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Lecture de Christian Oster, Paul au téléphone

Le podcast littéraire, Fragmentslus, créé par Paul Chevrier, vise à faire découvrir les textes par la voix. Ce projet privilégie les narrations singulières, le détail qui vous échappe, le rythme de la phrase qui vous trotte dans la tête une fois le livre refermé.

Ces lectures sont une invitation à tendre l’oreille et à ouvrir les yeux sur le texte pour y voir au-delà. Alors peut-être les mots, révélés, trouveront la force de vivre leur propre aventure.

Dans cet épisode, découvrez un extrait de Christian Oster, Paul au téléphone. Bonne écoute !


Il faut bien sûr imaginer Paul, tout en force, le regard baissé déjouant pour l’instant la description, le menton saillant, la mâchoire prognathe, sa stature excédant la mienne, l’impossibilité dans laquelle il est toujours de faire oublier son corps en dépit des mouvements qui lui traversent l’âme, fréquemment d’ailleurs car Paul est un sensible, un sentimental, même, doublant chez lui le musculaire toujours trahi quelle que soit l’ampleur de la chemise, la coupe du pantalon, la délicatesse de certains gestes, passons sur certains gestes, le visage suscitant chez l’observateur un irrépressible besoin de poncifs, nez épais, lèvres fortes, sourire enfantin, gourmand, la manière dont ses mains battent l’air quand il s’échauffe, le verbe non point tant facile que haut, expéditif et désaccordé souvent, mais sincère, toujours, mieux vaut en rire, maintenant, et d’ailleurs il se tait, il ne répond pas, je dois répéter ma question, il lève enfin les yeux, de beaux yeux, surtout un beau garçon, non pas un beau regard, donc, c’est du reste dommage, avec un beau regard j’aurais compris que Sandra, je n’aurais sans doute rien eu à dire, je n’ai d’ailleurs rien dit, à quoi bon, que dire à une femme qui vous quitte pour un homme dont les yeux sont seulement beaux, on se prend à rêver au contraire d’un amant au charme secret, plus proche de celui qu’on croyait exercer, ou qu’on n’exerce plus, qu’importe, un homme qui puisse prétendre à quelque vraie relève, dont on puisse tirer sinon profit du moins fierté, mais non, c’est cet homme-là que Sandra avait choisi, contre tout attente, ou en réponse à son attente, comment savoir, un homme dont le poids s’aggravait maintenant de celui de son mensonge, peut-être plus pervers au fond que ce qu’on avait pensé, duplique derrière le muscle, noyant des trésors de rouerie dans l’eau bleutée de son regard.

Christian Oster, Paul au téléphone – Éditions de Minuit 1996
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Paul Chevrier

Paul Chevrier est diplômé de Sciences Po Paris et vient de reprendre des études pour devenir psychologue clinicien. Convaincu que la littérature nous aide à créer du lien, il s’est lancé dans la conception d’un podcast dont le but est de faire découvrir les textes par la voix.

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