés. fous ... devuranz (Psautier de Cambridge, éd. F. Michel, XVII, 8); 1662 et vous devez du cœur dévorer ces leçons (Molière, L'École des femmes, III, 2, vers 729); 1685 soucis dévorants (La Fontaine, Philémon et Baucis, 4, éd. H. Régnier, t. VI, p. 148). Empr. au lat. class.devorare « avaler, engloutir, dévorer ». Fréq. abs. littér. : 2 347. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 4 609, b) 3 731; xxes. : a) 2 848, b) 2 335.
DÉR.
Dévorable, adj.Qui peut être dévoré. P. métaph. Si l'amant pouvait vérifier la calomnie, même quand il la trouverait fondée, elle serait rendue dévorable par l'imagination (Stendhal, Amour,1822, p. 133). 1resattest. a) Milieu xiiies. mors devourables « dévoreuses » (Vie de St François d'Assise, Maz. 1351 fo37eds Gdf.), ms. début xives. et la gens devorable (Enfances Godefroy, Richel. 12558, fo56e, ibid.), b) 1822 rendue dévorable par l'imagination (Stendhal, loc. cit.); du rad. de dévorer, suff. -able*. Fréq. abs. littér. : 1.
BBG. − Gir. t. 2 Nouv. Rem. 1834, pp. 30-31.

Wiktionnaire

Verbe - français

dévorer \de.vɔ.ʁe\ transitif 1er groupe (voir la conjugaison)

  1. Manger avec voracité et rapidité (le sujet désigne un animal carnassier).
    • Dans le monde animal, la sélection ne porte pas sur l’intériorité. Lorsque le loup dévore la brebis ou qu’il s’accouple à la louve, il ne leur demande que d’être sur son passage. C’est la « brebéité » qui l’intéresse et non pas telle brebis, la louve et non pas telle louve. — (Jean Guitton, Essai sur l’amour humain, éd. Aubier, 1948, page 73)
    • Mazelle Piquegrain, effrayée, leva son aile droite pour se protéger des coups. Aussitôt, le renard surgit et, ni une ni deux, dévora toutes les poules. — (Gudule, La fiancée du singe : Quinze contes d'animaux, Librairie générale française, 2009)
  2. Avaler goulûment ; manger avidement.
    • Le dur travail et l’air pur excitent l’appétit. Au petit matin, après un déjeuner copieux, les bûcherons gagnent l’aire de coupe. Ils prennent sur place, en le dévorant, le repas préparé par le cook : du lard, de la mélasse, des galettes. — (Pierre Saucier, Gérard Saucier : sur les traces d’un bâtisseur en Abitibi, avec la collaboration de Claude Bédard-Claret, Presses de l'Université du Québec, 1996, page 124)
    • Les requins dévorent les autres poissons. — Les brochets se dévorent entre eux. — Il eut dévoré le tout en un moment.
    • (Absolument) (Familier)Cet homme ne mange pas, il dévore.
  3. Manger entièrement sans rien laisser, surtout en parlant des animaux destructeurs.
    • Les chenilles ont dévoré toutes les feuilles de ce rosier.
  4. (Figuré) Lire un livre avec avidité, avec une extrême promptitude.
    • Dans sa jeunesse, il a dévoré Jules Verne. — Il ne lit pas les livres, il les dévore.
  5. (Figuré) Parcourir un espace, une distance, avec une extrême rapidité.
    • La puissance de sa voiture lui permet de dévorer les kilomètres avec aisance.
  6. Ne pas laisser paraître, cacher un sentiment.
    • Dévorer ses chagrins, etc. — Dévorer un affront, une injure.
    • L’Empereur m’a fait appeler dans sa chambre ; dévorant en silence le contretemps qu’il venait d’éprouver, il se trouvait déjà déshabillé et en robe de chambre. — (Emmanuel de Las Cases, Mémorial de Sainte-Hélène, Deuxième année, « Mardi 9 janvier 1816 » ; Edito Service S.A., Genève, s.d., volume II, page 316)
  7. (Figuré) Consumer, détruire.
    • Pendant de longs siècles, la maison resta bien fragile. […]. En Champagne et sur le plateau agricole de Porcien, c’est en chaume qu’elle était couverte à la fin du XVIIIe siècle. Les incendies fréquents, calamités de l’ancienne France, dévoraient des villages en un clin d’œil : […]. — (Octave Guelliot, Villages et maison des Ardennes, dans la Revue de folklore français et de folklore colonial, Librairie Larose, 1937, volume 8, page 188)
  8. (Par analogie) Produire un effet violent en nous, comme la faim et la soif, quand elles sont devenues pressantes, comme les affections morbides, les longues peines d’esprit, les passions très ardentes.
    • Il y avait deux longues heures que nous marchions, dans les champs, sous le soleil qui tombait du ciel comme une pluie de feu ; la sueur ruisselait sur mon corps et la soif, une soif ardente, me dévorait. — (Octave Mirbeau, Le Père Nicolas, dans Lettres de ma chaumière, 1885)
    • Elle en avait contracté l’eczéma de la face, une éruption suintante qui la dévorait de sa brûlure atroce. — (Jean Rogissart, Passantes d’Octobre, Librairie Arthème Fayard, Paris, 1958)
    • La faim, la soif le dévore. — La fièvre qui le dévore. — Un feu secret la dévore. — Il ne peut plus maîtriser l’ardeur qui le dévore.
    • Elle continuait à se dévorer en attendant maintenant que, par son oncle, Théodore obtînt ce qui lui avait manqué à elle, et prît dans le monde parisien la situation qu’elle avait ratée. — (Hector Malot, En famille, 1893)
    • (Par ellipse)Il se dévore.
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Dictionnaire de l’Académie française, huitième édition (1932-1935)

DÉVORER. v. tr.
Manger une proie en la déchirant avec les dents. Les bêtes l'ont dévoré. Il a été dévoré par les lions, par les tigres. La Fable dit que Saturne dévorait ses enfants. Il signifie aussi Avaler goulûment, manger avidement. Les requins dévorent les autres poissons. Les brochets se dévorent entre eux. Il eut dévoré le tout en un moment. Absolument, dans le langage familier, Cet homme ne mange pas, il dévore. Il se dit quelquefois dans le sens de Manger entièrement sans rien laisser, surtout en parlant des Animaux destructeurs. Les chenilles ont dévoré toutes les feuilles de ce rosier. Fig., Dévorer un livre, des livres, Les lire avec avidité, avec une extrême promptitude. Il ne lit pas les livres, il les dévore. J'ai dévoré ce roman. Fig., Dévorer l'espace, Le parcourir avec une extrême rapidité. Fig., Dévorer des yeux, Tenir les yeux fixement attachés sur une personne ou sur une chose, avec l'expression du désir. Il la dévorait des yeux. Fig., Dévorer ses larmes, Retenir ses larmes quand elles sont près de s'échapper. Dévorer ses chagrins, etc., Ne pas les laisser paraître. Dévorer un affront, une injure, Cacher le ressentiment d'un affront. Il signifie au figuré Consumer, détruire. Les flammes ont dévoré ces chefs-d'œuvre. Le temps dévore tout. Il se dit, dans un sens analogue, de l'Effet violent que produisent en nous la faim et la soif, quand elles sont devenues pressantes, les affections morbides, les longues peines d'esprit, les passions très ardentes. La faim, la soif le dévore. La fièvre qui le dévore. Un feu secret la dévore. Il ne peut plus maîtriser l'ardeur qui le dévore. L'ennui, le chagrin, le dévore. Être dévoré d'inquiétude. Être dévoré d'ambition. Il se dévore d'ambition, de chagrin, ou, elliptiquement, Il se dévore.

Littré (1872-1877)

DÉVORER (dé-vo-ré) v. a.
  • 1Saisir à belles dents et manger une proie. Les bêtes l'ont dévoré. Où dit-on que le sort vous a fait rencontrer ? - Parmi des loups cruels prêts à me dévorer, Racine, Athal. II, 7. Tu es ici dans un antre où les hommes te dévoreront, Chateaubriand, Natch. II, 218. Et je lui porte enfin mon cœur à dévorer, Chateaubriand, Androm. V, 6. Quand voulez-vous donc, disait-elle quelquefois au sultan son fils, aider mon lion [Charles XII] à dévorer ce czar ? Voltaire, Charles XII, 5. Sous notre heureuse demeure, Avec celui qui les pleure, Hélas ! ils dormaient hier ! Et notre cœur doute encore, Que le ver déjà dévore Cette chair de notre chair ! Lamartine, Harm. II, 1.

    Par extension. Les chenilles ont tout dévoré.

    Très familièrement. Se dévorer le bras, la jambe, se gratter le bras, la jambe, avec une sorte de rage.

  • 2Manger avidement. Cet homme dévorait son repas.

    Absolument. Cet enfant dévore. Je ne sais pas s'il digère bien, mais je sais qu'il dévore, Maintenon, Lettre à l'abbé Gobelin, 8 mai 1675.

    Fig. Être rapace. N'est-ce pas Double-Main le greffier ? - Oui, c'est qu'il mange à deux râteliers. - Manger ! je suis garant qu'il dévore, Beaumarchais, Mar. de Fig. III, 13.

  • 3 Fig. Dissiper, se hâter d'user en prodigue d'un bien. Et tous trois à l'envi s'empresser ardemment à qui dévorerait ce règne d'un moment, Corneille, Othon, I, 1. L'héritier prodigue paye de superbes funérailles et dévore lo reste, La Bruyère, VI. César jouit de tout et dévore le fruit Que six siècles de gloire à peine avaient produit, Voltaire, Mort de César, II, 3.
  • 4Consumer, détruire. Le temps dévore tout. La flamme vole et dévore le vaisseau, Fénelon, Tél. VII. La gloire des méchants en un moment s'éteint ; L'affreux tombeau pour jamais les dévore, Racine, Esth. II, 9. … que le feu dévore Le seul lieu sur la terre où Dieu veut qu'on l'adore, Racine, Athal. V, 2. Ah ! plutôt que du ciel la flamme me dévore ! Racine, Phèd. III, 3. Je vois déjà l'hymen, pour mieux me déchirer, Mettre en vos mains le feu qui la [Troie] doit dévorer, Racine, Iphig. III, 4. Si vous m'irritez contre vous, l'épée vous dévorera, Sacy, Bible, Isaïe, I, 20. Élie lui répondit : Si je suis homme de Dieu, que le feu descende du ciel, et vous dévore avec vos cinquante hommes, Sacy, ib. Rois, IV, I, 10. Mes soins l'ont enfermé [un orphelin] dans ces asiles sombres Où des rois ses aïeux on révère les ombres ; La mort, si nous tardons, l'y dévore avec eux, Voltaire, Orphel. IV, 6. [La Naissance et la Mort, deux fantômes voilés] L'un produit l'inconcevable moment de notre vie que l'autre s'empresse de dévorer, Chateaubriand, Génie, I, 2. Les flammes qui dévoraient avec un bruissement impétueux les édifices entre lesquels il [Napoléon à Moscou] marchait, dépassant leur faîte, fléchissaient alors sous le vent et se recourbaient sur nos têtes, Ségur, Hist. de Napol. VIII, 7.

    C'est une terre qui dévore ses habitants, se dit d'un pays malsain qui cause une grande mortalité. Les pays équatoriaux dévorent les Européens.

    Par extension, faire maigrir, altérer le teint, l'apparence. Mandez-moi comme vous vous portez de l'air de Grignan, s'il vous a déjà bien dévorée, et comme je me dois représenter votre jolie personne, Sévigné, 189.

  • 5Piller, épuiser. L'armée dévorait le pays. Sous prétexte de vos longues prières, vous dévorez les maisons des veuves, Sacy, Bible, Év. S. Math. XXIII, 14. Grecs, Arabes, Français, Sarrasins nous dévorent, Voltaire, Tancr. I, 1. Il [Voltaire] a profité de la circonstance d'un contrôleur général vertueux et zélé pour le bien, pour demander que le pays de Gex où il habite ne soit plus dévoré par les financiers, D'Alembert, Lettre au roi de Prusse, 23 févr. 1776.

    Fig. L'excès de sa douleur dévore sa parole [l'intercepte], Tristan, M. de Chrispe. I, 3.

  • 6 Fig. Faire éprouver une sensation pénible, en parlant de la soif, de la fièvre, de la chaleur. La soif, la fièvre le dévore. Un lion que la cruelle faim dévore, Fénelon, Tél. I. Pour apaiser la faim qui le dévore, Massillon, Car. Riche. Déjà l'ardente soif le sèche et le dévore, Ducis, Abuf. I, 3. Courbés par le midi dont l'ardeur les dévore, Delavigne, Paria, II, 6.

    Dans le même sens, en parlant des passions. Rien ne peut-il charmer l'ennui qui me dévore ? Racine, Bérén. II, 4. Qu'un soin bien différent me trouble et me dévore ! Racine, Phèd. II, 5. Du zèle qui pour toi l'enflamme et le dévore, Racine, Esth. Prol. Le chagrin me dévore, Racine, Androm. V, 2. Célèbre par le zèle saint qui le dévorait, Massillon, Car. Resp. Le souvenir affreux dont l'horreur me dévore, Voltaire, Zaïre, II, 1. Gens que l'avarice dévore, Pour votre or soudain j'ai frémi, Béranger, Ma dern. chans. Dans les villes qui paraissent jouir de la paix et où les arts fleurissent, les hommes sont dévorés de plus d'envie, de soins et d'inquiétudes qu'une ville assiégée n'éprouve de fléaux, Voltaire, Candide, 20. Assez de malheureux ici-bas vous implorent, Coulez, coulez pour eux ; Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent, Oubliez les heureux, Lamartine, Méd. I, 13.

  • 7Dévorer un livre, le lire avec avidité. Ce que je vous dis là ne sont pas des chansons, Et vous devez du cœur dévorer ces leçons, Molière, Éc. des femmes, III, 2. Je m'arrêtais pour ne pas dévorer votre lettre si promptement, Sévigné, 52. Tant qu'on a cru voir dans ce livre [les Caractères de la Bruyère] les portraits de gens vivants, on l'a dévoré pour se nourrir du triste plaisir que donne la satire personnelle, D'Olivet, Hist. Acad. t. II, p. 354, dans POUGENS. Dévorant les poëtes fameux Je n'aspirai jamais qu'à m'illustrer comme eux, Légouvé, Épichar. et Néron, II, 3.
  • 8Dévorer en espérance, convoiter avidement quelque chose. Il dévore en espérance tous mes trésors, Vaugelas, Q. C. liv. VIII, ch. 1. Au reste soyez sûrs que vous posséderez Tout ce qu'en votre cœur déjà vous dévorez, Corneille, Nicom. II, 3. Dans son avide orgueil je sais qu'il nous dévore, Racine, Alex. II, 2. D'un œil d'impatience il dévorait sa proie, Voltaire, Henr. X.

    Dévorer des yeux, jeter des regards pleins d'ardeur et de convoitise. Il dévore des yeux et du cœur cent beautés, La Fontaine, Scam. Il dévore des yeux le fruit de tous ses crimes, Voltaire, Catil. IV, 4. Ici une amante affligée exprime sa langueur, une autre dévore des yeux son amant, Montesquieu, Lett. pers. 28. Mes yeux dévorent des charmes dont ma bouche n'ose approcher, Rousseau, Hél. I, 8.

  • 9Dévorer le temps, anticiper avec impatience sur le temps. L'impatient Thierry dévore les instants, Lemercier, Bruneh. III, 6. Et semble d'un regard dévorer l'avenir, Ducis, Macbeth, II, 6. Son fier regard semblait, dévorant l'avenir, Poursuivre avidement une gloire lointaine, Ancelot, Fiesque, I, 1.
  • 10Ne pas laisser paraître, renfoncer en soi-même. Dévorer ses larmes, ses chagrins. Rongée de soucis, je suis obligée de paraître gaie et contente ; il faut que je dévore mes larmes, Maintenon, Lett. à Mme de St-Géran, 1er avril 1679. Je me suis tu, j'ai dévoré ma peine, Fénelon, Tél. VII. Toujours verser des pleurs qu'il faut que je dévore ! Racine, Bérén. I, 2. Sous un maître odieux dévorant ma tristesse, Voltaire, Mérope, II, 7. Comment avez-vous pu dévorer si longtemps Une douleur plus tendre et des maux plus touchants ? Voltaire, Brutus, II, 1. Dévorant mon dépit et mes soupirs honteux, Voltaire, Orphel. III, 4. Eh bien ! je dévorais une haine funeste, Ducis, Abufar, III, 4.

    Dévorer un affront, l'endurer sans en faire paraître aucun ressentiment. Quiconque ne sait pas dévorer un affront,… Loin de l'aspect des rois qu'il s'écarte, qu'il fuie, Racine, Esth. III, 1. On dévore les rebuts les plus outrageants, Massillon, Car. Laz. Vous dévorerez leurs inégalités et leurs caprices, Massillon, Car. Pardon. Le roi présent dévore la menace ; Son âme altière est contrainte à fléchir, Millevoye, le Mancenillier.

  • 11Dévorer les difficultés, venir courageusement à bout de ce qui est difficile. Les affaires n'eurent jamais rien d'obscur qu'il n'éclaircît, rien de douteux qu'il ne décidât… rien de pénible qu'il ne dévorât, Massillon, Or. fun. Viller.
  • 12Se dévorer, v. réfl. Se dévorer l'un l'autre. Les brochets se dévorent les uns les autres.

    Se dévorer soi-même. Il est juste qu'une espèce si perverse se dévore elle-même, Voltaire, Dial. 14.

    Très familièrement. Se dévorer, se gratter avec une sorte de rage. Empêchez donc cet enfant de se dévorer.

    Fig. Se livrer à l'impatience, au chagrin. Je me dévore de cette envie, Sévigné, 30. Et là-dessus on s'abat, on se dévore soi-même, on renonce presque à l'espérance de son salut, Massillon, Profess. relig. Serm. 1.

HISTORIQUE

XIIe s. Li sire en la sue ire les conturberat, et sis [si les] devurerat fus [le feu], Liber psal. p. 24. Turbé sunt e moüd [ému] si cume ivre, e tute la sapience d'els devorede est, ib. p. 165. Tuit chi ovrent felunie, chi devorent le mien pople sicume viande de pain, ib. p. 70. Devorer le verrez par mil divisions [morceaux], Ronc. p. 200. De Joseph li sovint cui si altre noef frere Vendirent pur deniers e distrent à lur pere Que devorez esteit d'icele beste fere, Th. le mart. 65. Si jo sui hume Deu, dunc descendet li feus del ciel e devurt tei e tes cinquante cumpaignuns, Rois, p. 346.

XIIIe s. Ne de beste sauvage [que je ne sois] devourée ne prise, Berte, XXX. Je croi bien que les bestes l'ont morte et devorée, ib. CIV. Qui dont les de üst devourer, [ils] Ne se tenissent de plourer ; Leur cuer furent de pitié tendre, Quant vint au point de congié prendre, Bl. et Jeh. 1947. Por dant Renart que l'en devoure, Ploure Grinbert et prie et oure, Ren. 11635. … Li vilain s'en atant, Et Tybert s'en vait devorant [maudissant] Les vilains et la pute au prestre, ib. 21892. Et li cors qui les biens devore, Si sera converti en cendre, Guersai.

XIVe s. Il fendoit et ouvroit les femmes grosses et trahoit les enfans de leurs corps et les devoroit, Oresme, Eth. 203. Nulz homs n'ozoit passer, environ ni entour, S'il ne creoit en Dieu, le pere creatour, Qu'il ne fuist devourez à honte et à doulour, Baud. de Seb. VI, 246. Li lions en a teil despit Qu'il li ceurt [court] sus sans nul respit, Et si l'estranle et le deveure, Jean de Condé, p. 10.

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Étymologie de « dévorer »

Provenç. et espagn. devorar ; ital. divorare ; du latin devorare, de la préposition de, et vorare (voy. VORACE).

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Du latin devorare (« avaler, dévorer, engloutir »).
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Phonétique du mot « dévorer »

Mot Phonétique (Alphabet Phonétique International) Prononciation
dévorer devɔre

Évolution historique de l’usage du mot « dévorer »

Source : Google Books Ngram Viewer, application linguistique permettant d’observer l’évolution au fil du temps du nombre d'occurrences d’un ou de plusieurs mots dans les textes publiés.

Citations contenant le mot « dévorer »

  • Il ne faut pas vouloir dévorer la vie. De Gabrielle Roy / La route d'Altamont , 
  • Soyez sobres, veillez. Votre partie adverse, le Diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer. , Épîtres de saint Pierre, Ière, V, 8
  • Tu ne songes qu'à dévorer ton bonheur ; c'est pourquoi il t'échappe ; il ne tient pas à être dévoré par toi. De Wilhelm Reich / Ecoute petit homme , 
  • Chocolat ! Voilà bien un mot qui évoque des extases indescriptibles. Est-il un homme, une femme ou un enfant qui n'en a pas désiré, qui n'en a pas dévoré, et qui l'instant d'après, n'a pas rêvé d'en dévorer encore ? De Elaine Gonzales , 
  • Je n'aime pas les hommes, j'aime ce qui les dévore. André Gide, Le Prométhée mal enchaîné, Gallimard
  • Il faut dévorer la vie. De Björk , 
  •   Dans le hall du Théâtre du Bois de l’Aune ou sous les arbres, installés dans des transats, Frédéric Garde fait découvrir en lecture ‘un parfait monstre, accompagné par de la musique et des projections d’illustrations. r r Spoof est un monstre parfait ! Il vit sous terre avec sa mère Monstre. Il adore retirer son oeil de son orbite et dévorer la tête des gens après l’avoir faite bouillir. r Mais cette fois, sa victime n’est autre que son père, un humain, grand tueur de monstres et raconteur d’histoires. r Enfermé dans un sac, il raconte à son fils l’histoire d’Alice et Anouar, les enfants-fusion, jumeaux venus de l’espace et séparés à leur naissance qui se retrouvent enfin pour se venger du Maître des Monstres qui a tué leurs parents. Dans cette aventure, ils seront aidés par Max Maxime enquêteur et chasseur de Monstre. r Spoof va-t-il dévorer le crâne de son père ? Alice et Anouar vont-ils vaincre le terrible Roi des Monstres et son armée de petits hommes Frédéric Garbeverts ? Unidivers, Un parfait monstre Aix-en-Provence mardi 7 juillet 2020
  • Il ne faut pas vouloir dévorer la vie. De Gabrielle Roy / La route d'Altamont , 
  • Soyez sobres, veillez. Votre partie adverse, le Diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer. , Épîtres de saint Pierre, Ière, V, 8
  • Tu ne songes qu'à dévorer ton bonheur ; c'est pourquoi il t'échappe ; il ne tient pas à être dévoré par toi. De Wilhelm Reich / Ecoute petit homme , 
  • Chocolat ! Voilà bien un mot qui évoque des extases indescriptibles. Est-il un homme, une femme ou un enfant qui n'en a pas désiré, qui n'en a pas dévoré, et qui l'instant d'après, n'a pas rêvé d'en dévorer encore ? De Elaine Gonzales , 
  • Je n'aime pas les hommes, j'aime ce qui les dévore. André Gide, Le Prométhée mal enchaîné, Gallimard

Images d'illustration du mot « dévorer »

⚠️ Ces images proviennent de Unsplash et n'illustrent pas toujours parfaitement le mot en question.

Traductions du mot « dévorer »

Langue Traduction
Anglais devour
Espagnol devorar
Italien divorare
Allemand verschlingen
Chinois 吞食
Arabe افترس
Portugais devorar
Russe пожирать
Japonais むさぼり食う
Basque irentsi
Corse devore
Source : Google Translate API

Synonymes de « dévorer »

Source : synonymes de dévorer sur lebonsynonyme.fr

Antonymes de « dévorer »

Combien de points fait le mot dévorer au Scrabble ?

Nombre de points du mot dévorer au scrabble : 10 points

Dévorer

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