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« Pour correctement accorder le participe passé il faut être bon en syntaxe française » : entretien avec Virginie Dubeau

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Nous avons tous des questions sur le participe passé, considéré comme l’une des grandes difficultés du français… C’est pourquoi nous avons cherché la personne susceptible de présenter le participe passé sous toutes ses coutures, et de répondre à nos interrogations.

Virginie Dubeau est attachée temporaire d’enseignement et de recherche à Sorbonne Université, à l’UFR de Langue française. Elle y prépare sa thèse de doctorat, portant sur le participe passé. Elle est donc actuellement la jeune chercheuse spécialiste des règles d’accord et de leurs multiples exceptions. Ses observations lui donnent une expertise sur les usages de l’accord du participe passé des locuteurs francophones. Elle a accepté de répondre à nos questions et de présenter ses travaux de recherche.

LA LANGUE FRANÇAISE. - Quelles sont les principales problématiques de vos recherches ?


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Virginie DUBEAU. - La problématique générale concerne l’écart entre la manière dont les locuteurs accordent au participe passé à l’écrit et à l’oral, et la norme attendue dans les ouvrages de grammaire. Cette question est souvent mise en avant en français, elle est liée à l’importance de l’orthographe car l’accord du participe passé est considéré comme le point le plus important dans les règles d’orthographe.

Je travaille également à retracer l’histoire des règles d’accord ainsi que de l’enseignement du participe passé dans les programmes scolaires, et les difficultés pour les enseignants.

Comment s’est formé le participe passé ?

Il faut repartir de la périphrase latine habeo + complément. En latin classique il n’y a pas de forme composée pour exprimer le prétérit. Les temps composés sont arrivés avec cette forme périphrastique et sa lexicalisation en latin tardif. Le fait d’accorder avec le COD et pas avec un autre élément de la phrase ne tombe pas de nulle part.

Dans ce groupe (ou périphrase), le verbe habeo (avoir) avait au départ son sens plein de possession, il n’est pas encore devenu un auxiliaire. Dans le passage vers le latin tardif on observe une perte progressive de ce sens concret de possession, et il est devenu un auxiliaire pour former les temps composés des verbes.

Existe-t-il une histoire des règles d’accord du participe passé, un bilan ?

L’histoire des règles d’accord est assez longue et complexe. Les règles telles que nous les connaissons actuellement se sont stabilisées à partir du XIXe siècle, depuis l’émergence de la grammaire scolaire. La réalisation de l’accord ne s’est pas toujours faite en fonction de l’auxiliaire (être ou avoir). Les premières théorisations datent du XVIe siècle avec Vaugelas et les remarqueurs [spécialistes des questions de grammaire, s’attachant à observer et commenter la langue en formulant des « remarques », regroupée pour publication], et depuis les règles évoluent.

Les exceptions soulevées ont plus ou moins abouti aux nôtres, et d’autres ont été abandonnées. C’est Vaugelas qui, dans les Remarques sur la langue françoise, a proposé un certain nombre d’exceptions à certaines règles qui existaient déjà. Il présente dix exceptions, dix cas, par exemple le cas des verbes pronominaux et les participes passés suivis d’un verbe à l’infinitif.

On trouve des ouvrages retraçant les règles d’accord oui, surtout au XIXe siècle. Par exemple l’Histoire des participes français d’Amédée Mercier (1879) et Le participe passé dans la langue française et son histoire de Jean Bastin (1880).

Existe-t-il une histoire des usages ?

Les ouvrages retraçant l’histoire des règles mentionnent souvent en parallèle l’usage. Certains usages ont disparu. De nos jours on considère beaucoup les questions de syntaxe, mais à cette époque la prosodie aussi était prise en compte, puisque le participe passé était accordé et audible au féminin, par un allongement de la voyelle finale à l’oral, comme dans « ce sont les lettres que j’ai lues » ce « u » final était allongé. Avec cet allongement, des remarqueurs comme Vaugelas préconisaient de considérer comme invariable ce genre de participe passé s’il était suivi d’un autre mot, et il n’y avait pas d’allongement. C’est pour cette raison que l’on trouve chez Vaugelas une exception où le participe passé reste invariable lorsque le sujet lui est postposé. 

Les études de l’usage soulèvent le problème de l’ordre des mots dans la phrase et de sa conséquence sur l’accord. L’ordre des mots en sujet-verbe-complément est canonique mais il y a eu d’autres manières d’agencer la phrase, et il existe des études – comme celle de Bastin (pré-citée) – sur les conséquences de l’ordre des mots, donc de la place du complément par rapport au participe passé.

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Quelles sont vos méthodes d’investigation ? Faites-vous des questionnaires ?

Je réalise des questionnaires à destination des locuteurs non spécialistes, des enseignants et des étudiants. Mais comme il est difficile d’avoir des réponses entièrement spontanées aux questionnaires, j’observe également les réseaux sociaux. Sur les groupes d’échanges entre les enseignants, les questions les plus fréquentes concernent l’orthographe (et non les mathématiques, ou les langues vivantes) et parmi les questions d’orthographe, les plus fréquentes portent sur l’accord du participe passé. Elles portent sur la manière d’enseigner telle ou telle exception, mais aussi plus simplement sur « comment on accorde », « quelle est la règle ». Ce qui est intéressant, c’est que lorsque les questions sont posées, même en mettant leurs connaissances en commun, on trouve parfois jusqu’à 300 commentaires sous le post. Les personnes n’arrivent pas à se mettre d’accord y compris en ayant recours à des grammaires.

Donc il ne suffit pas de connaître les règles par cœur : si vous connaissez les quatorze pages du Bon Usage sur le participe passé, cela ne vous suffit pas. Il faut être en mesure d’analyser la phrase dans laquelle se trouve le participe passé et de voir quelle règle il faut appliquer. De savoir à quel cas particulier on a à faire.

L’accord du participe passé n’est pas tant difficile pour les règles, que pour la maîtrise de la syntaxe française en général qu’il demande.

C’est ce qui fait qu’il y a un aspect élitiste dans l’accord du participe passé. Il y a une sorte de fierté à dire « je sais accorder » parce que cela signifie « je sais analyser correctement la phrase pour appliquer la bonne règle ». L’accord du participe passé n’est pas tant difficile pour les règles, que pour la maîtrise de la syntaxe française en général qu’il demande : pour accorder correctement il faut en fait être bon en syntaxe française. Celui qui en plus de connaître les règles d’accord, sait laquelle appliquer, est en fait celui qui est bon en syntaxe.

Quelles sont les exceptions les moins connues ? Les règles qui posent le plus de problème ?

Sans doute celle qui concerne les verbes pronominaux, quand il faut se demander si le pronom réfléchi est COD ou COI, s’il n’y a pas un autre complément qui jouerait le rôle de COD. Souvent elle n’est pas connue, et comme tous les verbes pronominaux se conjuguent avec l’auxiliaire être, on pense qu’il faut toujours accorder [sur cette question, voir notre article].

Il y a aussi le problème du participe passé suivi de l’infinitif. Cela demande des capacités d’analyse syntaxique, par exemple dans « Les oiseaux que j’ai entendus chanter ». Il faut se demander si le COD qui est antéposé (« les oiseaux ») est le COD de l’infinitif (« chanter ») ou du verbe qui est au participe passé (« entendus »). Il est COD de la forme verbale qui contient le participe.

Quel est l’avis de l’Académie Française sur l’éventuelle simplification de l’accord du participe passé ? Que dit la proposition de réforme de 1990 ?

Des modifications ont été proposées pour homogénéiser les règles. Ce sont des propositions « de tolérance ». En 1990, l’Académie française propose tout un tas de choses, et seul un tout petit point concerne l’accord du participe passé. Elle a tendance à l’aborder très rapidement, sur un ton sûr, pour ne pas céder sur la question.

Il y a eu des propositions auparavant, en 1976 et 1900-1901. En 1901 les propositions faites étaient assez drastiques, elles avaient été avancées par Clédat, qui a publié un petit traité, quasiment un pamphlet, avec une réforme complète : La question de l’accord du participe passé. Il a étoffé son argumentation de l’avis d’autres spécialistes de la langue.

Pouvez-vous revenir sur la distinction entre participe passé employé comme verbe et participe passé employé comme adjectif ?

Cela concerne des énoncés avec l’auxiliaire être, comme « La lumière était allumée », où l’on se demande si l’on a un passif, ou un temps composé, ou si le verbe être est à l’imparfait et suivi d’un participe passé adjectival.

Il faut pouvoir déterminer si un complément d’agent est sous-entendu ou non. S’il y a un complément d’agent (on comprend que dans le contexte, la lumière a été allumée par M. Dupont), on a un passif et on ne peut réaliser une substitution avec un adjectif. On aura un imparfait dans « la lumière était allumée quand je suis passée ».

Ce qui pose problème, c’est en fait la nature du participe passé. Avec le participe présent on a tranché : soit il est verbe (fatiguant), soit il est adjectif (fatigant). On peut classer assez clairement le participe présent dans l’une de ces deux catégories, alors qu’avec le participe passé ce qui pose problème c’est de déterminer quel est le degré d’adjectivité. On ne peut pas le classer de manière aussi claire entre verbe et adjectif. Avant même d’en venir aux questions d’accord donc, le participe passé en lui-même, par nature, pose problème. Mais ces questions-là n’ont pas vraiment de conséquences sur l’accord, on écrit « la lumière était allumée » en accordant donc au féminin.

Pour aller plus loin :

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Clarisse Chabernaud

Clarisse Chabernaud est docteure en langue et littérature françaises, spécialiste de l'histoire du nom propre et des tragédies de Jean Racine.

En savoir plus sur Clarisse Chabernaud >

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Commentaires

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Bonjour,
En effet, c'est une des principales difficultés ! N'hésitez pas à lire notre article à ce sujet.

Bonne chance !
Nicolas.

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Atomiseam

Le participe passé des verbes pronominaux nous fait vraiment des surprises si on ne s'arrête pas pour bien y penser. J'espère que dans cette étude, j'arriverai à maîtriser, une fois pour toute, le bon sens des règles de tous les participes.

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