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Il faut vivre à Rome comme à Rome : définition et origine du proverbe

Des vieux proverbes mettant en scène la Ville Éternelle, on en connaît tous : « Tous les chemins mènent à Rome », « Rome ne s'est pas faite en un jour », « Qui langue a, à Rome va », « Qui bête va à Rome, tel en retourne », « Qui veut vivre à Rome ne doit pas se quereller avec le pape », etc. Mais il en est un, depuis quelque temps, qui les surpasse tous en fréquence : « Il faut vivre à Rome comme à Rome », qu'on entend également employé sous la forme : « À Rome, fais comme les Romains. »

Origines du proverbe « Il faut vivre à Rome comme à Rome »

Un petit tour du côté des origines du proverbe permettra d'étayer l'usage des deux formulations en concurrence : « Il faut vivre à Rome comme à Rome » / « À Rome, fais comme les Romains ».

En effet, le dictionnaire de Furetière est le premier à relever, en 1690, avec une virgule qui le scinde en deux propositions, le proverbe sous la forme : « Il faut vivre à Rome, comme à Rome ». Quelques années plus tôt, on en trouvait déjà la citation en français, virgule médiane comprise, dans les Lettres de M. le Marquis de *** écrites pendant son voyage d'Italie en 1669, publiées à Paris en 1676 : « Il faut vivre à Rome, comme à Rome, & à la Rochelle, comme on y vit ». Ensuite, gratifié de l'étiquette de « proverbe si connu », il sera abondamment repris sous cette forme dans les textes du XVIIIe siècle.


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« Il faut vivre à Rome, comme à Rome » a donc les caractéristiques d'un proverbe tout ce qu'il y a de plus courant : il est introduit par la locution « il faut » qui marque l'obligation, le devoir (« Il faut qu'un menteur ait une bonne mémoire » ; « Il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier »). Il énonce une formule concise articulée en deux parties scandées par une répétition (« Morte la bête, mort le venin » ; « Aide-toi, le Ciel t'aidera » ; « Qui peut le plus, peut le moins »). Ici, la répétition va jusqu'à la tautologie : comment faut-il vivre à Rome ? comme à Rome ! C'est peut-être ce second membre introduisant une comparaison de nature tautologique (cf. « À la guerre comme à la guerre ») qui a entraîné sa reformulation à date récente en : « À Rome, fais comme les Romains. » 

Laquelle reformulation nous rapproche cependant de l'origine latine du proverbe, qui remonte au IVe siècle. Tel est en effet le conseil qu'aurait donné saint Ambroise, évêque de Milan de 374 à 397, au jeune saint Augustin qui le questionnait sur l'observance du jeûne à Rome et à Milan : « Si Romae fueris, Romano vivito more. Si fueris alibi, vivito sicut ibi. » « Si tu es à Rome, vis à la façon d'un Romain. Si tu es ailleurs, vis comme on vit là-bas. » 

C'est saint Augustin lui-même qui en fait le récit, dans sa lettre 54 à Januarius 

Je crois que vous l'avez un jour entendu de ma bouche, mais, cependant, je vous le redirai. Ma mère m'ayant suivi à Milan, y trouva que l'Église n'y jeûnait pas le samedi; elle se troublait et ne savait pas ce qu'elle devait faire; je me souciais alors fort peu de ces choses; mais, à cause de ma mère, je consultai là-dessus Ambroise, cet homme de très-heureuse mémoire; il me répondit qu'il ne pouvait rien conseiller de meilleur que ce qu'il pratiquait lui-même, et que s'il savait quelque chose de mieux il l'observerait. Je croyais que, sans nous donner aucune raison, il nous avertissait seulement, de sa seule autorité, de ne pas jeûner le samedi, mais, reprenant la parole, il me dit : « Quand je suis à Rome, je jeûne le samedi; quand je suis ici, je ne jeûne pas ce jour-là. Faites de même; suivez l'usage de l'Église où vous vous trouvez, si vous ne voulez pas scandaliser ni être scandalisé. » Lorsque j'eus rapporté à ma mère cette réponse, elle s'y rendit sans difficulté. Depuis ce temps, j'ai souvent repassé cette règle de conduite, et je m'y suis toujours attaché comme si je l'avais reçue d'un oracle du ciel. 

Lettres de Saint Augustin traduites en français par M. Poujoulat, Paris, 1858

Cet avis de saint Ambroise s'est également condensé en proverbe en Angleterre, en Allemagne, au Portugal et bien sûr en Italie, pas seulement chez les Romains :

  • When in Rome, do as the Romans do ;
  • Wenn du in Rom bist, verhalte dich wie die Römer ;
  • Em Roma, sê romano ;
  • Quando sei a Roma, fai come fanno i romani.
Saint Ambroise, mosaïque de la basilique Saint-Ambroise de Milan

Signification du proverbe « Il faut vivre à Rome comme à Rome »

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La définition que donnait du proverbe le lexicographe Furetière en 1690 : « Il faut vivre à Rome, comme à Rome, pour dire qu'il faut s'accommoder à l'humeur de ceux avec qui l'on a à vivre » est reprise fidèlement par tous les dictionnaires de proverbes qui jalonnent le XVIIIe siècle (cf. De Backer, 1710 ; Le Roux, 1718 ; Panckoucke, 1748…).

Il faudra attendre le XIXe siècle, dans le Dictionnaire des proverbes de Quitard (1842), pour voir apparaître une nouvelle définition du proverbe « Il faut vivre à Rome comme à Rome » - désormais écrit sans virgule -, qui ne soit plus axée sur la compatibilité de caractères (« s'accommoder à l'humeur »), mais s'attache au respect des mœurs et usages du pays visité : « Il faut se conformer aux usages du pays où l'on se trouve », que le Larousse universel en deux volumes, dans son édition publiée en 1922 sous la direction de Claude Augé, reprendra sans grande variation : « Il faut se conformer aux mœurs du pays où l'on est. »

Ces nouvelles définitions écartent tout doute possible sur le sens à attribuer au proverbe « Il faut vivre à Rome comme à Rome » / « À Rome, fais comme les Romains » : il faut adapter ses habitudes à celles du pays qu'on visite. Quand on réside dans un pays étranger, il convient de ne pas revendiquer sa singularité et sa différence, mais plutôt de tout faire pour se fondre dans le décor, se rendre indiscernable, jusqu'à devenir Romain parmi les Romains.

Dès lors, on comprend mieux le succès remporté par ce proverbe au cours de ces dernières années. En un geste réflexe, certains se sont en effet mis à le dégainer chaque fois que les termes de hijab, niqab, burqa, burkini ou abaya surgissent dans le débat. On en a entendu d'autres le revendiquer lors du mondial au Qatar, face à ceux qui arboraient un drapeau ou un pull aux couleurs arc-en-ciel de la communauté LGBT… Et d'ailleurs, n'est-ce pas un heureux retour des choses, vous demandez-vous, qu'un proverbe né dans un contexte catholique pour régler un problème liturgique, permette aujourd'hui de traiter de questions communautaires ?

Sauf que faire d'un proverbe ancien une injonction actuelle à l'assimilation, un impératif catégorique contre toutes les formes de communautarisme, et se servir ainsi de la parole proverbiale comme d'un argument massue qui ne souffre aucun contredit, c'est méconnaître la nature même du proverbe.

Car un proverbe n'est pas une proposition de vérité, mais un axiome populaire, un jugement corroboré par l'expérience. Si vérité et proverbe ne faisaient qu'un, comment expliquer alors que coexistent des proverbes parfaitement antithétiques, comme « Tel père tel fils » versus « À père avare fils prodigue », « Mieux vaut tard que jamais » versus « Il ne faut pas remettre à demain ce que l'on peut faire le jour même » ou « L'habit ne fait pas le moine » versus « L'habit fait l'homme » ? C'est pourtant l'erreur que l'on commet fréquemment en invoquant les proverbes : on confond vérité et autorité investie par l'usage.

À force d'être cité, répété, colporté, le proverbe acquiert une autorité, mais une autorité qui n'a rien à voir avec la vérité, il devient un cliché largement admis qui demeure du côté de la doxa, l'opinion.

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Sylvie Brunet

Sylvie Brunet, auteure de nombreux livres sur la langue française, est "parémiologue", c'est-à-dire qu'elle étudie les proverbes. Elle nous livre ici tous les secrets de nos proverbes préférés.

En savoir plus sur Sylvie Brunet >

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Commentaires

Gamling

Variante américaine : "Avons passé deux semaines à Rome sans voir les Romains faire grand-chose."

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